Ce que m’a dit Chadli : "Je ne concevais pas d’État de droit avec un prisonnier politique dans nos geôles"(II)
J’avais en face de moi un homme qui semblait avoir domestiqué le temps. Après près de dix ans d’ermitage, l’ancien président n’avait pas changé.
Par Mohamed Benchicou
Toujours cette corpulence de sportif endurci, la même chevelure cendrée qui ne concède aucune parcelle à la calvitie et toujours cet accent sans emphase qui lui a valu bien des sarcasmes. Celui qui a présidé durant treize longues années aux destinées de l’Algérie et qui fut au centre de plusieurs controverses, tenait à ne rien laisser paraître de ses amertumes, s’efforçant d’afficher la singulière sérénité d’un homme "à la conscience tranquille et qui ne regrette rien".
Il assume son choix d’avoir refusé de mettre fin aux élections. "C’était mon choix de poursuivre le processus électoral, d’affronter l’énorme incertitude et de faire confiance en l’avenir Je ne voulais pas abdiquer à la volonté d’un système qui avait vieilli. Alors, entre ma conscience et mon poste, j’ai choisi ma conscience. C’était une question de fidélité à ma morale et à mes convictions. Nous étions devant un dilemme inattendu, certes, mais quand on a des convictions on ne peut faire une autre politique que celle que dicte votre conscience. On ne peut prétendre édifier un État de droit et accepter qu’on bafoue le verdict des urnes, quel que soit ce verdict."
"Une de mes toutes premières décisions fut de libérer Ben Bella. Je ne concevais pas d’État de droit avec un prisonnier politique dans nos geôles. J’aspirais à l’État de droit. Par profonde conviction politique. Une vieille, une ancienne conviction, transmise par mon père, qui était lieutenant de Ferhat Abbas pour la région d’Annaba. Je l’ai fait par attachement aux idées libérales héritées de mon père, et à la mémoire de Ferhat Abbas, une figure qui a marqué ma jeunesse, un homme qui était en avance sur son temps, qui a eu le courage de ne pas succomber aux populismes et qui avait une idée gigantesque de la démocratie, de la société civile et de l’État. Oui, j’ai toujours été UDMA et pas PPA, et j’ai agi en conséquences. Les réformes, ça ne m’est pas venu comme ça, par hasard.
Ce choix contrarié, Chadli Bendjedid, pour ne pas avoir «à faire une autre politique», dit alors avoir choisi, de son propre chef, de partir le 11 janvier 1992. Neuf ans plus tard, il ne regrettait toujours pas cette décision majeure qui, souligne-t-il, l’avait mis en adéquation avec lui-même. Quant à ce qui s’est produit par la suite, il préfère répondre par un soupir : «Le temps aurait travaillé pour la vérité et aurait dévoilé la véritable face du FIS…»
«Personne n’a obligé Chadli Bendjedid au silence»
Par instants, il se laissait trahir par une lueur désabusée qui assombrissait un peu plus un regard blasé par «tant d’ingratitude», l’ingratitude de presque tous, de ceux-là à qui il a rendu la liberté ou d’autres à qui il avait fait confiance. Mais n’est-ce pas cela, tout cela et rien que cela, le système à qui il avait lui-même si longtemps appartenu ?
À l’écouter, la politique serait une affaire de morale et on se surprend à découvrir un homme presque ingénu à la place de celui qu’on croyait rompu aux impitoyables manœuvres du sérail. Chadli, président outragé, homme blessé, justifie son long silence par «un choix personnel, sans aucune contrainte de qui que ce soit."
Il dit avoir résisté aux démons de la polémique, par amour de la patrie : "Répondre à qui ? Et pourquoi ? Pour ajouter de l’huile sur le feu qui n’en manque pas ? Pour créer d’autres motifs de discorde à une situation déjà sérieusement compliquée ? Non, je préfère ne rien dire pour l’instant, je laisse à plus tard…"
L’immense égard qu’il déclare garder pour la fonction qui fut la sienne, le sens de l’État et des responsabilités qu’il a eu à assumer ainsi que l’éthique politique qu’il disait chérir au-dessus de tout, l’ont conduit donc à ce remarquable "silence responsable" qui, pense-t-il très fort, a épargné l’Algérie de déchirures supplémentaires. "Non, personne d’autre que Chadli Bendjedid n’a obligé Chadli Bendjedid au silence. Le pays a davantage besoin de protection et de responsabilités que d’échange de quolibets." (Lire la suite : Ce que m’a dit Chadli : "Ah, il parle, il parle, maintenant Nezzar…" (III))
M. B.
Lire 1re partie : Ce que m’a dit Chadli : "Je n’ai jamais eu de sympathie particulière pour le FIS…" (I)
Commentaires (6) | Réagir ?
merci
Le journal nous aide beaucoup
Les sujets sont précieux et distinctifs