Hocine Aït Ahmed, un projet d’unité nationale
Que les très rares lecteurs qui se rappellent encore de ma violente rupture avec ce parti (FFS) et son dirigeant ne se méprennent pas. Je ne renie rien de l’accusation grave et publique que j’ai portée auprès de l’instance nationale, il y a de nombreuses années.
Cependant, je ne peux aujourd’hui dissimuler un grand chagrin car l’homme était incontestablement l’idée que je me faisais de l’Algérie. Même s’il n’avait rien à faire en leader de parti si ce n’est à nous faire prendre, en tant que membres du bureau national exécutif, tous les risques sans que nous pouvions justifier où il se trouvait et ce qu’il faisait. La rupture n’a donc aucunement porté sur les idées, bien au contraire.
Aujourd’hui, j’apprends que cet homme nous a quittés. On s’attendrait à un discours de flagornerie et convenu comme envers tout disparu, je préfère témoigner d’une anecdote personnelle et de deux points particuliers de notre combat commun pendant un temps.
Parmi beaucoup d’autres rencontres personnelles et amicales, il en est une qui restera gravée en moi car elle a suscité une vraie réflexion. J’avais été invité dans sa maison familiale, sur les hauteurs de la Grande Kabylie. Une de ces maisons qui créent les légendes de jeunesse et qui enracinent à jamais dans la terre qui vous a vu naître.
Après le repas, il m’a dit : "Viens que je te montre un paysage qui me touche". Comme la maison était en surplomb, on apercevait sur la colline d’en face un village kabyle qui lui a presque tiré les larmes des yeux. "Tu vois, ce qui m’étonne le plus est que le soir, je vois les lumières du village, une sensation qui n’existait pas dans ma jeunesse car tous ces villages de Kabylie étaient privés de lumière".
Ce jour-là, j’ai ressenti l’arrachement que l’on pouvait ressentir après une histoire personnelle qui n’est véritablement jamais choisie et qui impose à chacun un parcours très éloigné de sa propre colline. A ce moment, je voulais lui dire que ce village était autant le mien que le sien et que la langue et la culture qui pouvaient laisser croire à nos différences ne pouvaient rompre notre identité commune. Ce village, c’était Les Planteurs sur les hauteurs d’Oran ou Boudghen pendant mes vacances à Tlemcen, deux amas de maisons populaires bâties sur un flanc de la colline. Un village, qu’importe où il se trouve en Algérie, qu’importe son histoire locale et les langues qu’on y parle, ils sont tous la représentation de notre identité. Celle d’un oranais, non berbérophone, ou d’un natif des hauteurs de Kabylie, ces deux identités sont alors parues incrustées dans un même moment d’évocation. Ce jour-là, en cet instant, j’ai ressenti l’Algérie comme une entité unique.
Cet homme était ce que j’avais espéré pour la reconstruction nationale dans toutes ses composantes. Il a combattu pour la reconnaissance de la culture algérienne multiple, j’en ai fait de même et continue à le faire, très modestement. Quel que soit le reproche au Secrétaire national, dur et assumé, l’homme était sur ce point d’une sincérité sans faille et je voyais toujours à son visage la marque de l’outrage lorsqu’il entendait un berbérophone s’exprimer avec la même bêtise raciste que lui-même n’a cessé de combattre chez certains arabophones enfermés dans leurs préjugés et leur radicalité.
Puis je choisirai de privilégier deux autres aspects de notre combat politique commun. Le premier concerne la période de l’ouverture politique (supposée) et de notre retour en Algérie. Entre autres recommandations, il avait exprimé le désir que l’on fasse profiter les associations de défense des femmes du maximum de couverture médiatique possible. Notre premier rendez-vous leur avait été consacré et personne ne peut nous accuser d’une manipulation politique car, en dehors de la dictature militaire, jamais un texte nous aura autant horrifiés de sa barbarie que le fera, quelques mois plus tard, le projet de Code de la famille.
Dans cette série d’initiatives, je devais rencontrer l’une des anciennes représentantes du mouvement afin de l’intégrer dans un reportage d’Envoyé spécial qui se préparait. Très rapidement, je me suis hélas aperçu que cette dame était loin de se préoccuper du sort des femmes mais du sien. Avec un ton péremptoire et un langage précieux que le public algérien lui connaîtra plus tard, son ambition était toute autre que la mienne. Aït Ahmed, plus conciliant à son égard, me disait avec un sourire moqueur "celle que tu aimes bien", sans la nommer, pour accentuer sa moquerie envers ma détestation.
L’histoire m’a donné raison car cette pasionaria supposée au service des femmes rejoindra quelque temps plus tard, le pire des régimes népotiques pour y assurer une fonction des plus médiatiques en avalisant l’horreur absolue pour les femmes, le Code de la famille. Cela ne l’a jamais gênée, et en plus, avec la charge du ministère de la Culture.
Il restera pour moi celui qui a toujours été à l’avant-garde de la défense des droits des femmes. Nous partagions, bien évidemment, cette position et j’ai gardé une expression de lui que je répète toujours dans mes articles militants pour l’abolition du Code de la famille, «ce texte me glace le sang» aimait-il à dire.
Le second point que je souhaite mettre à l’actif de l’homme est sa position vis-à-vis du Front islamique du salut. On peut penser ce qu’on veut mais notre réflexion commune nous a amenés à déclarer que ce mouvement était le résultat prévisible du régime militaire. Mais c’était trop tard, le basculement vers l’horreur survint. Certains diront, comme nous, que le coup d’état militaire et la suspension du vote était le catalyseur du basculement, d’autres nous opposeront que l’horreur était déjà en route et que nous étions de dangereux naïfs.
Quoi qu’il en soit, je partageais intimement l’analyse d’Ait Ahmed consistant à dire que la barbarie islamiste est la fille légitime du régime militaire. On ne pouvait s’empêcher de penser, à chaque fois qu’un gamin plongeait dans la barbarie en étranglant des femmes, enfants et pères de familles, que sa place normale, dans un grand pays pétrolier, aurait été sur les bancs de l’université et non dans l’enfer que représentait sa nouvelle vie. Pour nous, un centième des revenus de la corruption des officiers militaires pouvait largement alimenter le financement de sa vie paisible et éduquée, à l’Université ou dans un travail décent. Cela, il le pensait sincèrement, c’est à l’honneur de la démocratie et j’en témoigne.
Je me souviens de la violente opposition que nous avions eu à ce sujet avec la rédaction du Matin et de son charismatique rédacteur en chef, que je salue car, depuis, j’ai racheté indirectement mon amitié (nous ne nous connaissons pas) en publiant sur El Watan une tribune d’indignation à propos du scandaleux sort qui lui a été réservé. C’est bien mince mais les combattants de la démocratie peuvent prendre des positions qui divergent un moment sans jamais s’éloigner.
Beaucoup d’autres points peuvent être relatés sur ce grand homme avec lequel j’ai rompu durement mais là n’est pas l’essentiel car ce n’est qu’une goutte insignifiante de l’histoire. Lui, le berbérophone, moi, l’oranais, nous avons fait un petit bout de chemin ensemble. Je ne regrette rien, qu’il repose en paix avec la certitude que je lui rends hommage pour ses positions.
Sid Lakhdar Boumédiene
Enseignant
Commentaires (23) | Réagir ?
Ce pays appartient à tous ses enfants !!! surtout ceux qui ont donné leur vie pour lui !!!
Personne n'a hérité de son père un acte de propriété de ce pays !!! surtout pas les partisans et les déchets de FAFA !!!
Mr ait Ameur vous n'etes certainment pas kabyle car il ne peut pas y avoir un seul kabyle en lagerie qui ne sache pas que le FFS a été fondé en 1963 et non pas en 1953 comme vous l avez ecrit a plusieurs reprises dans vos commentaires. Vous tes un pollueur du site :Le matin. dz vous decouvrira bientot inchallah !!