Le maréchal-président Al-Sissi est-il le sauveur de l'Egypte ?
Après l'obsédante question de «où va l'Egypte?», relayée par tous les médias du monde suite au marathon postrévolutionnaire du Caire ponctué de violentes vagues de fond, vient maintenant le tour d'une autre problématique, très complexe celle-là : le képi du maréchal Abdelfettah Al-Sissi enterrera-t-il à jamais les quelques velléités démocratiques, nées dans le giron du Printemps arabe ou posera-t-il, au contraire, la pierre à une Égypte nouvelle, moderne, progressiste, plurielle et démocratique?
En vérité, à l'inverse de l'organisation islamiste des frères qui, elle, crie à la trahison et à la révolte, presque tous les Egyptiens voient dans la personne d'Al-Sissi, militaire de son état, le seul homme capable, du moins dans les circonstances actuelles, d'empêcher la chute de leur pays dans les abîmes. Les masses préfèrent en fait sa poigne de fer à la mollesse des élites corrompues, embourgeoisées et déconnectées de leur vécu quotidien. Mais est-ce un critère suffisant pour prétendre qu'il est l'homme qu'il faut à cette Égypte, aujourd’hui fragile, de 90 millions d'habitants prise en étau entre une crise économique difficile, des ambitions occidentales de plus en plus envahissantes et un foyer régional en pleine ébullition ? Et de l'installer en plus dans l'imaginaire collectif des masses en tant que héros ? N’aurait-on pas peur par exemple du retour de la dictature sous les habits de la légitimité ou d’autres motifs qui tiennent en particulier au rôle joué par ce «raïs» dans le processus de mise en marche des institutions de l'Etat? Et puis comment se fait-il que cette même Égypte revienne à l'étape initiale dont elle s'est pourtant bien efforcée de sortir ? L'essentiel est, paraît-il, que le scénario à l’algérienne est évité de justesse. On n'en sait pas trop. Ce qui est uniquement sûr après tout est que l'opinion publique, atteinte de déceptions et de fatalisme de l’ère Morsi, tend à croire aux mirages du militarisme et à la thèse sécuritaire.
Car, même sans grand charisme, le maréchal est comparé par les classes populaires, les couches moyennes, les hommes d'affaires, les technocrates, les libéraux, les intellectuels, les nassériens, les coptes et même certains milieux salafistes, aux éminentes figures de l'histoire tels que Nasser, Napoléon, ou le général de Gaulle. Autrement dit, un mythe moderne dont l'aura du «sauveur» de la république ne cesse de s'élargir. Lequel a pu, en outre, rétablir l'ordre après tant d'anarchie et de tiraillements entres tas tendances en lutte et aux intérêts conflictuels (les frères islamistes, les laïcs révoltés du square Al-Tahrir, les affidés de l'ancien système de Moubarak, les coptes, etc). Reste la réaction des jeunes révoltés qui, ayant pris dès l'intronisation d’Al-Sissi à la magistrature suprême du recul face au cours de événements, emprisonnés pour certains ou simplement malmenés par les forces de l'ordre, observent la scène avec autant de circonspection et surtout d'un œil très inquiet s'interrogeant si vraiment ce militaire qui a pourtant, en début de 2013, hésité à prendre le pouvoir, puis s'est empressé de s'en emparer fera l'affaire de tous. Et parler du lointain slogan «du pain et de la justice» du 25 janvier 2011! Que du pipeau! Cela ne vaut absolument aucun sens face à la menace terroriste grandissante exploitée et agitée comme un danger imminent par la nouvelle nomenclature cairote. L'intervention musclée de l’Égypte au mois de février dernier dans l'est libyen contre les unités de Daesh a été une démonstration de force en appui à cette dynamique. Le maréchal tente de se repositionner sur l'échelle régionale après 3 ans de léthargie (abandon des négociations avec le F.M.I entre 2011 et 2013) sur fond de troubles et de rejet unanime de la confrérie islamiste, surfant à l'occasion sur la vague internationale de la lutte anti-djihadiste qui préoccupe en premier lieu les chancelleries occidentales. Celles-ci sont en train de peser le pour et le contre concernant leur soutien aux autorités égyptiennes (la France et la Grande-Bretagne en particulier). Quant aux Américains, ils n'ont pas changé de cap depuis qu'ils ont suspendu leur aide militaire à l'armée égyptienne suite au coup de force mené contre l'ex-président Morsi.
Barack Obama et ses conseillers au bureau ovale de la Maison Blanche y ont vu un flagrant délit anti-constitutionnel quoiqu’ils se soient refusé depuis à tout commentaire ou attitude ouvertement hostile par rapport aux rebondissements ultérieurs. Cela découle peut-être de l'esprit du «New Beginning», le fameux discours du Caire en 2009 où Barack Obama semble donner plus d'importance à la volonté des peuples de s'autodéterminer. Et puis, comme il ne lui reste pas assez de temps en tant que président des U.S.A, il tente de se restreindre à une certaine neutralité positive au bénéfice de lui-même et du camp démocrate. Mais au-delà de ces questions de stratégie, l’Égypte est dans l'impasse parce qu’économiquement très atrophiée. Présentement, elle a besoin de 300 milliards pour se remettre en marche correctement. Un énorme chiffre qui dénote de l'appauvrissement relatif sinon progressif des couches moyennes.
Conscient de l'impact des troubles du Printemps arabe sur l'économie touristique, les fortes baisses des revenus du canal du Suez, le déficit public, le chômage endémique, etc, le raîs fort de son élection du mois de mai 2014 a saisi l'opportunité de la conférence pour le développement de l’Égypte tenue le mois de mars dernier, à Charm-el-Cheikh pour convaincre les investisseurs étrangers du retour de la stabilité et de la solidité des institutions. D'autant que les donateurs du Golfe qui ont, rappelons-le bien, été d'un grand secours à l'époque où Morsi était aux commandes (24,8 milliards de dollars d'aide sous formes d'investissements directs) sont peu fiables.
La raison principale en est que la donne géostratégique a viré en défaveur des islamistes. A ce titre, l’Arabie Saoudite, les Emirates Arabes Unis, le Qatar, le Koweït et même la Turquie qui étaient parties prenantes du processus démocratique égyptien sous Morsi s'efforcent, à l'heure qu'il est, de le rester en prêtant à l’Égypte d'Al-Sissi et en la forçant à augmenter les prix des carburants. Chose qui aurait pu soulever l'ire des populations n'était-ce l'intervention de l'armée in extremis pour assurer le relais en période de grève des prestataires de services. C'est pourquoi, lors du sommet de la tripartite en juin à l'issue duquel a été signé l'accord du libre-échange entre 26 pays africains (des contrats d'investissement de plus de 36 milliards de dollars, dépassant de loin les 15 à 20 milliards espérés auparavant), le maréchal aurait tenté dans un souci d'autonomie de dévier son axe économique vers l'Afrique. Un message du refus clair dirigé aux oligarchies du Golfe. En gros, il semble que dans la logique d'Al-Sissi le renversement de Morsi est loin d'être un meurtre moral de la démocratie, bien au contraire, il a agi, laisse-t-il entendre, en bon militaire, amoureux de son pays, adepte de l'ordre et de la discipline. Les Egyptiens et la communauté internationale seront-ils prêts cautionner cette idée ? Les années qui viennent nous en donneraient probablement un début de réponse.
Kamal Guerroua
Commentaires (1) | Réagir ?
Monsieur, Guerroua, est-ce que vous avez des doutes sur cet homme. hé bien je vais vous les enlever.
Posez-vous cette question, et examiner l'histoire du monde islamique, mise à part ceux qui sont imprégnez d'autres culture tout en se revendiquant être musulman comme l'Indonésie et les autres de cette région.
Le reste qui prie en se tournant vers la Mecque, connaissent qu'une culture la dictature, c'est écrit dans les gènes du livre coranique, le prophète à tout inventé, c'est pour cela que le monde dit arabe est rester figé, au V eme siècle.
Si, vous ajoutez que cet homme est un militaire, comme tout les militaires, il faut de la discipline, mais la leur seulement, vous aurez compris, que sauf, si les Egyptiens descendent encore dans la rue, la dictature, c'est ce qui attend nos frères Egyptiens.