Condoleezza Rice entre Tocqueville et le troisième mandat
En deux f'tour et trois conférences de presse expédiés sur le pouce, la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice vient de nous rappeler, au Maghreb, ce que nous savions sans vraiment le savoir : il y a une démocratie pour les Américains et une autre par les Américains.
Les deux n'ont , bien évidemment, rien à voir l'une avec l'autre. Car tous les connaisseurs vous le diront : on ne mange un vrai hamburger qu'en Amérique. Or c'est cela, la démocratie pour les Américains : comme le hamburger ou The Star- Spangled Banner, l'hymne national, elle est sacrée, non amendable et ne se conçoit et ne se consomme qu'en Amérique.
La démocratie par les Américains, elle, est un succédanée de la première, façonnable selon les intérêts du moments, un faux hamburger exportable vers les peuples mineurs, les Arabes, les Africains et les descendants d'Incas, assaisonnée avec des ingrédients douteux et « vendue » comme une vraie démocratie par les camelots américains eux-mêmes.
C'est cette « démocratie » travestie qu'est venue conforter Condoleezza Rice au Maghreb.
Aucun Américain normalement constitué, c'est à dire celui qui ne trouverait aucunement à son goût un hamburger fait à Tripoli ou un donut préparé à Alger, aucun Américain ne trouverait de la saveur démocratique à Kadhafi, Ben Ali ou Bouteflika, trois autocrates cyniques qui comptent régner à vie.
Aucun Américain sauf Condoleezza Rice.
A chacun d'eux elle a trouvé une qualité, un mérite, un mot gentil, un de ces mamours pour chat appliqué aux tyrans et que eux, despotes pittoresques et frustes, un peu rustauds, un peu godiches, pris par le vertige de la toute puissance absolue qui s’offre soudain à eux, ont bien sûr pris à la lettre et comptent exploiter pour mieux s'accrocher au pouvoir.
Peu importait pour Rice qu'aucun des trois autocrates ne tolère qu'un contre-pouvoir ne se mettre en place ni que chacun d'eux veille à l’abolition des libertés publiques, au règne de la corruption et use à satiété de la répression, peu importait à Rice que chacun des tyrans était signalé par les marqueurs universels de la gestion mafieuse de la chose publique.
Peu importait à Rice que ces autocrates ne soient que des parvenus qui se comportent en monarques archaïques, des fier-à-bras qui tiennent en otage un pays, maquillé en fausse République, et qui ne comptent pas le lâcher.
Ce qui importait c'était le pétrole, le GMO ou les échanges commerciaux, toutes ces choses dont des éditorialistes plus avertis que moi, vont certainement vous entretenir avec brio.
Rice n'est pas venue défendre la démocratie, celle de l’alternance démocratique que prescrivait Tocqueville, il y a deux siècles déjà, préconisant que « le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui ».
Rice est venue consolider trois créatures du despotisme arabe qui comptent persuader le peuple de ne pas se passer de lui.
Car Tocqueville, n'est-ce pas, avait dit cela à propos de la démocratie en Amérique (photo). Un livre culte que Rice doit certainement garder à son chevet.
Je la devine, une fois de retour à Washington, s'envoyer une fournée de hamburgers pour éliminer le goût de ces satanés boureks et autres chorbas que lui ont infligés les tyrans rustauds.
Quant à nous, heureux consommateurs de boureks et de faux hamburgers, nous oublierons Tocqueville et la démocratie en Amérique, pour adorer « démocratiquement » notre Guide Bouteflika comme on vénèrerait le souverain de Babylone, nous oublierons qu’il est aussi inamovible que le Tigre et l’Euphrate, et nous finirons par admettre qu’il est la réincarnation des rois de l’âge d’or, des palais de mille et une nuits et de toutes nos légendes.
Et à nos enfants qui rêveront d'Amérique, nous laisserons cet extrait de De la démocratie en Amérique d'Alexis Tocqueville : «Les hommes ne sauraient jouir de la liberté politique sans l’acheter par quelques sacrifices, et ils ne s’en emparent jamais qu’avec beaucoup d’efforts.»
Mohamed Benchicou
Commentaires (9) | Réagir ?
En deux mots: les dirigeants du Maghreb comme ceux du monde arabe, sont connus pour leur égocentrisme, leur aliénation et ne servent que leurs intérêts.
Pour l'Algérie, nous devrions tous œuvrer ensemble pour sauver ce beau pays, qui a un peuple glorieux, qui a su résister de tous les temps et qui est épuisé par un quotidien très dur.
Que notre identité ne soit plus un moyen de division, mais une richesse dans sa grande diversité.
Benchicou, vos interventions sont toujours pertinentes et ne laissent personne indifférent. Qu'on s'organise tous ensemble pour que chacun apporte à ce merveilleux pays sa pierre pour construire l'avenir de nos enfants.
Mohammed, Tout ce que tu dis est vrai. Je ne trouve strictement rien qui ne soit pas en adéquation avec ce que je pense de toi, de ton intelligence, de ton savoir et de ta perspicacité.
Seulement voila que je trouve NORMAL que Condoleezza Rice nous traite comme on doit traiter un arabe ou un maghrébin : le caresser dans le sens du poil et lui faire comprendre qu’il est tout beau et tout joli comme il est. Condoleezza Rice ne fait que renvoyer l’image à ces dirigeants arabo-maghrébins de ce qu’ils croient être. Il ne faut surtout pas en vouloir à cette dame qui sert les intérêts de son pays, et elle les sert bien. Tu crois que c’est de sa faute si les dirigeants arabo-maghrébins veulent être traités comme des enfants gâtés qu’on doit chouchouter et complimenter tout le temps ?
Mais pendant que nous faisons de notre mieux pour sortir de cet état de minables perpétuel, de l’arabisme débile, du maghrébisme folklorique, toi et toute la classe journalistique continuez à nous enfoncer encore un peu plus en faisant la promotion de ces terme et de ces appartenances farfelues.
Sans le vouloir et sans le savoir, vous êtres les chantres du rêve de Napoléon III. Le moment où le monde aura compris que nous ne voulons servir que nos intérêts et ceux du peuple algérien, loin des maghrébismes réducteurs et des arabismes archaïques, ce jour là, nous serons traités avec respect et obligeance. Avant ça, j’espère que le monde continuera à nous traiter comme les minus que nous sommes car nous ne méritons pas mieux.