L'autre 11 septembre...
Mardi 11 septembre 1973, le destin de toute une nation et l’espoir d’un continent vont basculer, tout comme le cours de l’histoire…
Car le 11 septembre, c'est aussi la date anniversaire du coup d'Etat sanglant opéré par Nixon et Kissinger pour assassiner l'espoir des Chiliens. En ce 35ème anniversaire de l'installation de Pinochet, et à l'occasion du centième anniversaire de la naissance du président Allende, Investig'Action a demandé à quatre auteurs chiliens d'exprimer les leçons toujours actuelles de cette tragédie. Aujourd'hui, Washington réutilise les mêmes stratégies contre d'autres pays...
Par Patricia Parga-Vega
La disparition forcée, la torture, la prison politique et la délation inaugurent une étape considérée comme « brillante » par les Etats-Unis. Le président Salvador Allende Gossens paya de sa vie l’obstination à mener à bien le mandat confié par son peuple et devint, pour le monde entier, un symbole de dignité.
Bien que son gouvernement n’ait pas duré la moitié de son mandat, Allende a été l’une des figures les plus décisives de l’histoire du Chili du vingtième siècle.
Aujourd’hui, depuis les entrailles du pouvoir nord-américain comme le Church Inform, les documents déclassifiés de la CIA ou les mémoires personnelles d’autorités proches de Nixon, nous avons connaissance avec certitude de l’opération sanglante préparée patiemment pendant dix ans par les Etats-Unis (1963-1973).
Dès la reconnaissance du succès d’Allende par le Sénat chilien, deux réunions ont lieu aux USA, les 8 et 14 septembre 1970. A ces mêmes dates, le président de Pepsi-Cola, Donald M. Kendall, marque son empreinte dans cette tragique histoire. Le 14 septembre, dix jours après l’élection présidentielle chilienne, Kendall se rend à la Maison Blanche et demande à Nixon, qui avait travaillé comme avocat pour Pepsi-Cola, qu’il accorde une audience extraordinaire à un ami et collègue chilien : Agustín Edwards, le propriétaire d’un des journaux les plus influents du Chili : El Mercurio. La relation Nixon/Kendall était basée sur une dette politique et comme les dettes se paient… Kendall avait reconstruit politiquement Nixon après son échec à la course pour la Californie, et l’avait soutenu jusqu’à la Maison Blanche.
Répétition d’une scène souvent vécue en Amérique latine : le pouvoir des transnationales cherchant à infléchir le cours de l’histoire en leur faveur et dans leurs intérêts, au mépris des coûts humains et en s’associant pour cela avec les acteurs locaux ultraconservateurs.
La réunion Nixon/Kendall eu lieu dès le lendemain 15 septembre 1970, ce qui indique clairement la priorité de l’affaire pour la Maison Blanche. Le puissant impresario chilien Agustín Edwards demande l’aide des Etats-Unis pour éviter le désastre au Chili (1). Kissinger attribue au chilien Edwards la responsabilité d’avoir fait pression sur Nixon, de l’avoir « chauffé » pour qu’il décide d’actions drastiques. Après cette entrevue, Nixon se réunit ce même jour, avec Kissinger, le Général Attorney John Mitchell- qui se trouvait là à titre privé et non officiellement- et Richard Helms, directeur de la CIA, qui enregistra quelques notes de cette réunion :
-Même s’il n’y a qu’une chance sur dix, sauvez le Chili.
-Dépenses illimitées.
-Peu importe les risques à courir.
-Ne pas impliquer l’ambassade.
-Dix millions de dollars disponibles, plus si nécessaire.
-Travail à temps plein avec à disposition les meilleurs hommes.
-Elaborer un plan stratégique avec toutes les variantes possibles.
-Faire crier de douleur l’économie chilienne.
-48 heures pour le plan d’action.
« Lors de cette rencontre, Nixon nous ordonna, à nous trois, de n’informer de ces instructions ni le secrétariat d’Etat, ni le secrétariat de Défense, ni l’ambassadeur au Chili, ni le chef de la CIA au Chili. Ce fut le plus grand secret jamais tenu dans ma carrière » assura Richard Helms en écrivant ses mémoires.
Le Church Inform nota ainsi le résultat de cette entrevue : « Le 15 septembre, le Président Nixon informe le directeur de la CIA, Richard Helms, que le gouvernement d’Allende n’est pas acceptable pour les Etats-Unis et mandate la CIA pour qu’elle joue un rôle direct en organisant un coup d’état au Chili afin d’éviter qu’Allende n’accède à la présidence».
Ce qui fut consigné par le directeur de la CIA lui-même, dans ses mémoires : « Le Président m’ordonna de fomenter un coup d’état militaire au Chili, un pays jusqu’alors démocratique »(2). Il ajouta dans ses notes que « ni Nixon, ni Kissinger ne s’embarrassaient des risques que cela supposait ». Néanmoins cette première étape destinée à éviter la présidence d’Allende, échoua, ce qui déclencha une deuxième réunion d’urgence. A ce niveau, comme conclusion du Church Inform, avec Allende installé à la Moneda, tous les efforts de la Maison Blanche « étaient orientés vers le coup d’Etat militaire ».
Le résultat de cette manœuvre US engendre aujourd’hui, 35 ans après les faits, les réflexions intéressantes et inédites de quatre intellectuels chiliens bien placés, sur une lecture de l’histoire, sur les conséquences actuelles, au Chili, de la victorieuse stratégie des Etats-Unis, sur son perfectionnement et son incursion dans d’autres pays du tiers monde, sur la nécessaire mémoire historique et sur le rôle des médias.
(1)Henry Kissinger, White House Years (Brown, Boston : Little, 1978)
(2)Richard Helms, A Look over my Shoulder (New York: Random House, 2003)
Patricia Parga-Vega est journaliste, membre de l'équipe Investig’Action.
Traduction: José Gregorio, Investig’Action
Commentaires (7) | Réagir ?
merci
merci