Saïd Sadi: l’Algérie, l'échec recommencé ?
Après une première édition qui a connue quelques déboires en 1991, Saïd Sadi vient de rééditer son livre "Algérie: l'échec recommencée?" aux éditions Frantz Fanon.
Un avant-propos d'actualité ouvre sur les conditions d'écriture et de publication de l'ouvrage soulignant les motivations qui l'ont rendu nécessaire par devoir de mémoire et pour faire acte de pédagogie politique.
Ecrit pour une grande part au moment où l'auteur était en prison, "Algérie: l'échec recommencée?" se veut une introspection sur le processus de maturation du mouvement d'émancipation berbère depuis les années 1960 en Algérie, une analyse critique des fondements politiques et idéologiques du régime algérien et de l'élite intellectuelle telle que ce dernier l'a aliéné dans le déni de l'identité amazigh ou reléguée au statut d'une servitude intéressée et assumée.
Ce livre est sans conteste, l'un des rares pour ne pas dire le seul à nous donner une vue d'ensemble des pratiques et discours d'un pouvoir illégitime qui tente l'imposture de façonner l'Algérie et son peuple dans le moule de son idéologie arabo-musulmane par la force brutale que lui offre la maîtrise d'un Etat jacobin hérité de la colonisation.
En explorant jusqu'aux moindres recoins, l'édifice oppressif et répressif dressé sur le chemin de l'expression démocratique et de la reconnaissance de l'identité amazigh, Saïd Sadi nous dévoile les manœuvres, les ruses et subterfuges qui structurent une stratégie anti nationale au service d'une oligarchie qui trône sur un pays qu'elle dévore, dépersonnalise et étouffe sous une dictature implacable.
Tous les alibis qui visent à substituer aux profondeurs culturelles, historiques, sociologiques du pays et aux libertés fondamentales l'identité arabo-musulmane et par-delà, à faire disparaître toute trace de berbérité et de velléité démocratique dans le pays sont recensés, dénoncés et renvoyés à leur nature démagogiques, mensongères et arbitraires par un chapelet d'arguments pointus puisés dans une vision lucide et profondément patriotique.
Si l'analyse souffre quelque peu d'une synthèse conceptuelle et de ce fait nous laisse un peu frustré sur cet aspect, il n'en demeure pas moins que la question identitaire et de la démocratie en Algérie est rendue dans une vision réaliste et critique qui emporterait par la finesse de son analyse l'adhésion des plus sceptiques. Rappelons que cet œuvre à été cogité en 1985 et que l'auteur a tenu à ne pas en modifier la substance et les contours qui témoignent du contexte et de l'état de sa réflexion pour l'époque.
L'expérience politique de Saïd Sadi prend son départ depuis les premiers balbutiements de la revendication berbère dans les années 1960.
Si l'idée de la démocratie a parfois illuminé quelques discours d'une partie de la génération précédente qui a participé à la guerre d'indépendance, celle-ci ne lui donnera pas pour autant l'orientation stratégique nécessaire qui l'aurait porté au sein de la société et transformé par-là même en une force capable de dépasser les mœurs politiques, claniques et militarisées des différents protagonistes qui se disputaient le pouvoir au lendemain du cessez le feu.
Par ailleurs, la berbérité de l'Algérie fut totalement évacuée, voire combattue par ces héros d'un mouvement national marqué jusqu'à l'obsession par le mythe d'une civilisation arabo-musulmane renaissante.
C'est donc à des jeunes à peine sortis des malheurs de la guerre, sans expérience de lutte et d'organisation, que revint cette lourde tâche de continuer le combat pour les libertés et le recouvrement de l'identité nationale. Saïd Sadi en fut l'un des pionniers. Coupés de leur aînés et souvent contre eux, ils vont devoir faire face à l'oppression, à la répression et au déni identitaire au nom de la démocratie et de la berbérité, en cherchant dans leurs propres ressources les leviers de leur conscience et les méthodes de leur action.
C'est en outre, l'histoire de ce combat particulièrement dur mais exaltant qui a abouti au printemps berbère de 1980, à la création du MCB et à la première Ligue des droits de l'homme en Algérie que nous raconte Saïd Sadi dans son ouvrage. Le récit qu'il en donne est parfois relativement soumis à son seul regard et à sa seule expérience. Il convient de l'enrichir par d'autres témoignages afin de le restituer dans toute sa dimension et ses contradictions.
Une chose nous laisse par ailleurs un peu perplexe. En effet, malgré une participation des plus actives de l'auteur au séminaire de Yakourène tenu du 1er au 31 août 1980, celui-ci n'est pas évoqué dans son œuvre. Pourtant il reste dans les mémoires comme une conquête et un moment de débats importants autour de la question identitaire dans le contexte particulier de l'époque.
Livre témoin et riche d'une réflexion pertinente et originale, l'œuvre de Saïd Sadi marquera sans doute le lecteur par l'éclairage qu'il apporte sur les enjeux démocratiques et identitaires dans une Algérie où tous les repères sont brouillés et les perspectives bloquées... pour l'heure.
Mokrane Gacem
La couverture de l'ouvrage.
Commentaires (6) | Réagir ?
merci bien pour les informations
Bravo mer SAID SAADI ; c'est toujours un plaisir de lire un livre ou ouvrage à thdda saadi! je le trouve convaincant, pertinent et tres argumenté. J'essaye aprés mes lectures repetées de me dire cela : est ce que la nation algerienne existe comme par exemple la nation francaise ? . L'elite intellectuelle ou autre composée d'arabes, de kabyles et d'autres minorités algeriennes est elle consciente de son unité territoriale et populaire ou alors cette unité n'existe pas mais cela a été imposé par un pouvoir central dictatorial pour maintenir l'algerie unie. L'ecole Algerienne devra se reconstruire et se retablir pour cet objectif ; reunir tous les algeriens autour d'une seule et unique nation ; pour cela elle devra introduire dans ses programmes tous les ingredients de la personnalité algerienne ; l'algerien de demain devra assimiler l'arabité ;l'islamité ;l'amazighité et d'autres constituants algeriens comme le voisinage tres complexe d'avec la france.