Arabie saoudite : voir Mina et mourir !
Ce n’est pas parce que les pèlerins émettent, généralement, le souhait de mourir et d’être enterrés dans les lieux saints de l’islam, qu’il faut se féliciter qu’il y ait autant d’admis au paradis, en un jour. (*)
Deux drames successifs viennent de mettre l’Arabie Saoudite au-devant de la scène mondiale : une bousculade à Mina, près de la Mecque, s’est terminée, tragiquement, par la mort de plus de 800 pèlerins et autant d’autres blessés à des degrés divers. Auparavant, comme une malédiction, une grue s’est effondrée sur les hadjis en prière à la Grande Mosquée de la Mecque, tuant 149 d’entre eux et en blessant plus d’une centaine.
Pour le premier accident, les autorités saoudiennes ont évoqué la fatalité. Pour Mina elles ont, tout bonnement accusé les hadjis d’avoir fait montre d’indiscipline. Bien évidemment, les musulmans du monde entier se sont insurgés contre ces déclarations : c’est criminel, disent-ils, que de chercher à se disculper et se dédouaner des pertes de vies humaines par centaines d’innocentes victimes venues de loin et au prix de sacrifices pour beaucoup d’entre-elles, afin d’accomplir et de vivre le temps d’un pèlerinage, leur foi, sur les lieux d’origine de leur croyance.
Pour l’heure, le ministre de la santé saoudien, celui-là même qui taxait les hadjis "d’indisciplinés" promet une «enquête rapide et transparente", au moment même où le roi Salmane a ordonné, sans plus attendre, "une réflexion sur la réorganisation du hadj». Ce qui est de nature à apporter de l’eau au moulin de l’Iran par exemple, qui déplore plus de 460 morts dans la tragédie de Mina, et qui exige, non seulement d’être associé à l’enquête, mais formule également "une proposition de refonte de l’organisation du pèlerinage !". On peut, sans risquer d’emprunter un raccourci non indiqué, accuser l’Iran Chiite de chercher noise au voisin saoudien sunnite, en mettant sur la table cette question mais, au demeurant, ce n’est pas le seul pays qui en a fait la demande. En Turquie, par exemple, des voix se sont élevées, comme celle de Mohamed Ali Chahine, un chef de parti d’obédience islamique, pour dire que "leur pays était capable d’organiser le hadj, autant sinon mieux que l’Arabie Saoudite". Il y a, également, Abdelbari Atwan, journaliste palestinien qui a fustigé dans sa dernière chronique "les princes saoudiens qui brillent par leur manque de compétence, leur mauvaise gestion et leur outrecuidance !".
A Londres, le quotidien The Guardian n’a pas été en reste en publiant un article de son rédacteur en chef du service Moyen-Orient, mettant en évidence cette déclaration d’un hadji : «(…) ce n’est pas mon premier pèlerinage, mais c’est mon dernier ! (…)". Le Pape, lui-même, a déploré le nombre excessif de morts, pour dire que les événements tragiques de Mina ont choqué le monde entier !
La presse saoudienne, comme de bien entendu, n’est pas restée les bras croisés. S’appuyant sur des témoignages, elle a affirmé que «des pèlerins iraniens auraient refusé de respecter les directives des organisateurs, d’où la bousculade qui expliquerait, selon elle, le nombre important de victimes parmi les iraniens». Assurément, cette tragédie a donné du grain à moudre à beaucoup de pays musulmans qui font face, par ailleurs, à d’énormes difficultés économiques, chute du pétrole oblige, et qui auraient trouvé, ainsi, l’occasion d’épingler l’Arabie Saoudite et d’exiger d’elle «un droit de regard" sinon une «alternance" dans la gestion du hadj ! Plus que ça, certains d’entre eux proposent la mise en place d’une ONG, qui fonctionnerait comme le Vatican ! Il faut revenir, disent-ils "aux principes de gestion des lieux saints tels qu’ils étaient en 1932, avant d’être annulés par la fondation du royaume saoudien !".
Bien sûr l’Arabie Saoudite ne l’entend pas de cette oreille et ne compte pas tergiverser sur ce qu’elle considère comme sa «souveraineté» ! Et encore moins «présenter des excuses» comme l’ont invité les autorités iraniennes !». La Mecque est, depuis plus de 80 ans, la chasse gardée de la dynastie saoudienne, qui en fait l’instrument de sa légitimité politique et religieuse. Selon Ziauddin Sandar, un intellectuel britannique d’origine pakistanaise qui a écrit un livre intitulé «histoire de la Mecque», l’Arabie Saoudite a choisi d’agir comme si cette ville n’avait ni préhistoire, ni histoire avant le prophète Mohamed (QSSSL), ni histoire avant lui !
En 1973, par exemple, cette volonté d’effacer toute trace du passé a conduit les autorités saoudiennes à raser, au bulldozer, des quartiers entiers qui abritaient des cites historiques, anéantissant du coup, un irremplaçable patrimoine historique, cultuel et culturel.
Et ce n’est pas fini, ajoute l’auteur du livre, puisqu’en 2005, la mosquée Bilâl, probablement édifiée à l’époque du prophète (QSSSL), est démolie sous un prétexte purement «sécuritaire» : elle jouxtait le palais du roi Fahd !
En 2010, la maison supposée de Khadidja, première épouse du prophète (QSSSL) se voit recycler en bloc sanitaire, au sein d’un luxueux complexe résidentiel, avec vue plongeante sur la mosquée sacrée et la Qaâba. D’après Ziauddin Sandar, pour ériger ce "clinquant architectural" démesuré, il aura fallu détruire quelque 400 édifices, soit 95% de l’héritage millénaire de la Ville Sainte. La Mecque d’aujourd’hui, est la quasi propriété privée de la monarchie saoudienne, originaire du Nadj (région centrale de l’Arabie). A partir de 1970, celle-ci livrera la "Mère des Cités" à des spéculateurs immobiliers et à des entrepreneurs avides dont le fameux clan Ben Laden. La Mosquée Sacrée, elle-même, est atteinte par ce gigantisme : "a cité comptait un nouveau dieu, l’argent !". L’argent du pétrole semblait consumer la Mecque, déplore l’auteur du livre, en comparant ce développement hybride à celui de Houston ou de Las Vegas !
En 1979, la Mosquée Sacrée sera occupée durant deux semaines sanglantes par des centaines de rebelles décidés à en finir avec le "culte de l’argent, la corruption et la déviance religieuse de la famille royale" ! Cela s’est terminé dans un effroyable bain de sang. La Mecque connaitra d’autres crises, toutes aussi déchirantes, dues notamment, à l’hostilité entre l’Arabie Saoudite sunnite et l’Iran chiite. Et rien n’exclut, écrit Sandar dans son livre, que Daech la prenne pour cible un jour ; ce qui l’amène à conclure «que les événements qui s’y produisent, sont un concentré de la condition des musulmans du monde entier et des difficultés qui sont les leurs : quand la Ville Sainte, cœur de l’islam, est souillée, polluée, culturellement aride et envahie par la corruption, le reste du monde islamique ne s’en sort guère mieux !», a rappelé l’écrivain.
Aujourd’hui, plus que jamais, les saoudiens sont en face d’un grand défi, eux qui conçoivent le pèlerinage comme l’occasion d’une gigantesque campagne publicitaire et qui interprètent le succès du hadj comme un plébiscite en faveur des Al Saoud. Dans leurs déclarations, ils s’attachent à rappeler trois éléments fondamentaux, selon eux :
- personne dans l’histoire de l’islam n’a autant fait pour les Lieux Saints que les Al Saoud : 20 milliards $ ont été dépensés, uniquement, ces dix dernières années
- l’argent du pétrole, un «don de Dieu» sert à financer l’amélioration de l’accueil des hadjis et leur confort
- le roi peut, légitimement, revendiquer le titre de «serviteur des Deux Lieux Saints de l’islam» et aussi prétendre à présider la «Oumma» !
Ce que les pays musulmans ne contestent pas, ou peu ou prou, jusqu’au drame de Mina, qui aurait pu être évité, selon certains, si des travaux d’aménagement de la Vallée avaient été entrepris, à l’instar de ce qui a été construit à la Mecque : «entasser des milliers de fidèles dans un espace inextensible, ne fera que mettre en danger les vies humaines ; l’augmentation proportionnelle de la demande d’accomplir le hadj mettra la pression sur l’Arabie Saoudite qui sera forcée de limiter le visa d’entrée sur son territoire et ne l’accorder qu’une fois dans la vie à tout prétendant au hadj» (**).
En attendant que le problème soit pris en charge, on est loin de l’Arabie Saoudite du roi Fayçal qui, après la guerre d’octobre 1973, a usé de son poids pour imposer un embargo sur le pétrole qui a bouleversé le marché énergétique international, a permis à l’OPEP d’avoir une place enviable pour la prise de décision et permettre au peuple palestinien de mieux faire connaître sa cause. Depuis Mina, les musulmans en général, et leurs dirigeants en partie, appellent à des réformes.
En Algérie, le président de la République a adressé au souverain d’Arabie Saoudite, un message de condoléance dans lequel il exprime «(…) sa consternation et sa profonde affliction en apprenant la nouvelle du tragique incident survenu à Mina, qui a coûté la vie à des centaines de hadjis, parmi lesquels se trouvaient des algériens (…)». Que pouvons-nous, sinon que de nous résigner devant la volonté de Dieu (…), a ajouté le président de la République.
Quant à Mohamed Aissa, le ministre des affaires religieuses qui s’est gardé de tout commentaire désobligeant envers le pays hôte, obligation de réserve oblige, ne s’est pas ménagé pour :
- critiquer, une fois encore, «certaines» agences de voyage défaillantes qui n’ont pas respecté le cahier des charges
- accuser ceux qui, «parmi les enfants des hadjis (combien sont-ils ?), ont envoyé leurs parents à la Mecque nonobstant leur état mental déficient, dans la perspective de les voir décéder en ces lieux» ; cela relève du pénal, a ajouté le ministre.
- interdire à l’avenir, le pèlerinage aux personnes âgées et malade.
Critiques redondantes envers les agences de voyage, accusations non fondées, volonté de restreindre la liberté de circulation, beaucoup critiquent le ministre des affaires religieuses et ne sont pas d’accord avec ses observations. D’ailleurs, et en ces temps de rationalisation des dépenses publiques, ils ne verraient pas d’un mauvais œil la dissolution de «l’Office du Hadj et de la Omra», organe budgétivore et dont l’efficacité est, à chaque fois, remise en question ; dans tous les pays musulmans, c’est le ministère de l’intérieur, chargé des cultes, qui prend en charge l’organisation du hadj, en fonction du quota de pèlerins fixé par les autorités saoudiennes. Aux candidats au pèlerinage de contracter toutes les assurances obligatoires et de voyager avec l’agence de leur choix ! Et aux pouvoirs publics de faire le bilan de chaque campagne, d’en tirer les conséquences et d’appliquer la loi, rien que la loi, à tout opérateur défaillant.
Le hadj, une énorme pompe à fric ! Si le royaume saoudien investit chaque année des montants colossaux, c’est que le retour sur investissement est important :
- en 2012, le nombre de pèlerins avait dépassé les 3 millions et avait rapporté 16 milliards $
- en 2020, la recette attendue est de 90 milliards $
- certaines informations évoquent 5 millions de hadjis au pèlerinage de cette année, soit une densité de 9 personnes/m² à Mina !!! (**) et le défi pour les autorités saoudiennes consisterait à ne pas dépasser la densité de trois personnes au m² à la Qaâba et à Mina, zones d’encombrement.
A moins de prendre le risque, de défier les lois de la physique et de jouer avec la vie des pèlerins.
Cherif Ali
Renvois :
(*) Sofiane Ait-Iflis. Edito/liberté
(**) Ahmed Farrah «l’hécatombe n’est pas près de s’arrêter à la Mecque»
Commentaires (5) | Réagir ?
La culture Arabe/Sunnite, elle est axée sur la mort et le paradis, et toute les publicité sur la Mecque et l'Arabie Saoudite.
Il y a un vrai débat qui est rejeté par les dirigeants des pays se réclament de la société arabe, tant que ce débat n'aura pas lieu, le monde dit arabe, ne pourra pas avancer dans la modernité comme les autres nations du monde.
Hypocrite qu'ils sont et pour cela ils reçoivent les aident des pays occidentaux qu'ils achètent avec les pétros-dollars.
Pourquoi, dans le temps à l'époque du prophète, la parole était libre à tout le peuple, et pourquoi, et pourquoi aujourd'hui il ne faut pas discuter sur certains sujet de la religion.
Les plus grands spécialistes mondiaux et musulmans, reconnaissent qu'il y a un plus problème, sauf chez les dirigeants de ces pays.
Parce qu'ils ont simplement peur de perdre leurs privilèges des dictatures instaurés dans leurs pays.
Pour celui qui parle de densité de hadjs au mètre carré. Non, c'est comme en Algérie, dans les bus c'est 30 à 40 au mètre carré. Khalli yatlâa, pousse-toi serrez-vous