Le consulat, le biométrique et les "bourriques" !
«L’étroitesse est dans les cœurs» dit le proverbe populaire.
Cette histoire commence par "il était une fois un ami qui me faisait part de sa décision de prendre la nationalité française".
Ce jour-là, peut-être avait-il perçu de l’étonnement dans mes yeux, il s’empressa de se justifier, résumant ses arguments sur deux choses importantes de son point de vue :"Tu sais ma carte de résidence arrive bientôt à échéance, et je n’ai pas le courage d’aller faire la "chaîne" à 5 heures du matin et me voir traiter comme du bétail, et puis après tout avec un passeport français je peux voyager partout sans visas, parce-que avec le nôtre, le Vert, tu voyages comme les boat-people ou les harragas, ce n’est plus de mon âge".
J’avoue que sur le champ l’argument de la queue aux guichets de la préfecture m’avait paru un peu tiré par les cheveux, jusqu’à récemment.
Cette conversation m’était revenue à l’esprit, j’ai décidé alors de vérifier l’échéance de mon passeport et là, oh ! Stupeur, Il était décédé depuis belle lurette.
J’ai donc pris attache avec le consulat de ma circonscription pour m’enquérir des conditions et des formalités administratives requises pour l’octroi d’un passeport biométrique (conseil, c’est comme cela qu’il faudra s’exprimer aux guichets de l’administration)
Le préposé à l’accueil me proposa instamment, dans l’intérêt de mon intérêt de prendre un "rendez-vous". Alors dans mon propre intérêt j’ai émis le souhait de prendre rendez-vous «Mais c’est dans trois semaines, car c’est très chargé en ce moment» m’intima le préposé.
Avec grand plaisir ai-je répondu, trop heureux de ne pas venir couvrir à 4 ou 5 heures du matin dans le froid et la pénombre pour le fameux ticket d’admission.
Le jour susdit nous nous présentâmes donc au consulat.
A l’accueil, deux employés impeccables, costumés cravatés, invitaient les arrivants, avec de larges sourires francs et sympathiques, à patienter dans la grande salle d’attente.
La salle en question était très belle. Au plafond de grands luxes, posés comme d’immenses émeraudes, donnaient encore plus de valeur et de beauté aux corniches et reliefs qui décoraient artistiquement les murs et les piliers.
Le sol n’était pas négligé, des mosaïques savamment posées autour de grandes dalles de marbre de toute beauté, parsemées d’immenses tapis venus certainement du M’zab.
Sur les murs des reproductions de tableaux de maîtres, ici et là donnaient une chaleur intime aux lieux.
Des fauteuils aussi confortables que beaux, qui n’ont rien à envier aux sièges des premières classes des meilleures compagnies aériennes, sont disposés intelligemment de façon à supporter l’attente de façon agréable sans gêner son vis-à-vis.
L’atmosphère était magique, une alchimie de sérénité semblait contaminer les lieux.
Les gens étaient détendus, calmes, souriants, certains discutaient comme s’ils se connaissaient de toujours.
D’autres utilisaient les écouteurs intégrés dans les accoudoirs, pour écouter toutes sortes de musique, tout en feuilletant des revues à leur disposition, d’autres encore étaient absorbés par les ordinateurs posés à disposition sur des tables basses.
Un immense écran diffusait des diapositives de décors typiquement de chez nous, la mer, le désert, la montagne…La casbah, les ruines romaines, les tableaux de Racime, Khadda, Issiakham, et j’en oublie, des photos de toutes les richesses que recèle cette belle Algérie.
Un délice pour les yeux et les âmes. La salle n’avait en rien à rougir devant les salles d’attentes pour VIP que l’on trouve dans les aéroports.
Côté pratique, d’autres tableaux électroniques, indiquaient les numéros d’appels respectant scrupuleusement les ordres d’arrivée.
Par intermittence un message défilait indiquant les temps d’attente pour les formalités «…. 30 minutes pour les passeports biométriques…. 15 minutes pour toutes autres formalités…»
Un Monsieur élégamment vêtu, passait de tables en tables, discutant amicalement avec les gens, arrivé à notre niveau il se présenta «je suis le consul général, je viens voir si tout se passait bien, en cas de problème n’hésitez pas à venir à mon secrétariat qui se trouve au premier…»
De temps à autre un message sonore, avec une voix agréable, nous invitait à déguster gracieusement un rafraichissement à la cafétéria située côté jardin.
Une autre salle était dédiée aux enfants, avec de petites tables, de petites chaises, des livres, des jeux, des crayons de couleurs, une télé… tout est bariolé, comme à la crèche.
J’ai décidé de téléphoner au bureau pour dire que finalement j’arriverai plus tôt que prévu… «Au pire à midi je serai là».
Puis brusquement je me suis réveillé en sursaut, encore ce foutu réveil, je vais être en retard.
Mon rendez-vous est entre 9 heures et 11 heures au consulat d’Algérie à Nanterre.
Fébrilement, je revérifie encore une énième fois mes documents, les originaux, les photocopies, et tout et tout, pour ne rien oublier.
Il est 9 heures zéro-zéro. Je suis le quatrième arrivé, à avoir pris rendez-vous il y a 3 semaines.
«C’est pourquoi ?» m’accusa la voix barricadée derrière son comptoir.
Surpris, j’avoue que j’ai balbutié quelque chose comme, rendez-vous, passeport, et je ne sais quoi d’autre…La voix me terrorisa de nouveau «quel rendez-vous ? Qui vous l’a donné ?» Heu! Vous…enfin pas vous personnellement mais celui qui était vous, enfin à votre place il y a 3 semaines.
Je n’étais pas encore sorti de mon rêve, je répondais machinalement.
Il me tend un ticket, son collègue le regarde, ils se regardent, puis se ravise, m’en tend un autre indiquant le numéro B 79 (je vous jure que c’est vrai, ce n’était pas une émission de caméra cachée)
Les Préposés aux tickets-sésames ne plaisantaient pas eux, ils étaient Vrais, comme je vous parle.
Donc résumons la chose, je suis quatrième arrivé avec un rendez-vous en bonne et due forme, pour me retrouver soixante-dix neuvième classé.
Bon pas de questionnement, sur l’énigme des tickets sésames, ils ont leur logique, leur organisation me suis-je dis sur le moment.
Après tout il n’y a aucun moyen de vérification sauf peut-être le «carbone 14» pour identifier et dater les tickets par ordre d’arrivée. C’est un métier qui demande des connaissances en archéologie, et en roublardise.
Cependant, intrigué par la lettre «B» précédant le n° 79, j’ai pensais au début qu’il s’agissait de la catégorie «Bon citoyen» c'est-à-dire ceux qui ont pris soin de prendre un rendez-vous.
Ce n’est qu’à la fin du parcours que quelqu’un m’a déchiffré l’énigme : «B» voulant dire en réalité «Bourrique», ce qui m’a été confirmé par les nombreux clients à cette arnaque, que j’ai eu à croiser au moins deux cents fois dans les couloirs crasseux.
Un Chibani sympathique m’a même dit «tu es naïf mon fils, tu crois aux miracles, réveilles toi, ici tu es en 1437, dehors tu es en 2016, puis il rajouta pourquoi faire simple si c’est facile»
J’ai décidé de mettre ça sur le dos notre légendaire exagération, et de notre faculté à tout critiquer. La suite des événements va me détromper.
Me voilà suis assis sur un siège en fer qui grince à chaque fois que je bouge ou que mes voisins toussent, les yeux rivés sur l’écran d’où viendra la délivrance.
La salle d’attente grouillait de monde. Les murs sont peints en gris jusqu’à mi-hauteur, puis d’une couleur terne jusqu’au plafond de dalles en polystyrène, ils sont désespérément vides, pas un tableau, pas une photo, seulement quelques notes de service ou directives administratives rédigées dans une langue agressive.
Les sièges en fer posés en série comme des brochettes, donnent l’impression d’un centre de transit pour migrants.
La grisaille des lieux n’a d’équivalent que celle des commissariats des années 70 que l’on pouvait voir dans les films en noir et blanc.
L’architecte qui a conçu ces lieux à dû être, dans une autre vie, soit éleveur de poulets en batterie ou gardien de prison. Sinon, il n’y a pas d’autres explications pour faire aussi austère et moche.
Passons sur le décor qui ne mérite pas qu’on s’y attarde, même si c’est important.
L’organisation elle, défie toutes les lois de la logique. Pourtant leur système paraît simple, il se résume en 3 étapes qui imposent 3 attentes.
La première, celle des yeux rivés sur l’écran dans l’espoir de voir s’afficher le numéro gagnant, qui donne droit au dépôt du dossier au guichet, qui part aussitôt à la saisie.
La deuxième attente, celle du caissier qui déboule de temps à autre dans la salle pour crier sans aucune intimité ni confidentialité les noms des heureux élus à débourser les 60 euros de timbres.
L’ultime étape, une fois soulagé de cette somme, c’est l’attente d’un autre crieur qui vous invite à passer vous faire photographier la tronche (malgré les 4 photos exigées préalablement dans le dossier).
Le folklore dans lesquels se déroulent ces séances d’appels, mérite quand même un petit détour. Dès son apparition, les «patients» accourent s’agglutiner autour du «Berrah» dont la voix doit atteindre les 120 ou 150 présents, de surcroit sa voix est étouffée par les hauts parleurs amplifiés, qui débitent inlassablement les numéros affichés sur l’écran, ce qui crée une ambiance brouillonne et chaotique.
Tout ce cirque sans aucune intimité ni confidentialité pour les concernés, dont les noms sont parfois déformés et torturés.
Une fois le "muezzin" disparut, des âmes désespérées, comme des fourmis courent dans tous les sens pour savoir si leur nom a été appelé. En vain, il faudra attendre la prochaine apparition et le prochain appel.
Et que personne ne s’avise à demander un renseignement aux employés, aussitôt les visages se referment comme des huitres, à la limite du mépris.
Ce fut pourtant mon cas, mon dossier déposé à onze heures avait disparu des radars. Vers les coups de 15 heures, j’ai essayé timidement de savoir s’il y avait un problème, je fus rabroué comme un enfant, avec ordre de patienter.
Ma patience fut enfin récompensée vers 17 heures, mon nom fut crié pour passer à la caisse. Là, le caissier m’informa gentiment que c’était un peu court pour la troisième étape, et qu’il valait mieux revenir le lendemain. J’avoue que j’ai éprouvé un soulagement, j’étais pressé de quitter ces lieux, de faire une pause salvatrice.
Le lendemain, j’arrivais donc à 9 heures tapantes, reposé et confiant.
A mon grand étonnement, j’aperçu mon chibani en grande conversation avec quelques visages croisés la veille «bienvenue mon fils, venez vous joindre à la confrérie des biométriques, me lança-t-il». Pour positiver, je lui ai rétorqué que grâce à bureaucratie on crée des liens.
Je pensais mon affaire pliée, au pire en une heure de temps. Finalement c’est vers les coups de13 heures que mon calvaire prit fin.
Résultat des courses, après trois allers-retours à Nanterre, et dix heures d’attente, je fus enfin récompensé par un récépissé bien mérité, pour un passeport Bio que je recevrai un jour "si Dieu veut".
Ainsi va allègrement notre bureaucratie, sur un âne enfourché…dans le sens inverse de la modernité. Bien sûr cher chibani pourquoi faire simple si c’est facile.
J’ai quitté enfin ces lieux le cœur léger, et sans rancune, car on m’a de toujours appris
à ne jamais mépriser les esprits indigents "Allah ghaleb pour eux", la nature ne se refait pas.
Sur le chemin, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à mon copain et sa hantise de faire la queue.
Tewfik Mahdi
Commentaires (5) | Réagir ?
Merci pour votre excellent rêve !
Mais si part malheur l’éveille se fera avant la fin de la nouba causait par une tête noir mal
Raser et marchant comme un soldat avec ses rangers ça serait agaçant
S'il y'a vraiment une étroitesse... elle est dans les têtes !!! les amnésiques sont semblables à ce poisson rouge qui tourne sans cesse dans son bocal !!! qui dviennent encore pires que leurs ancètres qui à leur époque étaient contraints à accepter le statut de l'indigenat !!! certains aujourd'hui se bouculent pour l'avoir !!! triste destin que celui qu'on fait endosser aujourd'hui aux futures générations !!!