La gestion durable des eaux pluviales urbaines en Algérie
Une stratégie indispensable à la lutte contre les inondations, à la prévention de la sécheresse, et au développement d’une infrastructure verte pour la ville algérienne.
Depuis son indépendance, l’Algérie connaît une croissance démographique urbaine effrénée, due principalement à un taux de natalité des plus élevés au monde, et aux vagues successives d’exodes ruraux engendrées d’abord par l’industrialisation du pays durant les années 60 et 70, et plus tard par les années noires du terrorisme. La population urbaine est passée de ce fait de 33.21% en 1962, à 70.80% en 2015, tandis que la population totale a plus que triplé, passant de 11 844 928 en 1962, à 40 652 133 en 2015. Sur le plan environnemental, ce phénomène s'est traduit par une expansion tout aussi relative qu'intense de l’imperméabilisation des sols due à l’augmentation des surfaces urbanisées, et ce, au détriment des espaces publics, des terres agricoles, des milieux naturels et semi-naturels, essentiellement en zones périurbaines, ce qui n’est évidemment pas sans impacts négatifs sur l’environnement, la qualité du cadre de vie des citoyens en général, et sur le cycle de l’eau local en particulier.
Ces changements physiques dans l'utilisation des sols apportés en amont du bassin versant par l’expansion urbaine, conduisent systématiquement à la modification des régimes de ruissellement; Ils accentuent les phénomènes de glissements de terrains, d’érosion et de perte des sols, affectant directement l'ampleur et la fréquence des inondations, et présentent un surcroît d’impacts négatifs importants sur les propriétés hydrologiques locales. Ces impacts sont liés à la réduction de la capacité d’infiltration naturelle, - d’où le déficit hydrique des eaux souterraines - du fait du compactage, pavages et revêtements étanches des sols, responsables de l'augmentation du ruissellement. Ils sont aussi liés à la réduction de la capacité de rétention superficielle, car les surfaces urbanisée étant plus lisses que les surfaces naturelles, évacuent l’eau beaucoup plus rapidement. La disparition de la végétation du bassin versant, entraîne une forte réduction de l’évapotranspiration et de la condensation, responsables de la formation des précipitations, ce qui provoque localement sécheresses là où il n'en existait pas, amplifiant leurs fréquences et leurs durées là où elles existent déjà, c’est le phénomène de "désertification".
Le cumul de l’ensemble de ces facteurs au niveau du bassin versant urbanisé a pour conséquences la perte progressive de sa capacité normale d'atténuation qui ne se caractérise pas seulement par une augmentation de la vitesse de ruissellements et de leurs volumes, mais surtout par l’ampleur des débits d’écoulement et les pointes de crues lors de fortes précipitations. Ceci se solde directement par une augmentation considérable des risques, de la fréquence, et de la sévérité des inondations en aval, particulièrement sur la plaine. Lors de pluies intenses, les eaux des crues qui sont progressivement enrichies en éléments polluants à mesure qu'elles ruissellent sur les chaussées polluées par les carburants, les huiles de vidange, et les métaux lourds, sont soit directement déversées dans les cours d’eau avoisinants à grand volumes, amplifiant inondations et érosion, et étalant la pollution à échelle régionale, soit elles sont expédiées vers les stations d’épuration déjà saturées par les eaux usées, pour y être purifiées à coûts exorbitants, alors qu'elles devraient être gérées à la source, de manière à ralentir leur ruissellement, à en diriger une partie vers le stockage pour la réutilisation et l'arrosage des espaces verts, et à rendre à la nature le surplus purifié sur place de manière naturelle, par infiltration, et ainsi clore le cycle hydrologique local.
Les inondations de plus en plus fréquentes et ravageuses, tant en dégâts matériels qu’en vies humaines que connaît l’Algérie depuis une trentaine d’années, sont le résultat d’un développement urbain intensif incontrôlé, entrepris certes dans l’urgence afin de répondre au manque accru de logements, toutefois sans tenir compte de l’extension relative nécessaire des infrastructures et services publics requis pour de tels projets. Ce qui témoigne de l'absence flagrante d'une politique d'urbanisation bien définie, apte à être applicable et appliquée.
Le développement urbain post-colonial, soit plus de 80% du bâti en Algérie, se caractérise depuis 40ans par l'absence quasi totale de cohérence dans l'action politique en matière de planification du territoire, et de développement urbain. La laideur grandissante des centres urbains Algériens, à l'instar de la plupart des programmes publics de logements et d'infrastructure réalisés ces quinze dernières années dans le non respect des règles de l'urbanisme pour beaucoup, et sans la moindre considération environnementale pour la plupart, témoignent bien d'une incapacité des gouvernements successifs à avoir une vision urbanistique et architecturale rationnelle et harmonieuse; Entre le caractère de plus en plus urbain des campagnes, et l'expansion et densification multidirectionnelle urbaine qui ne cesse de défigurer les paysages urbains, c'est la nature qui se retrouve exclue de la ville, et menacée partout ailleurs. Il est aujourd'hui établi scientifiquement que les problèmes de développement urbain ne peuvent être résolus sans une vision inscrite dans une perspective de développement durable, c'est à dire intégrant les facteurs physiques, écologiques, économiques, et sociaux.
Les autorités, débordées par l’ampleur de la problématique des eaux urbaines, et en quête de solutions, ont procédé par la création d’agences de gestion des eaux urbaines pour les agglomérations les plus importantes du pays, avec des contrats de partenariat mixtes valant des centaines de millions d’euros par an. Ces derniers se sont avérés être plutôt à l’avantage des partenaires étrangers censés les assister dans leur gestion supposée être «durable» des eaux urbaines, alors qu'en vérité, les eaux pluviales qui sont la composante principale du cycle de l’eau par laquelle cette valeureuse ressource nous parvient en premier, ne sont ni valorisées, ni considérées pour être intégrées dans le dessein national de la gestion dite «durable» des ressources en eau.
Ceci est d’ailleurs bien illustré par les textes de la nouvelle loi sur l’eau, où elles ne sont mentionnées que sommairement dans deux articles de loi, et cela uniquement lorsqu’il s’agit de s’en débarrasser plus vite, alors que des méthodes désuètes, non soutenables, et très coûteuses sont présentées comme des innovations. Ces méthodes de drainages urbains préconisées par les sociétés étrangères, et qui consistent à acheminer les eaux pluviales, rapidement vers les cours d’eau avoisinants, dans des conduites en béton surdimensionnées et très coûteuses, ne font que déplacer le problème des inondations d’une localité à une autre, sans véritablement résoudre le problème de manière définitive et durable. Si ces méthodes qui n'ont plus cours dans les pays développés parce qu'insoutenables et coûteuses, pourquoi sont-elles préférées aux méthodes plus adaptées, plus écologiques, et moins coûteuses en Algérie ?
La réponse à cette question est d'abord d’ordre politique, et demande des responsables politiques de s'orienter vers des choix plutôt pragmatiques, faisant appel au bon sens appuyé par la science, dans l’intérêt collectif, et de celui de l'avenir des ressources naturelles que l'on devra léguer aux générations futures. Elle est également d'ordre pédagogique, et vise à faire évoluer les mentalités à l'égard des eaux pluviales, les faisant passer d'une nuisance à éliminer vite, à un statut de ressource très précieuse, ayant l'avantage d'être facile à récolter, à exploiter, et à rendre purifiée à la nature, comme le veut la logique d’une gestion véritablement intégrée et durable, digne de ce nom.
L’adoption d’une telle gestion des ressources hydriques dans un pays semi-aride tel que l'Algérie, doit impérativement passer par ce changement d’attitude tant espéré, dans le but d’intégrer les eaux de pluie à tous les niveaux de la planification du territoire, aussi bien national et régional, que local; Cela consiste à considérer la problématique des eaux urbaines comme point de départ du processus de planification du territoire, où les espaces nécessaires à la gestion des eaux pluviales seraient l’élément structurant autour duquel s’articulent les différents espaces urbains à planifier ou à aménager. Les installations et techniques de gestion requises, sont essentiellement des travaux de terrassement et d'excavation, suivis de plantation de végétation native favorisant le drainage naturel, dans des zones tampons de rétention et d'infiltration, où la fonction de drainage naturel est réinterprétée de manière créative, sous forme de «jardins d'eau récepteurs», et servant aussi de stratégie préventive des inondations, et des sécheresses. Le sous-sol de ces zones regorgeant d'eau accumulée durant la saison pluvieuse, représente une aubaine au développement très rapide de la végétation locale, lui conférant un impact visuel quasi immédiat, en ajoutant d'avantage à la valeur esthétique et écologie du paysage.
Une telle planification, demande un processus permettant l’intégration à la fois de la géologie, l'hydrologie et l'écologie locales, et de la planification spatiale, architecturale et paysagère. Elle doit favoriser l'étroite collaboration des experts de ces disciplines afin d'aboutir à des solutions durables; Un travail "multidisciplinaire", pour une conception d’espaces urbains "multifonctionnels", où "l'infrastructure verte", - alignements d'arbres, haies, forêts, jardins ouvriers, et autres surfaces cultivées ou naturelles - et "l'infrastructure bleue" - eaux de surfaces; cours d'eaux et leurs corridors, étangs et bassins- sont superposées afin de former un réseau d'espaces naturels ou semi-naturels interconnectés, assurant la conservation des fonctions, et des valeurs de l'écosystème naturel.
L'infrastructure verte, soutenue par l'infrastructure bleue, offre à la ville non seulement ombrage, refroidissement par évaporation d'eau, et corridors d'air pur transpiré par les plantes, indispensables à la ville, et au bien-être de ses habitants, elle offre aussi espaces et opportunités pour l'activité économique, dans l'agriculture urbaine, l'horticulture et la propagation des espèces natives. Elle représente à elle seule un nouveau secteur de l'économie, créateur de multiples emplois et de formations à l'échelle du pays, aussi bien dans la construction, l'opération, et la maintenance de ces installations, que dans les nombreux secteurs périphériques.
La gestion des eaux pluviales représente aujourd'hui un outil indispensable au développement durable urbain et à la planification du territoire.
M. A. Chabou
Architecte paysagiste et consultant en développement durable aux Pays-Bas.
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