A quoi servent, désormais, toutes les daïras ?
La e-administration généralisée fera économiser à l'Etat plus de 2 milliards de dinars par an, a déclaré Noureddine Bedoui, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, lors d'un point de presse à l'issue d'une visite de travail effectuée dans la wilaya d'Alger.
La modernisation de l'administration publique, a-t-il ajouté, qui n'est plus un choix mais un besoin vital indispensable, est également un prélude à la mise en place de la gouvernance électronique ; elle permettra d'humaniser les relations entre l'administration et le citoyen et de lutter, radicalement, contre la lourdeur bureaucratique, les passe-droits et la corruption. Il faut dire que le ministre de l'intérieur et des collectivités locales a, depuis son installation à la tête du département, mis les bouchées doubles pour convaincre ceux qui pouvaient douter encore de sa volonté de "faire bouger les lignes" !
Mais, s'interroge-t-on, comment par exemple compte-t-il s'y prendre pour lutter, efficacement, contre le phénomène de la bureaucratie ? En simplifiant les procédures, a-t-il dit ; il faut codifier et ne rien laisser à l'appréciation du préposé au guichet ou d'un agent public "mal-luné" ! Parfois aussi, a dit le ministre, c'est l'excès de zèle et de prudence administrative ou plus encore, la méconnaissance de la réglementation qui sont à la source des désagréments subis par les usagers de l'administration ; notre souhait a souvent rappelé Noureddine Bedoui, est que nos fonctionnaires nous accompagnent dans cette mission de «modernisation et d'informatisation» de l'administration publique. Et surtout, de décentralisation et déconcentration ! Comme cette décision de délocaliser la délivrance du passeport et de la carte d'identité biométriques ; une volonté prêtée au ministre de l'intérieur qui agit, bien sûr, au nom de l'exécutif pour renforcer le service public, appuyer et soutenir, davantage, l'institution communale.
Une révolution ! Ce qui, a priori, est de nature à plaire à tous les édiles d'Algérie, mais aussi aux formations politiques, de l'opposition notamment celles qui n'ont eu de cesse de réclamer "plus de pouvoirs" aux élus locaux. Désormais, et cela a été transcrit, tout ou presque repose sur la commune ! Le ministre de l'intérieur le justifie en disant :"!Nous avons dans notre vision d'amendement du code de la commune, le souci de renforcer le rôle de cette dernière et de confirmer ses missions de principal producteur de service public ; le passeport et la carte d'identité biométriques ainsi que la carte d'immatriculation des véhicules sont des preuves tangibles de notre bonne volonté !". Les propos, il se plaît à les rappeler à chacune de ses sorties, en insistant sur le fait que l'objectif de "gestion informatisée intégrée" est un impératif de management. L'œuvre à accomplir dans ce domaine vise, non seulement à appuyer ce qui a été déjà fait (élégant clin d'œil, sans doute, aux illustres prédécesseurs Zerhouni, Ould Kablia et Belaïz), mais aussi, à "formater" certains esprits et certains disques durs, a fait remarquer non sans rire, le ministre de l'intérieur et des collectivités locales à l'occasion de sa tournée dans les wilayas. Tout se fera, désormais, via le net ! Cette déclaration de Noureddine Bedoui a fait beaucoup de bruit. Les agents communaux, ceux notamment en charge de l'état civil, ont été sidérés par cette annonce et surtout inquiets pour leur avenir. Noureddine Bedoui s'est, pourtant, voulu rassurant en tenant à partir de Tlemcen, où il a de nouveau évoqué la question des ressources humaines, que les agents concernés seront redéployés dans des tâches de "développement local".
L'état civil, on l'aura compris, est aux mains des communes. La wilaya de Bouira, par exemple, a réservé une cagnotte globale de près de 666 milliards de dinars pour le financement des services de l'état civil au profit de ses 45 communes. Il faut ajouter aussi, la création de 31 nouvelles antennes communales. L'ensemble de ces entités administratives ont été équipées en matériel d'informatique et raccordées aux réseaux de la fibre optique. Coût de l'opération 65 millions de dinars, auxquels il faut ajouter la formation de 588 agents. Bien évidemment, cet effort financier de l'Etat, touchera l'ensemble des wilayas et des communes du territoire national.
Désormais, la délivrance du passeport et de la carte nationale d'identité biométriques se fera, exclusivement, au niveau de l'état civil des communes : "quand un citoyen se présente à la circonscription administrative pour demander ses documents, il est automatiquement orienté vers sa commune de résidence", a expliqué à l'APS, le chef de cabinet de la wilaya d'Alger, Mohamed Amrani. Est-ce à dire que les circonscriptions administratives et les daïras n'ont été que des "niches bureaucratiques" qu'il fallait, absolument, "débroussailler" ? Au profit de communes plus efficaces en matière d’état civil ?
Parlons justement de ces circonscriptions administratives ou plus encore des wilayas déléguées. Voilà un dossier que le gouvernement a ouvert alors que le pays est en mesure d'en faire l'économie, crise de pétrole oblige ! Il n'empêche que des millions d'Algériens nourrissent encore l'espoir de voir leur daïra accéder au statut de wilaya ! Un espoir justifié surtout par les opportunités nourries par certains politiques opportunistes, ce qui donne au débat qui s'installe, un caractère des plus passionnés, le tribalisme en prime. Et avec tous les risques de dérapages qui en découlent.
Ceci étant dit, pour Bedoui l'opération de déconcentration de la délivrance des documents de circulation répond à une stratégie de modernisation de l'administration, de lutte contre la bureaucratie, en un mot et ce sont ses propos «il faut arriver à une administration sans papiers !». Difficile d'obtenir davantage du ministre de l'intérieur, même si d'aucuns commencent à s'interroger sur l'avenir des 545 daïras ou plus, dont les fondements viennent d'être, sérieusement, ébranlés. Alors, de là à reparler de la création de nouvelles wilayas, c'est vite aller en besogne. Même Amar Saâdani ne s'y risquerait pas !
Mais sinon à quoi, désormais, vont servir ces entités administratives ? Dépouillées de tout ce qui constituait l'essentiel de leurs activités, le passeport, la carte d'identité, le permis de conduire et la carte grise, leurs attributions se sont réduites comme peau de chagrin. Est-ce qu'il y a encore une place pour elles au moment même où on renforce les attributions du wali "manager" et où on demande au maire de créer de l'investissement et de l'emploi ? Les daïras sont-elles devenues des institutions archaïques qui n'ont plus d'autre sens que de préserver des employés sous-employés?
Autrefois, espaces de commandement appréciables, elles sont devenues des échelons administratifs de plus en plus inconsistants. Contestées par la population qui, pour un oui ou un non, déverse sa colère sur elles en les «cadenassant», elles résistent, stoïquement, mais jusqu'à quand ! Même en termes d'attractivité économique et d'investissement, elles ne servent pas à grand-chose, puisque c'est aux maires et autres walis, qu'échoit la mission d'attirer les investisseurs et les commerces. Grâce au foncier, qui relève désormais des prérogatives des chefs d'exécutif de wilayas !
A moins de trouver une "mission" qui remotive les chefs de daïra qui, faut-il l’admettre, ne seront pas très occupés à l'avenir. Déjà, ils n'ont pas les mêmes fonctions que les walis. Ni les mêmes pouvoirs. Le contrôle de légalité des comptes et des budgets des communes n'est pas, n'a jamais été de leur ressort, par exemple.
Quels services peuvent-ils encore rendre aux administrés ? Dans les petites daïras rurales, l'effectif ne dépasse pas parfois les 9 à 10 fonctionnaires. Chef de Daïra compris ! Dans d'autres, l'absence du titulaire du poste pendant de longues périodes, ouvre la voie à toutes les spéculations : serions-nous dans cette façon de gérer, dans l'hypothèse de suppression de la daïra ? En la laissant sans chef ? Que dire aussi des daïras qui cohabitent à moins de 15 kms les unes des autres ? De tous ces bâtiments vides ou quelques agents, une dizaine ou un petit peu plus, occupent 1000 m² !
Autrement dit, les services qui peuvent être rendus aux citoyens par les daïras, à l'orée de 2016, seront, disons-le insignifiants. Mais pas leur coût de fonctionnement, à l'ère du pétrole en baisse. Il est vrai qu'aucun ministre de l'intérieur n'a osé toucher, de façon frontale, à la carte des daïras depuis 1990. Pourtant l'Etat, en ces temps de rationalisation des dépenses publiques, pourrait escompter, avec leur suppression partielle ou totale, une économie facilement chiffrable et en tous les cas, bienvenue en ces temps de disettes.
Rappelons, pour la bonne compréhension, que les chefs de daïra sont à la tête d'institutions qui n'ont ni budget, ni instance de délibération et de validation des décisions de dépenses, et sont donc démunies de tout instrument de réalisation de leur politique.
Alors, disons-le sans ambages : Noureddine Bedoui, sera-t-il ce ministre qui, dans son effort de modernisation de l'administration, irait jusqu'à proposer la réforme des daïras, leur réorganisation voire même leur suppression ? Le gouvernement, pour sa part, sait qu'il manœuvre en terrain miné et que les arbitrages politiques et surtout locaux, seront essentiels à la mise en place d'une éventuelle réorganisation territoriale. Difficile à croire pour l'instant, même si l'heure est à la réduction des dépenses publiques et à leur rationalisation. Ce qui apparaît comme un impératif absolu. A contrario pourtant, ils sont nombreux ceux qui estiment que les chefs de daïra sont des rouages essentiels de l'Etats, les relais, partout sur le territoire, des politiques de l'Etat, des questions de sécurité, à celles de l'aménagement en passant par leur rôle d'arbitrage en matière de développement local principalement. Certes, la population se plaint du chef de daïra dans certains territoires, mais ceux qui râlent le plus, seront les premiers à contester la suppression de leur daïra. Y compris dans les rangs des formations politiques. Ouvrons une parenthèse pour rendre hommage à tous chefs de daïras qui ont sacrifié leur vie au service de l'Etat ; et aussi à tous ceux qui, jetés dans l'arène en 1990/1991, ont eu le mérite de monter leur administration à partir du néant. Avec en prime, l'adversité des élus de l'ex-parti dissous, qui étaient opposés au découpage de l'époque et aussi celle de leur responsable direct qui, virant sa cuti, les a «lâchés» au soir du premier tour des législatives avortées pensant que la République allait basculer.
Parenthèse fermée, que faut-il faire dès lors qu'il semble vital de préserver le lien entre la population et les daïras ; c'est une question de cohésion sociale, dit-on. On l'aura compris, autour des daïras se greffent beaucoup de services de proximité et d'antennes des différentes administrations. Sans compter des fonctionnaires de haute qualité. De ce qui précède, faut-il attendre des décisions en la matière, ou pour le moins, espérer l'ouverture d'une réflexion en ayant à l'esprit que :
1. La suppression des daïras en l'état porterait un coup grave à l'aménagement du territoire.
2. La transformation de quelques-unes d'entre-elles en "antennes communales" serait, a priori, judicieuse.
3. Le maintien des daïras en zone très urbaine, là où les administrés peuvent aller rapidement à la wilaya en transport en commun voire à pied, ne participe pas de la rationalité encore moins de la logique et donc leur dissolution serait envisageable.
4. La suppression des 47 daïras des chefs-lieux de wilayas, une aberration en quelque sorte, peut être aussi prise sans risque, immédiatement, dès lors qu'elles ont perdu leur utilité. Avec, au final, un gain important pour le budget de l'Etat.
5. La fusion entre une ou deux petites daïras distantes de 10 à 15 km peut être expérimentée. Avec un seul chef daïra aux commandes.
6. Le maintien des daïras en milieu rural semble indiscutable, car on est loin de tout. En revanche, il faudrait travailler pour rassembler plus de services dans un même lieu. Une sorte de "maison de l'Etat".
7. La consolidation, voire la multiplication des daïras dans le grand Sud est indiscutable.
En conclusion, que va faire Noureddine Bedoui à qui, tout semble réussir pour l'instant :
- Va-t-il, par exemple maintenir sa politique de modernisation de l'action de l'Etat et poursuivre sa réforme jusqu'à réorganiser ces daïras dont l'existence n'apparaît plus comme indispensable ? Et du coup, mener une réforme territoriale qui porterait son nom?
- ou peut-être, souhaite-il ménager la population qui reste très attachée aux symboles et surtout aux acquis ?
Le coût, on l'aura compris, n'est pas le même en période de vaches maigres !
Cherif Ali
Commentaires (1) | Réagir ?
A rien ! Si ce n'est pour stopper le schmiblick! Mes excuses Coluche mais ton machin ne marche pas en Algerie.