Rumen Anaram : "Les Canariens sont conscients de leur origine amazighe"
Historien, étudiant de tamazight et directeur du site Izuran, spécialisé dans la promotion de culture amazigh des îles Canaris, Runem Anaram, a accepté de se confier au Matindz. Le jeune militant culturel résume l’éveil et la conscience des habitants des îles Canaries concernant leur origine et leur langue. Il affirme qu’un travail de fourmi est lancé depuis quelques années pour rétablir leur identité, en dépit de l’oubli dont a sombré la langue amazighe depuis des siècles. Anaram affirme que le nombre des militants pour la cause Amazighe ne cesse de se croitre dans les piles Canaries.
Le Matindz : Les Amazighs des îles Canaries revendiquent-ils toujours leurs droits culturels et identitaires ?
Rumen Anaram: D’abord, il faut préciser que la conscience amazighe aux îles Canaries est d’un genre très différent aux pays voisins du continent (Afrique du Nord). Pour le comprendre, nous devons prendre en considération la situation géographique des îles et l’histoire insulaire qui adonné forme à une identité différente du reste du monde amazighe. Pendant que le continent a été en relation à l’expansion arabe, les Canaris sont restés en marge jusqu’à la conquête européenne (XVe) et en relation avec la colonisation espagnole sur l’Atlantique et l’Amérique. C’est pour ça que les îles Canaries ont tourné le dos au continent. En conséquence, la conscience amazighe est un phénomène récent et autochtone, très lié à l’éveil culturel et à nos origines berbères.
Le Canarien a pris conscience, en premier lieu, de son identité différente de l’espagnole. Ensuite s’il approfondit sa recherche, il découvre les racines indigènes. Actuellement, grâce à l’histoire, à l’archéologie, l’ethnographie, la linguistique comparé, etc, notre berbérité commence à sortir de l’ombre. On sait que les ancêtres indigènes des Canariens étaient nettement Berbères. La toponymie actuelle, prénoms, quelques mots du dialecte espagnol canarien, costumes,...ils ne s’expliquent pas sans la culture amazighe. Malgré le métissage avec les Européens il y a un sentiment et un instinct qui nous subordonne à notre vraie identité.
Il y a un sentiment canarien fort enraciné au sein de la population canarienne. Cependant, les siècles de dépendance, assimilation espagnole et l’absence d’une normalisation de la réalité canarienne dans le système éducatif, rendent difficile la connaissance de la culture et l’histoire canarienne pour la majorité des habitants de nos îles. Toutefois, la culture et identité canarienne sont menacées sérieusement, surtout le patrimoine plus ancestral qui est apparenté à l’amazighité. Tous ces facteurs rendent délicat le développement de la conscience amazigh et sa revendication.
Il n’existe pas encore une revendication spécifique consolidée de l’identité amazighe. Mais il y a une connaissance croissante de nos origines de la culture amazighe. Précisément, depuis la page Izuran on travaille pour diffuser cette connaissance et exceller dans un travail de recherche et d’information au même temps. Nous gardons, par contre, nos distances avec la politique car il est fondamental de laisser travailler les historiens et experts dans ces sujets sans ingérences militantes et des intérêts et autres considérations politiques.
Où se concentrent la plupart des militants canariens de la cause amazighe ?
En Canaries, cette conscience on la trouve intégrée en général dans le mouvement culturel. Les associations culturelles activent sans relâche pour maintenir vif l’héritage ancestral de la culture canarienne. Mais la plupart des militants actifs de la cause amazighe ont intégré le mouvement politique et nationaliste canarien.
Quelles sont les personnalités connues pour leur engagement à cette cause aux îles Canaries ?
Il y a des personnalités remarquables engagées pour la défense de la culture canarienne. J’oserai citer comme exemple des musiciens comme Luis Morera du groupe Taburiente, des historiens à l’image de José Farrujia et Ignacio Reyes et d’autres. Au fait, les militants sont nombreux.
Y a-t-il ceux s’expriment dans cette langue et est-elle enseignée par le mouvement associatif ?
La langue amazighe est tombée dans l’oubli en Canaries depuis des siècles, les dernières références écrites de l’usage en l’île de Tenerife remontent au XVIIe siècle. La disparition de la langue parlée a été conséquence de la conquête (XVe siècle) et la colonisation espagnole. Le peuple canarien actuel est le résultat de la fusion des colons européens et la population indigène berbère. Même si la langue a disparu, dans le dialecte espagnol canarien on continue à distinguer des mots d’origine berbère comme ‘taginaste’, ‘gofio’, ‘tafor’...etc. Toponymes comme ‘Tenerife’, ‘Telde’, ‘Teguise’, Tazacorte...et prénoms.
L’idée de récupérer les dialectes berbères des îles existe mais il n’y a pas suffisamment de moyens matériels. Cependant, malgré les grandes difficultés, quelques Canariens sont en train d’étudier la langue tamazight des pays de l’Afrique du nord, ils sont conscients de la relation importante avec les anciens dialectes indigènes canariens qu’il faut impérativement ressusciter.
Pour l’instant, nous avons seulement une cathedra de Berbère dans l’université de La Laguna (Tenerife) où on fait occasionnellement quelques petits cours de la langue tamazight.
Votre blogue Izuran s’intéresse beaucoup aux revendications identitaires berbères au Maroc et en Algérie, quels sont vos liens avec les mouvements associatifs de ces deux pays ?
Réellement, nos publications se concentrent sur la culture amazighe propre de Canaries avec ses particularités. Cependant, occasionnellement nous traduisons quelque article culturel ou interview que nous considérons de spécial intérêt
Izuran n’est pas une page politique sinon uniquement culturel. Notre relation avec les amis du Maroc, l’Algérie ou d’autres pays se réduit à des contacts et relations sur le sujet de la culture et la langue.
Quelles sont les autres fêtes berbères que vous célébrez en plus de Yennayer ?
Le calendrier de fête en Canaries est clairement encadré dans la tradition catholique. Mais c’est vrai qu’existent quelques fêtes que son résultat de certains processus de syncrétisme comme la Virgen de Candelaria ou la nuit de Saint Jean (Solstice d’été).
En plus, dans les dernières décennies, grâce à la conscience canarien on a récupéré dans quelques villages fêtes comme le ‘Beñesmer’, ancienne fête indigène que commémore la récolte dans le mois d’août.
Rumen Anaram
Que préférez-vous pour la transcription de la langue tamazight, le tifinagh ou le latin ?
C’est un débat très intéressant et compréhensible. Les deux alphabets sont fortement liés à notre langue. Depuis l’antiquité l’alphabet latin était ici à côté du libyque. Dans l’île canarienne de Fuerteventura (Arbani en tamazight) il y a ancienne épigraphie dans laquelle on peut observer écriture amazigh à côté des lettres latines.
Je suis d’accord avec Mouloud Mammeri quand il défendait que dans le futur la langue amazigh on doit s’écrire en tifinagh car c’est notre vraie écriture. Mais d’autre part, je suis d’accord aussi avec Salem Chaker sur l’écriture latine par pragmatisme. C’est vrai, au présent écrire en latin facilite l’enseignement et le développement de la langue. En plus, nous avons une orthographie latine propre adapté à la langue et la majorité des ressources sont en latin avec demi-siècle de histoire.
À mon avis, je pense que ce qui est plus raisonnable est d’arriver à une attitude intermédiaire et pragmatique. Pour l’enseignement et le développement de la langue j’opterais pour le latin, et pour l’art, le symbolisme, la littérature etc. l’écriture tifinagh. Pour moi, comme étudiant du tamazight, le latin est plus facile.
Entretien réalisé par Abdenour Igoudjil
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merci
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