L'Algérie en crise : la nécessité d'une stratégie de développement durable (I)
Les sociétés contemporaines sont marquées par un contexte particulier de multiplication des controverses socio-économico-environnementales et de demande grandissante de participation de la société civile dans la prise de décision liée aux projets de développement économique.
Ces nouvelles attentes et les enjeux qui s'y rattachent sont représentés par le concept d'acceptabilité sociale qui est, en ce moment, sur toutes les lèvres dans le microsome pour les promoteurs de projets majeurs, des décideurs publics et dans la sphère médiatique. Ce phénomène n'épargne pas l'Algérie. En effet, les préoccupations socio-économico-environnementales interpellent de plus en plus les Algériens, comme en témoigne la multiplication des mobilisations des citoyens, au Sud comme au Nord. Le cas très récent de la mobilisation contre l'exploitation du gaz de schiste en Algérie s'inscrit justement dans cette dynamique. Bien que ce mouvement protestataire ne semble pas s'être encore organisé en termes de structure, il réussit toutefois à changer le cours des événements.
Les controverses portant sur l’acceptabilité sociale des projets industriels et des entreprises se sont multipliées au cours de la dernière décennie dans le monde et particulièrement en Algérie. Les questions liées aux relations entreprises-communautés se sont ainsi imposées comme un enjeu majeur de gestion des entreprises en Algérie tant pour les entreprises que pour les pouvoirs publics, particulièrement dans le secteur des ressources naturelles qui représente plus du tiers du PIB algérien, 98% de ses exportations et plus de 70% des recettes publiques. Plus généralement, nombre de controverses liées à des situations présentant une acceptabilité faible ou nulle ont récemment éclaté en Algérie autour de projets dits de développement (Voir table 1 qui présente une liste). Les tensions liées à ces relations ont également des coûts qui paralysent les activités de l’entreprise et qui causent parfois l’arrêt de ses activités. Compte tenu de ces éléments, nul doute que la compréhension de l’interface des entreprises avec leurs communautés locales est devenue une préoccupation stratégique pour les entreprises.
Le rapport de la direction générale de la sûreté nationale évoque clairement que les citoyens algériens revendiquent de plus en plus leurs besoins dans la rue : le nombre de manifestations a d'ailleurs augmenté de 62% sur la période 2014-2015, passant de 3 866 à 6 188 au premier semestre. Spontanées dans bien des cas, ces mobilisations citoyennes prennent diverses formes selon le rapport, des sit-in devant des places publiques et administratives aux coupures de routes et actes de sabotage. L'amélioration des conditions de vie et socioprofessionnelles, l'accès au logement ainsi que la participation dans les mécanismes de prise de décision à l'égard de projets de développement représentent les premières sources revendications. Selon ce rapport, les manifestations contre l'exploitation du gaz de schiste représentent un autre facteur important à l'origine de l'amplification des manifestations de rue; plus de 338 mobilisations ont été notées depuis le début de l'année 2015.
Depuis la nationalisation des hydrocarbures, décision historique décidée et annoncée par l'ancien président Houari Boumediene en 24 février 1971, l’État algérien prend depuis le contrôle majoritaire des projets liés à l'exploitation des hydrocarbures (51%) par l'entremise de la Sonatrach - clé de voûte de l'économie algérienne - une entreprise publique algérienne qui génère 30% du PNB de l'Algérie avec un chiffre d'affaires de 71 milliards de dollars et près de 120 000 salariés à travers le territoire algérien. Les pouvoirs publics se sont ainsi retrouvés dans des positions ambigües dans ces controverses de par leur difficulté à distinguer entre leur rôle de promoteur de ces projets de développement économique d’une part, et de «gardien du bien commun» et de la préservation du patrimoine environnemental, social et culturel local d’autre part.
Les entreprises opérant dans le domaine de l'énergie et des mines sont les plus affectées par cette problématique en Algérie, et cela s'explique notamment par l'importance des investissements réalisés dans ces secteurs d'activité durant la dernière décennie. En particulier, la Sonatrach fait régulièrement face à de nombreuses perturbations générées par les populations locales, notamment dans les régions sahariennes, dont la plus récente est celle liée au projet d’exploitation du gaz de schiste au niveau de la région de In Salah (2014-2015). Le tableau 1 montre toutefois que les enjeux d'acceptabilité sociale en Algérie transcendent la nature des activités et concernent aussi bien des projets d'exploitation des ressources naturelles, que des projets d'urbanisme et d'infrastructures.
Par exemple, dans sa récente étude visant à examiner les enjeux d'acceptabilité sociale dans le secteur minier en Algérie, un chercheur de l'Univeristé de Khemis Miliana a noté que nombre de projets sont lancés dans les wilayas de Ain Defla et de Bejaïa dans des contextes controversés. Les causes apparentes de ces controverses sont à rechercher, en grande partie, dans leurs déficits en matière d’acceptabilité sociale. Si bien que l'auteur note qu'un nombre important de ces projets contestés sont menés sans la consultation des populations locales, donnant lieu à des réactions contestataires au niveau local qui prennent la forme de sabotages, de mobilisations et de poursuites judiciaires. Pourtant, le cadre législatif algérien évoque que toute activité liée à l'exploitation des ressources naturelles doit impérativement obéir à la règlementation en vigueur en ce qui a trait à la protection de l'environnement (Décret exécutif de 2007, #7-144 et #7-145) qui explicite les modalités que doivent respecter les projets en matière de protection de l'environnement.
Quand bien même ces nouvelles réglementations encadrent la réalisation des projets aux impacts socio-environnementaux élevés afin de faciliter leur adoption par les parties prenantes locales, des conflits locaux continuent d'émerger en Algérie autour des grands projets liés à diverses activités, en particulier dans le secteur extractif. En effet, l'activité minière est particulièrement touchée par ces controverses ce qui influence et entrave de manière importante ce secteur stratégique sur lequel le développement algérien repose. Le cas du secteur minier en Algérie, particulièrement dans les régions de Ain Defla et de Bejaïa, est révélateur alors que se secteur occupe un rôle primordial dans la stratégie de développement algérien. En effet, les différents programmes d'infrastructures proposés par le président Bouteflika durant son deuxième et troisième quinquennat (2004-2014) afin de satisfaire les besoins de la population et d'assurer un développement équilibré entre les 48 wilayas du pays ont nécessité d'importantes quantités de matières premières (agrégat, sable et ciment particulièrement). Parmi ces projets de développement figurent en tête de liste le lancement de la réalisation d'un programme d'un million de logements sur 5 ans, ainsi que des projets structurants dans le domaine de transport avec l'autoroute est-ouest, l'autoroute des hauts plateaux, la réalisation de nouvelles lignes ferroviaires, l'achèvement du métro d'Alger, et le lancement des tramways à Constantine, Alger et Oran.
Les quantités de matières premières utilisées furent importantes, si bien que de nombreuses dispositions ont été prises par l'état algérien afin d'encourager l’exploitation dans le domaine minier afin de répondre à la demande croissante. Selon le Ministère des travaux publics (2009), les projets d'infrastructures publiques entrepris entre 2005 et 2009 ont utilisé 70 millions de tonnes de granulats, 28 millions de tonnes de sables, 8 millions de tonnes de bitumes et 2,5 millions de tonnes de ciment. Ce chercheur rappelle d'ailleurs que les décideurs dans le domaine minier sont intervenus afin d'accompagner le secteur des travaux publics dans son développement en mettant l'emphase sur la disposition des matériaux nécessaires. Le secteur minier a ainsi mis en place de nombreux projets d'expansion afin de garantir la disponibilité des matériaux. Mais nombre de ces projets et d'exploitations minières furent ralentis par des contestations de populations locales. En effet, la wilaya de Bejaïa, comptant le plus grand nombre de carrières d'agrégats en ce qui concerne l'exploitation minière, a connu d'importantes mobilisations citoyennes à l'encontre de certains exploitants de carrières causant ainsi l'arrêt d'une dizaine de carrières durant les dernières années. Ces arrêts ont engendré d'importantes pertes financières pour les promoteurs, ainsi que d'importants retards dans la réalisation des programmes d'infrastructures, qui pénalisent en retour les citoyens. D'ailleurs, les responsables locaux signaleraient en 2008 qu'en matière d'agrégats, Bejaïa enregistrait un déficit de plus de 50% en raison de la fermeture de nombreuses carrières opérationnelles suite à des mobilisations citoyennes. Par ricochet, les programmes de développement ont eux aussi accusé certains retards dues aux pénuries d'agrégats, alors que les régions de Bejaïa et de Ain Defla continuaient d'observer le rejet des populations locales de nouvelles carrières dans leurs communes.
Plus récemment, entre décembre 2014 et le premier semestre de 2015, les mobilisations sociales ont retenti en Algérie contre l’exploitation future des gaz de schiste comme en témoignent les dizaines de milliers de manifestants présents le 15 janvier 2015 à In Salah, Tamanrasset, et Ouargla. Entre décembre 2014 et mai 2015, plusieurs dizaines de marches pacifiques ont été organisées à travers le territoire national, rassemblant plus de 25 000 manifestants dans les grandes villes du Sud. La mobilisation des populations locales à l'encontre de l'exploitation du gaz de schiste a probablement été l'une des mobilisations les plus importantes qu'ait connue l'Algérie en matière d'exploitation des ressources naturelles. Cette mobilisation s'est certainement nourrie des mobilisations d'autres nations contre l'exploitation du gaz de schiste, comme en témoignent les cas récents du Canada, de la France ou encore de la Roumanie. Elle a également été impulsée par l'effet de surprise qu'a proliféré l'annonce de l'entame de l'exploration de deux puits dans le Sud algérien et qui a indigné les populations locales ainsi que la société civile dans son ensemble. (Lire la suite : L'Algérie en crise : la nécessité d'une stratégie de développement durable (II))
Sofiane Baba
L'auteur est doctorant et chargé de cours à HEC Montréal en management. Ses recherches portent sur la responsabilité sociale des entreprises, le développement durable les enjeux d'acceptabilité sociale.
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