Financement de la campagne électorale de Sarkozy : l'argentier de Kadhafi recherché
L'homme de confiance de Kadhafi est au cœur de l'enquête sur les accusations de financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.
Il tient les cordons de la bourse de Mouammar Kadhafi, vit en exil, sans doute en Afrique du Sud, et se tait : la justice française aimerait recueillir les confidences de Bachir Saleh, dans l'enquête sur les accusations de financement libyen de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007. Dès 2011, Mouammar Kadhafi, son fils Saïf al-Islam et plusieurs dignitaires ont affirmé avoir financé la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. L'ex-premier ministre libyen, Baghdadi Ali al-Mahmoudi, qui s’était enfui en Tunisie avant d’y être arrêté, admettait lors d’un interrogatoire : "J’ai supervisé personnellement le dossier du financement par Tripoli de la campagne de Sarkozy." Sans qu'aucune preuve ne soit jamais apportée. D'autres ont démenti.
S'agit-il d'une calomnie pour faire payer au président Sarkozy son soutien aux insurgés ? Bachir Saleh, comme le fils de Kadhafi, a sans doute la réponse. À la demande des nouvelles autorités libyennes, Interpol avait diffusé en mars 2012 une notice rouge demandant d'interpeller ce sexagénaire né au Niger et pilier du régime. Cette notice n'est plus active sur le site de l'organisation. A-t-elle été levée à la demande des autorités libyennes, ce qui permettrait à Saleh de venir voir les juges ? Interpol se refuse à tout commentaire.
Arrangements
Homme de confiance du dirigeant libyen, Saleh était l'argentier du régime en tant que patron du fonds souverain Libya Africa Investment Portfolio. Selon une source proche du dossier, il était aussi, de 2005 à 2010, un visiteur régulier des autorités françaises de l'époque qui semblent avoir gardé le contact. Une source proche de l'enquête rapporte une écoute d'une conversation téléphonique en 2013, lors de laquelle l'homme d'affaires Alexandre Djouhri informe l'ex-secrétaire général de l'Élysée Claude Guéant que les "socialos" auraient contacté Bachir Saleh pour lui demander de "raconter des conneries" en échange de démarches pour lever la fiche Interpol.
Après une brève escale en Tunisie, c'est en France qu'a débuté l'exil de Saleh. Quand "Paris Match" publie, peu avant le second tour de la présidentielle de 2012, des photos du Libyen à Paris, l'affaire fait grand bruit. Tripoli demande le 2 mai sa remise, Nicolas Sarkozy assure qu'il sera arrêté "s'il est recherché par Interpol". Mais Les Inrockuptibles ont raconté un étrange manège, qui se serait tenu le lendemain au pied de la tour Eiffel : le Libyen y aurait retrouvé Alexandre Djouhri, lequel aurait fait la navette avec un homme de confiance de Nicolas Sarkozy, Bernard Squarcini, patron du renseignement intérieur.
Des éléments, révélés par Mediapart, accréditent des contacts entre les trois hommes : les factures détaillées et la géolocalisation de leurs appareils "démontrent qu'Alexandre Djouhri a été en contact téléphonique ce jour-là, à plusieurs reprises, tant avec Bachir Saleh qu'avec Bernard Squarcini", selon une source proche du dossier. Les téléphones de Saleh et Djouhri déclenchent "des bornes de la zone de la tour Eiffel entre 18 heures et 19 heures ce 3 mai 2012", détaille la source. Celui de "Bernard Squarcini était coupé entre 18 h 24 et 18 h 43, jusqu'à ce qu'Alexandre Djouhri l'appelle à 18 h 44". À 18 h 46, le patron du renseignement intérieur appelle l'ancien avocat de Saleh. "À trois reprises entre 19 h 14 et 20 h 47", Alexandre Djouhri contacte une compagnie de jets privés. Cette société a bien affrété le 3 mai un avion pour Niamey, selon la source.
Perquisitions
La trace en France de Bachir Saleh se perd alors. Du Niger, il aurait rejoint l'Afrique du Sud. Des perquisitions ont été menées en février dans les bureaux genevois d'Alexandre Djouhri, qui n'est pas mis en examen, et d'un banquier franco-yéménite dont les enquêteurs pensent qu'il a administré des comptes liés au fonds souverain libyen. Ce financier est un ancien associé de l'homme d'affaires saoudien Ali Bugshan, mis en examen, car soupçonné d'être à l'origine d'un virement de 500 000 euros à Claude Guéant, que l'ex-ministre de l'Intérieur explique par la vente de toiles flamandes du XVIIe siècle.
Durant l'enquête, Claude Guéant, mis en examen dans le volet concernant ses tableaux, a relativisé ses liens avec Alexandre Djouhri : "Je crois que c'est un apporteur d'affaires. Un seul adjectif me vient à l'esprit : il est très séduisant." Des documents saisis suscitent le doute des juges qui, selon une source proche de l'enquête, pensent qu'ils "sont susceptibles d'étayer l'existence de relations d'affaires" entre eux. "Claude Guéant a toujours dit entretenir des relations amicales avec Alexandre Djouhri mais aucune relation d'affaires", a commenté son avocat, Me Philippe Bouchez-El Ghozi. "Je ne vois pas en quoi ces écoutes viennent contredire cela." Bernard Squarcini et l'avocat de Djouhri, Me Pierre Cornut-Gentille, n'ont pas souhaité commenter.
L.M./AFP
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