Rentrée littéraire en France : Boualem Sansal et Yasmina Khadra sont attendus
Yasmina Khadra se prend pour Kadhafi, Laurent Binet règle son compte à Roland Barthes, Christine Angot parle de ses parents et Delphine de Vigan sort de son silence: riche de près de 600 romans, la rentrée littéraire débute le 19 août.
Le chiffre semble colossal mais c'est un peu moins que l'an passé avec 589 titres à paraître d'ici octobre. Cette baisse touche aussi bien la littérature française que la littérature étrangère : 393 romans français sont prévus, dont 68 premiers romans. Le nombre de romans traduits à paraître entre août et octobre se fixe à 196, a recensé le magazine spécialisé, Livres Hebdo.
Contrairement aux autres années où un ou deux noms d'écrivain prenaient toute la lumière, cette rentrée littéraire offre un éventail de choix plus ouvert. "L'exofiction" ou l'art de créer une fiction à partir d'éléments réels demeure un genre qui a le vent en poupe.
L'Algérien Yasmina Khadra en donne une magistrale illustration avec "La dernière nuit du Raïs" (Julliard, sortie le 24 août) où il se glisse dans la tête de Mouammar Kadhafi juste avant sa mort. Et si Roland Barthes avait été assassiné, se demande pour sa part Laurent Binet dans "La septième fonction du langage" (Grasset) un roman truculent qui dézingue quasiment toute l'intelligentsia parisienne.
C'est un fait divers des années 1950 qui inspire Philippe Jaenada qui reconstitue avec "La petite femelle" (Julliard, sortie le 24 août) le parcours de la jeune meurtrière Pauline Dubuisson dont l'histoire avait déjà troublé Georges Clouzot dans le film "La vérité" avec Brigitte Bardot. Même le vieil Hugo continue d'inspirer. Judith Perrignon revient sur l'enterrement du père des Misérables, qui a réuni une foule immense dans Paris le 1er juin 1885, avec "Victor Hugo vient de mourir" (L'Iconoclaste).
La famille reste également un domaine choyé par les auteurs. Avec "Eva" (Stock), Simon Liberati écrit un portrait de sa femme Eva Ionesco. Le livre, en librairie le 19 août, a bénéficié d'un certain écho en raison de la plainte déposée début août par la mère d'Eva, la photographe Irina Ionesco, réclamant de censurer certains passages de l'ouvrage. La photographe a été déboutée et le livre sortira sans coupures.
Valeur "sûre" des éditions Flammarion qui ont prévu un tirage de 25.000 exemplaires pour son livre, Christine Angot revient quant à elle dans "Un amour impossible" sur la rencontre de ses parents.
Delphine de Vigan, auréolée du succès de "Rien ne s'oppose à la nuit" en 2011, propose "D'après une histoire vraie" (JC Lattès), roman terriblement malin, sous le signe de Stephen King, où elle s'ingénie à brouiller les pistes entre fiction et réalité.
Considéré comme un poids-lourd de la rentrée, Mathias Enard entraîne ses lecteurs vers le Moyen-Orient, au risque parfois de les perdre en chemin par excès d'érudition, avec "Boussole" (Actes Sud).
"2084" (Gallimard) de l'Algérien Boualem Sansal est peut-être le roman le plus courageux et le plus terrifiant de la rentrée. Inspiré du chef d'oeuvre d'Orwell, "1984" le roman de Sansal, sous-titré "la fin du monde", imagine un monde soumis à la cruelle loi divine d'un dieu qu'on prie neuf fois par jour. On pense inévitablement à Daech.
Le ton est plus léger, bien qu'il soit question d'un meurtre, chez Amélie Nothomb. "Le crime du comte Neville" ressemble à une nouvelle d'Oscar Wilde et Albin Michel, sûr du succès de son auteure fétiche, a prévu un tirage de 200.000 exemplaires pour ce 23e titre d'Amélie Nothomb.
Dans "Profession du père" (Grasset), le journaliste Sorj Chalandon dresse le portrait d'un père mythomane et tyran domestique et Alain Mabanckou se confronte à l'enfance avec "Petit piment" (Seuil).
Quant à Tristan Garcia ce n'est pas un mais sept romans qu'il livre à ses lecteurs. Roman inclassable aux portes de la science-fiction ou de l'essai philosophique, "7" (Gallimard) est l'un des romans les plus intrigants de la rentrée.
AFP
Commentaires (3) | Réagir ?
merci bien pour les informations
Il y a déjà plus d une decennie, notre SANSAL algeroalgerien recommandait d officialiser les 2 langues maternelles la daridja, tamazight et le français.
Mes chers compatriotes
Par Boualem Sansal (Écrivain)
L’écrivain, qui vit à boumerdes, adresse dans un livre une lettre de colère et d’espoir où il rêve d’une Algérie vraiment authentique. Par Boualem Sansal
Quelles sont, selon vous, les raisons du mal-être qui ravage le pays? Les réponses renvoient toutes à ces thèmes que nous ruminons à longueur de temps: l’identité, la langue, la religion, la révolution, l’histoire, l’infaillibilité du raïs. Ce sont là ces sujets tabous que le discours officiel a scellés dans un vocable fort: les Constantes nationales. Défense d’y toucher, on est dans le sacré du Sacré. Stupeur et tremblement sont de rigueur. Ouvrons la boîte des Constantes et faisons la part des choses.
Le peuple algérien est arabe
Cela est vrai, mes frères, à la condition de retirer du compte les Berbères (Kabyles, Chaouis, Mozabites, Touaregs, etc., soit 80% de la population) et les naturalisés de l’histoire (mozarabes, juifs, pieds-noirs, Turcs, coulouglis, Africains… soit 2 à 4%). Les 16 à 18% restants sont des Arabes, personne ne le conteste. Mais on ne peut jurer de rien, il y eut tant d’invasions, d’exodes et de retours dans ce pays, hors la couleur du ciel, rien n’est figé. Nos ancêtres les Gaulois et nos ancêtres les Arabes sont de ce mouvement incessant de l’histoire, et ça laisse des traces. Moi-même, qui ai beaucoup cherché, je suis dans l’incapacité de dire ma part rifaine, kabyle, turque, judéo-berbère, arabe et mon côté français. Nous sommes trop mélangés, dispersés aux quatre vents, il ne nous est pas possible, dans ma famille, de savoir qui nous sommes, d’où nous venons et où nous allons, alors chacun privilégie la part de notre sang qui l’arrange le mieux dans ses démarches administratives. Les Berbères n’ont pas forcément vocation à être, à eux seuls, les enfants de l’Algérie. Le fait d’être là depuis le néolithique n’est pas une fin en soi. Bientôt les Chinois, de plus en plus nombreux chez nous, pourront clamer que l’Algérie est chinoise et il sera difficile de les contredire. Disons que pour le moment l’Algérie est peuplée d’Algériens, descendants des Numides, et on en reste là.
Cette Constante, l’affirmation entêtée d’une arabité cristalline descendue du ciel, est d’un racisme effrayant. En niant en nous notre pluralité multimillénaire et en nous retirant notre élan naturel à nous mêler au monde et à l’absorber, elle nous voue tout simplement à la disparition. Pourquoi veut-on faire de nous les clones parfaits de nos chers et lointains cousins d’Arabie? De quoi, de qui ont-ils peur? Je comprends que les Kabyles, les Berbères les plus ardemment engagés dans le combat identitaire en aient assez d’être vus comme inexistants dans leur propre pays, ou pire, comme une scorie honteuse de l’histoire des Arabes. Mais quand même, s’ingénier à se vouloir arabes par force et s’affirmer kabyles avec la même farouche intensité, c’est pile et face du même racisme. Nous sommes des Algériens, c’est tout, des êtres multicolores et polyglottes, et nos racines plongent partout dans le monde. Toute la Méditerranée coule dans nos veines.
Le peuple algérien est musulman
Clamée avec cette inébranlable intention, cette Constante est une plaie, elle nie radicalement, viscéralement, les non-croyants, les non concernés et ceux qui professent une foi autre que l’islam. En outre, elle offre le moyen à certains de se dire meilleurs musulmans que d’autres, et qu’en vertu de cela ils ont toute latitude de les redresser. De là à songer à les tuer, en même temps que les apostats, les mécréants, les non-pratiquants et les tenants d’une autre foi, il n’y a qu’un pas et il a été maintes fois franchi en toute bonne conscience.
En validant cette Constante, la Constitution, qui stipule que «l’islam est religion d’Etat», fait de l’Etat le garant d’un génocide annoncé et en partie réalisé. Et nous voilà forcés à la peur, à la vigilance, à l’hypocrisie, à la protestation permanente de bonne foi, à la surenchère, bref, à la bigoterie institutionnalisée, et de là, à nous enrôler dans le jeu infernal des chefferies en place. Il faut bien vivre et penser à sa famille. On s’invente une filiation, on se fait une barbe, on se cogne le front contre le mur pour se faire la marque nécrosée du grand dévot, on se déguise en taliban fiévreux. Du mimétisme au fanatisme, il n’y a qu’un pas. La phase suivante de l’islamisme, et elle viendra, c’est un processus cumulatif à explosions périodiques, sera infiniment plus terrible. Affirmer que le peuple algérien est musulman revient à dire: qui n’est pas musulman n’est pas des nôtres. Or tout croyant trouvera sur sa route plus croyant que lui. Si de l’étincelle ne jaillit point la lumière, alors le feu ira à la poudre.
Il n’y a qu’un système qui peut nous sauver de ce processus funeste: la laïcité. Est-ce si sûr, la France laïque est-elle à l’abri de ses intégristes? La laïcité est une condition nécessaire mais non suffisante. Il y a encore tant à faire pour que la liberté, l’égalité et la fraternité soient le pain de chaque jour pour tous. En attendant, chez nous, entre nous, empressons-nous de mettre un peu de laïcité dans notre thé, ce sera ça de gagné. On pourra alors être musulmans sans avoir de comptes à rendre à personne, sauf à Allah, le jour du Jugement dernier. Et d’ores et déjà, nous le savons, sa clémence nous est acquise.
Et si le gouvernement voulait bien nous écouter un jour, nous lui suggérerions de supprimer l’enseignement religieux de l’école publique, de fermer les mosquées qui ont proliféré dans les sous-sols des ministères, des administrations, des entreprises, des casernes, de revenir au week-end universel, de réduire la puissance des haut-parleurs des minarets, de fondre l’impôt religieux dans la fiscalité ordinaire, d’intégrer la construction des mosquées dans le plan directeur des villes, etc. L’étape suivante réclame un ingrédient essentiel que le gouvernement ne peut, hélas, pas nous donner: la démocratie.
L’arabe est notre langue
Rien n’est moins évident. L’arabe classique est langue officielle, c’est vrai, mais pas maternelle, pour personne. Chez soi, en famille, dans le clan, la tribu, le arch, le douar, le quartier, c’est notre quotidien, nous parlons en berbère (kabyle, chaoui, tamashek…), en arabe dialectal ou en petit français colonial, voire les trois ensemble quand on a le bonheur de posséder l’un et l’autre. Personne ne le fait en arabe classique, sauf à vouloir passer pour un ministre en diligence ou un imam sur son minbar. Plus tard, les choses se gâtent affreusement: pendant que les parents travaillent en arabe classique (dans certaines administrations) ou en français moderne (dans le reste du monde professionnel), les enfants papotent, jouent, s’amourachent ou se disputent dans l’une ou l’autre des langues berbères ou en arabe dialectal, mais font leurs devoirs en arabe classique, version ministère de l’Education, tandis que leurs grands frères, à l’université, étudient en français et se parlent dans une sorte d’espéranto empruntant à toutes les langues et patois usités dans le pays.
La mauvaise gestion politique de cette question sensible a fini par balkaniser le pays. Trois courants forts se sont taillé chacun son empire dans le système: le courant arabophone, tout-puissant dans l’enseignement primaire et secondaire, la justice, la police, l’administration territoriale, la télévision, les partis de l’Alliance; le courant francophone, appelé aussi Hizb França, le parti de la France, maître absolu dans l’administration centrale, les entreprises, les universités, les grandes écoles, les partis et associations démocratiques, et la communication internationale ; le courant berbérophone, qui s’est fait un nid dans le culturel marginalisé. Un quatrième courant, récent, dit algérianiste, tente timidement de fédérer ces puissants Etats tandis que le courant anglophone, encore peu visible, prépare une offensive globale. La conclusion, vous la connaissez: l’arabe classique est la langue de l’Algérie mais les Algériens parlent d’autres langues. Ça ne vous rappelle pas l’Europe du Moyen Age? Moi, si. Les seigneurs glosaient en latin, les serfs se débrouillaient comme ils pouvaient.
Dans le discours officiel, il y a des affirmations politiques. La première est que nous ignorons l’arabe parce que le colonialisme nous en a frustrés. Y croyez-vous? Moi pas, ou alors qu’on m’explique pourquoi ce foutu colonialisme n’a pas agi de même pour nos autres langues. L’arabe dialectal était enseigné dans ses lycées au côté de l’arabe classique, et nos langues berbères se pratiquaient au vu et au su de ses gendarmes alors même qu’elles véhiculaient dans leurs chants et poèmes un discours des plus insurrectionnels. En outre, l’arabe classique s’enseignait tranquillement dans les écoles coraniques et les medersas, et très officiellement dans les lycées dits franco-musulmans, qui, soit dit en passant, et cela est connu, ont produit de très fins lettrés bilingues. Cela dit, la guerre de libération a essentiellement emprunté à la langue française et à son incomparable essence révolutionnaire pour construire ses plans, véhiculer ses idées, internationaliser la cause. La fameuse proclamation du 1er novembre 1954 de même que la charte de la Soummam ont été rédigées en un français que ne désapprouverait aucunement l’Académie française, encore moins maintenant que notre compatriote Assia Djebbar y siège de plein droit. Notre grand écrivain Kateb Yacine a résumé son élégante pensée en une phrase: «Le français est à nous, c’est un butin de guerre. » La deuxième affirmation est que le colonialisme a nié notre identité et nos origines. Là, c’est vrai, nos ancêtres les Gaulois était d’un ridicule accompli. Ce n’est même pas valable en France, où un Français sur deux a un parent d’origine étrangère, quand ce n’est pas toute la famille. Mais à quelques pour cent près, ne pourrait-on pas dire la même chose à propos de nos ancêtres les Arabes?
Si le gouvernement voulait bien nous écouter, nous lui suggérerions de constitutionnaliser l’arabe dialectal et le français. On n’est jamais fou quand on édicte des lois qui correspondent à la réalité et jamais on n’a assez de langues pour se faire comprendre.
Ainsi décortiquées, lesdites Constantes nationales ne sont en fin de compte que méchantes trouvailles, nuisibles pour la République, dangereuses pour le peuple. Elles sont la mort de la vérité, de la spiritualité, de la saine piété, du patriotisme. Elles ont servi et servent seulement à cela: hiérarchiser et aligner, marginaliser et exclure, légitimer et consacrer, adouber et enrichir. Nos constantes à nous sont simples: liberté d’être et bonheur de douter.