Réponse à Michel Onfray: la pulsion biographique d’un philosophe
Il est évident que la bataille que livre Michel Onfray à l’ignorance est porteuse de beaucoup de bénéfices. Aussi bien pour ses concitoyens que pour nous, installés dans le confort d’être pensé par l’Autre. Je souhaite que ma contribution ne soit pas perçue comme une offensive contre un penseur qui dit non aux mythes, qui traque l’ignorance. Mais, dans l’espace des idées, la critique est fondamentale : elle démécanise l’acte de penser, et déconditionne la Raison. Mais elle peut ne pas libérer la Réflexion. La part du Concept semble avoir été confisquée par les promoteurs des idéologies passionnelles.
Introduction
L’intellectuel, figure fantasmo-mystique créée par des centres idéologiques bourgeois, devient, en ces temps dits modernes, le prédicateur le plus vénéré. Opposer un refus aux opinions émises par ce personnage, ce serait pécher, attenter aux promoteurs de l’asservissement des grilles idéologiques. Le philosophe français Michel Onfray a écrit un livre dans lequel il intentait tous les procès à certaines figures de la gauche française. Cela ne nous intéresse pas beaucoup, nous, Algériens. L’indigénat dans lequel nous maintiennent nos élites politiques nous interdit de parler d’autres sujets que ceux qui concernent nos préoccupations, considérées par nos politiques comme d’un fond populaire détestable. Parler d’un droit social serait, selon certains, faire allégeance aux forces conservatrices : quelle belle analyse ! Les élitistes désapprennent à matérialiser. Michel Onfray ne cache pas ses penchants pour les plateaux, mais cette tare n’est jamais soulignée par les groupuscules avertis à l’idée de la menace de voir l’intellectuel se mercantiliser et faire du spectacle l’inévitable antithèse du savoir. Michel Onfray se trouve dans cette catégorie d’intellectuels dont parlait Gilles Deleuze, qui répondait, à propos des liens du penseur aux médias, en ces termes : "Les intellectuels et les écrivains, même les artistes, sont donc conviés à devenir journalistes s’ils veulent se conformer aux normes. C’est un nouveau type de pensée, la pensée-interview, la pensée-entretien, la pensée-minute. On imagine un livre qui porterait sur un article de journal, et non plus l’inverse. Les rapports de force ont tout à fait changé, entre journalistes et intellectuels."[1]
Désormais, le seuil de l’indicible vient d’être franchi. Dire, pour certaines vedettes des médias, est une jouissance froide, car, pensent-ils, l’écrit ne garantit pas la réalisation carnavalesque de la scène magistrale. Du texte écrit sur Camus, nous ne pouvons commenter que des séquences rapportées par les médias, notre condition socio-historique freine nos appétits intellectuels. Michel Onfray a écrit un livre sur Albert Camus, un livre que ne nous lirons jamais. L’embargo qui nous est imposé par les officines intellectuelles rassure nos tendances à la passivité et à la démission. Le dire, d’une manière métaphorique et avec l’intention de nuire à l’image (fétichisée) accordée à l’intellectuel, cet aveu ne peut nullement atteindre, par l’image qu’il se fait dans l’espace socio-idéologique, le seuil de la bravoure rendu inatteignable par les sports intellectuels devenus d’une extrême ridiculité à la suite des efforts (jolis) arrachés par le réfléchir à l’unité pensante de l’humain.
1° Albert Camus n’a certes pas été de l’équipe qui défendait le droit des Algériens à disposer de leur sort. Ce droit venait d’être traduit, à cause de transmutations historiques qui dépassaient le moment pacifique (de compromis), par la posture révolutionnaire. L’Histoire a doublé Camus, et Michel Onfray aurait un peu de mesure si les arguments par lesquels il défendait Camus étaient sortis de la circularité tranquille de la philosophie dans laquelle il baignait. Il dit, dans l’interview qu’il accordait à une chaîne de télévision, que Camus n’acceptait pas la justice des bombes et du terrorisme. Pour charger Sartre et donner du crédit aux appareils étatiques bâtis sur la répression, la torture et le crime organisé, nous dirions que Camus aurait pu dire ce qu’il pensait du colonialisme en tant que fait politique, plutôt que de penser la présence des forces bourgeoises en Algérie comme un parcours de ritualisation de l’asservissement (version masoch) que mes ancêtres étaient condamnés à subir, au motif qu’ils étaient barbares et qu’ils ont recouru à la violence…face à la civilité des Européens. Cela n’a pas été fait, Camus prônait le compromis, qui n’avait aucun substrat politique. Cet argument charge toute l’intelligentsia française, elle qui s’est tue face aux désastres commis par le colonat, lequel vient d’être étrangement réhabilité et absous de toutes les atrocités par un philosophe fuyant la fonction qui lui est dévolue. Un philosophe qui propose ses services à Ruquier semble regretter le rythme de travail qu’il suivait pour assassiner Freud. L’Ogre intellectuel qu’est Michel Onfray n’aurait pas lu ce que Kateb Yacine écrivait, à propos des dangers de l’embourgeoisement. Kateb disait que beaucoup résistent à la menace et à la torture, mais se mettent à genoux devant le luxe et le confort.
La mobilisation du faciès dans l’appréhension de l’Etre (nous pensons au travail réalisé par Lévinas) est un acte en déplacement dans l’Histoire et dans les espaces savants. L’exploit est réussi grâce au mutisme de nos éclairés, cloîtrés dans les restrictions idéologiques installées par les conceptions mystiques de l’Ordre politique. Un des nôtres a répliqué : Le Monde Diplomatique a refait la lecture du fait. L’idée qui consiste à donner du crédit à des thèses philosophiques par le recours à la biographie a des racines dans le monde intellectuel. Elle provient d’un bourgeois, acquis aux cercles intellectuels mondains semblables à ceux auxquels s’invitent les vedettes des médias. Les salons fermés sont moins dangereux que les plateaux qui n’invitent les regards que pour l’acquiescement. La mémoire des académiciens est encore fraîche : Gilles Deleuze et Pierre Bourdieu prédisaient l’arrivée de philosophes prêts à servir des médias. La théorie est nietzschéenne, l’exécutant est un petit-bourgeois. Sainte-Beuve, portraitiste et biographe mercantile, cachait l’Etre grâce à des habillages idéologiques. «Il [Sainte-Beuve] s'applique à «chercher l'homme dans l'écrivain» et remarque que, pour y parvenir, «on ne saurait étudier de trop près, tandis et à mesure que l'objet vit» (Préface des Critiques et portraits littéraires, 1836). C'est ainsi qu'il s'attachera désormais aux moindres détails pour attraper «le tic familier, le sourire révélateur, la gerçure indéfinissable» («Portrait de Diderot», 1831). Une pareille quête semble exiger que celui qui s'y livre ne soit «ni fanatique, ni même trop convaincu ou épris d'une autre passion quelconque» (article Du génie critique et de Beyle, 1835). Mais la critique ainsi comprise consiste beaucoup plus à décrire les particularités morales qu'à analyser des œuvres littéraires.»[2]
2° Des philosophes français, structuralistes, avaient compris qu’il fallait repenser la lecture des textes. La biographie ne peut déterminer la pensée de l’auteur (l’on peut dire que la biographie n’a pas de rapport de causalité à la pensée du texte, qui peut être perçue sous le prisme d’une subjectivité techniquement totalisée), en dépit de tous les honneurs rendus à Nietzsche, qui défendait la thèse de la psychobiographie. La mort de Dieu (entité grammaticale) ne donne aucun recours d’absolution à l’Etre pensant. Si Nietzsche a proclamé la mort de Dieu, il légitime néanmoins toutes les accusations existentielles proférées contre les marges inconscientes de l’humain. Dieu est mort, donc je suis responsable.
3° Le réquisitoire monté contre Sartre n’est pas profitable à Camus, contrairement à ce que désire Onfray. La tradition d’opposer, par manichéisme, deux figures humaines est le propre des moralistes et des régimes totalitaires. Sartre et Camus divergeaient sur la lecture du problème, cela, cette démarche, ne correspond pas à celle que notre philosophe dit réfuter. Camus voulait réformer l’entité politique française, en acceptant que les siècles de misère refoulés par les populations locales fussent transformés en modèle politique. Transformation réussie sans qu’aucune responsabilité ne soit délimitée. Sartre, pour sa part, croyait que l’Algérie devait se constituer en bloc politique, en dépit de la violence que pouvait déchaîner la pulsion nationaliste. Sartre a très bien vu…il a secouru la conscience européenne (qui a contaminé l’Amérique) en rejetant le clivage ethnique tel que décrété par Michel Onfray. Si l’équipe Sartre n’a pas accompagné l’Histoire, celle-ci aurait été plus sévère et plus totalitaire qu’elle l’est aujourd’hui. Ce sont les Porteurs de Valises qui ont donné du crédit à la modernité, ce sont eux qui ont donné au politique l’image que réclamait le moment historique d’alors. Le clivage ethnique, par lequel procède Michel Onfray, en opposant l’Occident à l’Islam, a échoué, et les doctrinaires de la persécution et de l’assassinat décomplexé, ont, au grand bonheur de nos alliés, triomphé de l’archaïsation dans laquelle les consciences malades de l’Occident et les raisons consacrées voulaient traîner les âmes rebelles et réfractaires au conditionnement garanti par la rationalité temporalisée. Sartre ne voulait pas que l’Algérie restât sous l’emprise des idéologies mystificatrices, alors que Camus était prêt à nous faire croire que le douar était une entité capable de traduire le fait politique. En tout cas, cela ne peut être contredit que par la manipulation psycho-analytique que Onfray trouve très attentatoire à l’esprit de la Science. Onfray est un épistémologue déçu, offensif et trop romantique.
4° Le pathos de Michel Onfray relève d’un ressentiment hégémonique. Le recours à des éléments biographiques pour légitimer ses thèses est un procédé qui obsède Michel Onfray. Fils d’un ouvrier agricole et d’une mère femme de ménage, Michel Onfray se dit le porteur de la cause du peuple. Il dit connaître le peuple. La déduction joint la facilité à l’hégémonie : travailler sur les grandes surfaces éligibles à la vision est une erreur épistémologique qui a drainé l’esprit scientifique contemporain. Le pathos sabote la pulsion d’Histoire. Dans tous les exposés magistraux qu’il fait, Michel Onfray introduit l’indice biographique, pour donner du crédit à ses idées. Je rappelle que c’est son tuteur philosophique qui disait qu’il ne suffisait pas de jouer la victime pour proclamer la justesse de ses idées. Les problèmes existentiels ne donnent pas du crédit à des thèses exposées sur l’espace public. Il oublie, M. Onfray, que le rapprochement, plutôt le mariage, qu’il a accompli avec les médias rend tout le travail intellectuel qu’il a fait sujet à critique, voire à controverse. L’on n’osera pas la tentation nihiliste, en voyant en l’œuvre d’Onfray le désir d’humaniser l’acte matériel par l’Autre. Ce serait le fossé dans lequel veulent nous jeter les fossoyeurs du réfléchir, car Onfray ne cesse la tâche pédagogique dont on a amplement besoin, notamment en ces moments où les zones d’ignorance s’étendent pour contrôler le cosmos. Mais la surmédiatisation signifie une disposition à dire. Il est étonnant, d’ailleurs, que la présence de Onfray dans les médias n’attire pas l’attention des intellectuels. Le familier des médias, qu’est Michel Onfray dans ce cas, caresse dangereusement les instincts nationalistes et culturalistes de la nation française. La Nation n’est pas le substrat signifiant du nationalisme, car le nationalisme n’est pas qu’une conception moderne de l’entité ethnique, c’est aussi un mot qui a vu des charges sémantiques s’ajouter à la couche primitive qui le fonde. N’est-ce pas le nationalisme qui traîna les Européens dans des guerres et à leur donner la justification (culturelle) qui leur était nécessaire ?
5° La fonction du philosophe, c’est l’exercice de la réflexion, c’est aussi un sport qui répugne à beaucoup de moralistes. Les arpenteurs des disciplines scientifiques sont les intermittents joyeux des cirques. En effet, les travaux réalisés par Michel Onfray ne renvoient à la philosophie que par l’Histoire. Plutôt pour l’Histoire, car il dit qu’il veut réécrire l’Histoire. Ce serait une belle œuvre si le Concept était maintenu dans son territoire. Le travail sur le Concept, mené par Onfray, répond à des soucis externes à l’exigence conceptuelle. Après avoir réuni tous les ingrédients moralistes pour discréditer l’œuvre de Freud (c’est un travail policier qui a été réalisé par Onfray), ce philosophe trouve des mérites à Marine Le Pen et au Front National. Pour moi, Algérien, je trouve normal qu’un citoyen français défende les intérêts de son peuple ; mais il est anormal que la philosophie, progressiste d’essence, soit engagée dans de telles œuvres. Freud devrait être haïssable, parce que, d’après Onfray, il était cocaïnomane et il couchait avec sa belle sœur. La critique de Michel Onfray mêlait le travail intellectuel à la biographie. La pensée de Freud ne devait, d’après le raisonnement de Onfray, jouir d’aucun crédit, parce que les systèmes juridiques ont interdit l’usage des drogues. Le texte de Freud est lu avec une option moraliste ultra-conservatrice, sur un ton presque guerrier. La machine policière a été actionnée, pour rendre tout ce qui s’est fait le produit d’une perversion qui voulait, prétend le philosophe, prendre l’humain en otage. Transformer le fantasme en une image universelle qui jetterait les jalons d’une science qui, pour Onfray, est une tromperie. Il faut juste s’interroger sur l’image que se faisait la société des malades, je pense que sans les conceptualisations de Freud, certains malades auraient été exterminés. Michel Onfray connaît le sort réservé aux malades dans les systèmes totalitaires. Nous comprenons que la psychanalyse présente des limites qui fondent naturellement tout système philosophique, mais nous devons nous insurger contre les constructions qui ont pour finalité de caporaliser et de policer les systèmes de réflexion. Faire une maquette fermée, réalisée par des sélections intentionnées, c’est à cette œuvre que se sont offerts, corps et âme, tous les idéologues de l’extrême droite.
6° Il semble que Michel Onfray soit décidé à faire de la confusion son approche du réel. La guerre d’Algérie a certes eu des dérapages, il faut que les historiens, spécialisés dans le domaine, nous éclairent davantage sur cela. Les personnages politiques qui se mettent à disséquer le corps de l’Histoire trichent dans les conceptualisations, en acceptant que la subjectivité pensante soit le foyer des regards séduits et l’abattoir des figures humanisées. Mais, réduire la guerre aux actes terroristes et ne convoquer dans ses exposés que les actes commis (injustement dans certains cas) par les militants du FLN, c’est une ligne de démarcation dans les modes de raisonnement. Les causes de la guerre, c’est la réduction du peuple au silence, ce sont les massacres auxquels s’était livrée l’autorité coloniale, ce sont les enfumades, les pillages, les viols collectifs, la torture, les massacres, les génocides et le reste. Cela n’a pas été évoqué par Michel Onfray. Le compromis que voulait réaliser Camus était saboté par les forces bourgeoises et conservatrices, qui ne voulaient rien céder aux populations locales. Quand Michel Onfray parle de familles musulmanes riches, il ne fait pas la prospection nécessaire pour la compréhension d’un tel phénomène. D’abord, c’est une infime minorité, qui ne trouvait pas de soucis pour rester alliées au colonat, alors que l’horreur avait déjà installé les Algériens dans le moment révolutionnaire. Ensuite, ces musulmans (désignés par leur tendance confessionnelle), catégorie périphérique au bloc civilisé, n’a pas abandonné ses tendances colonialistes, dénoncées et combattues par des courants politiques sans vitalité idéologique (nous pensons à tous ceux qui ont dit non à la pensée unique). Michel Onfray n’accuse que le FLN, car il ne dit presque rien de ce que l’autorité coloniale avait commis. Le terrorisme a été férocement exercé par les commandos de l’OAS sur les musulmans et sur tous ceux qui luttaient contre l’occupation. Les autorités françaises ont mis même des Européens dans les prisons, les ont torturés, parfois même les ont envoyés à la potence. L’ordre idéologique oblige, les intérêts obligent, que vaut un crime devant les caprices des bourgeois ? Nous citerons les plus connus : Yveton, Audin et autres. D’autres disparurent, sans que cette tendre voix du philosophe n’en dise quelque chose. Pilonner Sartre et tous les militants (puisque Sartre ne fut qu’un élément du réseau constitué au profit du FLN), c’est souscrire aux logiques funestes et passives propres à l’œuvre moraliste.
7° Si la dénonciation de la violence devait se faire, elle aurait une condition pour aboutir. Michel Onfray nous dit que Camus était contre la violence, y compris celle exercée par les militants du FLN. Très bien, Professeur ! Sous-entendu que le pouvoir civil exerçait la violence sur les populations, sous-entendu que la violence exercée par le FLN était illégitime. Si l’Etat français se sentait responsable de l’intégrité physique et morale de ses citoyens, il aurait pu renouer avec les masses. Celles-ci auraient compris que l’autorité coloniale n’avait pas engagé une guerre : la propagande aurait pu aider les messies des calmes éternels jetés par un Ciel que voulaient éborgner les Civilisés. Mais, les masses étaient tenues à l’écart de toute consultation concernant leur sort. Le philosophe français puise de l’imaginaire des militaires français (voyageurs et explorateurs), qui considéraient que les masses pouvaient être dressées par le biais de la force et de la famine. Dans beaucoup de récits, ces militaires dont l’impudeur dépasse toutes les bornes du verbal, racontent, sur un ton de jouissance et de sadisme, les œuvres de destruction, de pillage, de crimes auxquelles ils se sont livrés. Pendant la guerre, la guillotine était tout le temps huilée, les camps d’internement remplis, des centres de torture (appelés par les civilisés l’interrogatoire) généralisés. Mais après quoi ? Après des massacres ayant touché des populations fêtant la défaite de l’idéologie nazie. La violence est une marque propre à la France coloniale. L’impudeur est poussée à l’extrême quand Onfray met à égalité les appareils d’Etat, censés protéger le citoyen et qui agissent toutefois contre les masses, et ce qu’il appelle les terroristes du FLN, qui ne demandaient que l’arrêt des brutalités symboliques et matérielles exercées contre les civils. Le colonialisme disait être venu pour civiliser les indigènes. Après un siècle, le colonialisme n’a fait qu’empirer la situation des populations locales. Si la dénonciation avait touché ce versant honteux de la mémoire nationale française, nous aurions compris que le FLN aurait précipité dans l’Action Armée. Mais, à aucun moment, Michel Onfray n’a mis l’accent sur les retombées du colonialisme, lesquelles ont fabriqué de nouveaux réflexes chez les indigènes et ont renforcé le sentiment révolutionnaire. La France coloniale a de tout temps œuvré pour l’aliénation des populations locales.
Conclusion
Des voix ultra-nationalistes algériennes se sont élevées contre l’idée de rendre hommage à Camus. Ces voix rejoignent les thèses de Michel Onfray, en ce sens qu’elles tentent de saboter le tracé que les forces progressistes avaient réussi à faire de l’espace culturel. Si nous considérons Camus comme un personnage qui n’a pas dit ce qu’il fallait dire au moment où on l’interrogeait, cela ne nous permet cependant pas de le chasser de l’espace national et symbolique propre à toute entité politique. Camus est des nôtres, c’est avant tout un Algérien. C’est surtout une plume qui a défié, dans les articles qu’elle a écrits, l’idéologie coloniale. Camus n’a pas fait la courbette devant les mythes qui donnaient de la légitimité au colonialisme. Mais, nous, Algériens, devons, avant qu’une quelconque action soit organisée en faveur de quelqu’un qui n’osait pas intégrer un courant déterminé, contrairement à ce que Camus disait, contrer l’Histoire, honorer la mémoire de ceux qui croyaient que l’Algérie pouvait se constituer en nation. Si la priorité devait être donnée à des intellectuels, il serait anormal d’oublier les élites de la gauche radicale. Pas une action n’a été organisée en faveur de l’équipe des Temps Modernes. Jeanson a été jeté dans la mémoire collective, mais un jour nos enfants viendront se ressourcer d’une altérité qui a tenu à se débarrasser de tous les subterfuges thérapeutiques, lesquels subterfuges ont montré l’horreur de la responsabilité à un sujet verrouillé par les idéologies sectaires. Jeanson a réussi ce que les rêveurs craignent : l’action n’a pas été freinée par le Concept. Ces mêmes voix, nationalo-droitières, n’ont jamais évoqué Sartre, Jeanson, Blanchot, Duras, Vida-Naquet et autres. Les déchets de la pensée nationaliste, laquelle devient l’aimant de tous les bourgeois, veulent se fabriquer un coupable, et Camus leur paraît être le plus représentatif de cette image. Dès lors qu’aucun signe de reconnaissance n’a été manifesté à l’égard de ceux qui ont épousé la cause algérienne, il est de notre devoir de nous interroger sur ceux qui, parmi les élites affiliées aux cercles de décision, viennent trouver à Camus des accointances avec le colonialisme.
Les voix nationalistes, usant d’un discours nauséabond et en déphasage avec les masses sociales, sont responsables du désastre national autant que l’étaient les colonialistes. Et bizarre qu'Albert Camus soit mis à l’index par ces voix, elles, qui n’avaient pas hésité à se dresser contre les ambitions des masses.
Madi Abane
[1] Interview accordée par Gilles Deleuze à la revue bimestrielle Minuit, n° 24, 1977, À propos des nouveaux philosophes et d’un problème plus général (Gilles Deleuze, mai 1977) In
[2] Fayole Roger, Sainte-Beuve, In Universalis 2010 (CD.ROM).
Commentaires (18) | Réagir ?
merci bien pour les informations
Skisi mwa, jipas fini!
Je vous écrit d'un Si Bar Kafi et la triciti est partie sans parler du débit et des chutes de tansyou.
Laissez mwa fi3naytek ya Sidna lmodéro rajouter une louchée.
Tout ce que je retiens de mes lectures c’est que s’agissant d’Onfray concernant Sartre, de vous et de Kateb concernant Camus on est dans le ressentiment. Les écrivains ne sont pas leurs œuvres même s’ils y mettent un peu d’eux mêmes consciemment ou à l’insu de la volonté de leur plein gré.
Onfray reproche à Sartre son embourgeoisement, vous vous tombez dans les même travers.
Wagner avait des accointances, dit-on, avec les nazis, Nietzsche aurait inspiré avec son surhomme l’idéologie arienne, Si Mohand Umhend était un paria. Franchement, vous parlez de « pathos »à propos d’Onfray, mais, vous, vous êtes dans le déni intégral à propos du pathos du colonisé ! Camus était contre l’indépendance des indigènes. :Kateb va jusqu’à lui préférer Faulkner. Sahli et Lachraf ont lapidé Mammeri parce qu’il a commis "La Colline oubliée" , et qu’il a expurgée son œuvre de l’apesanteur coloniale, qu’ils ont comparée à la Colline inspirée de Maurras, un écrivain limite fascisant.
Vous dites la même chose que Kateb de Camus, cela ressemble à une psalmodie : c’est du takrirat. Vous citez Kateb à charge contre Camus. Sauf que Kateb est plus conséquent : il a chassé définitivement Camus du panorama, comme disait Fanon : « la littérature algérienne c’est pas Camus ». Vous, vous l’avez chassé à Poitier, heu… à moitié avant de le roqyé pour le réhabiliter.
Vous n’avez pas lu Onfray, écoutez au moins ce que Kateb dit de Camus. https://www. youtube. com/watch?v=1YLZ92sbB4o »
A propos de colonialisme Camus, comparé à Ferhat Abbas et à tous les algériens réformistes et aux uléma d’avant leur reddition au FLN, est un révolutionnaire.
Et partant, ce que Mammeri en dit aussi : « Moi en temps qu’algérien je me reconnais très bien dans l’Algérie telle que Camus la peint » : https://www. youtube. com/watch?v=ncVD9O_f61s
Et Feraoun : « Il faut dire que Camus était algérien presque au sens physique du mot…. »
https://www. youtube. com/watch?v=MIhNVjNYlws.