Pourquoi cet ancrage de la centralisation bureaucratique en Algérie ?
Le nouveau siège du ministère des Affaires étrangères construit sur le plateau des Anassers dans les hauteurs d’Alger n’a pas réglé pour autant les problèmes d’exigüité et de stationnement rencontrés par les citoyens usagers lorsqu’il était au Golfe.
En effet, l’allure du bâtiment regardée de l’extérieur est imposante, voire impressionnante et laisse penser au premier visiteur qu’il trouvera tout ce dont il a besoin pour régler ces petits soucis de paperasse. Mais il ne se doute à aucun moment le parcours du combattant qu’il l’attend. Cet auguste bâtiment blanc de style mauresque qui pourrait être le symbole et le prestige des Algériens montre ostensiblement, néanmoins, un point faible au niveau de son service d’état civil. Chaque jour, c’est le même calvaire qui se répète pour les Algériens qui ont la «malchance» d’être nés à l’étranger ou contraint d’envoyer à leur parents ou enfants des papiers. Si le ministère de l’Intérieur a réussi à décentraliser la légalisation de documents relevant de son secteur comme les extraits de naissance, les fiches familiales, les certificats de résidence, les attestations de célibataires etc., au niveau des différentes daïras réparties à travers le territoire national, les autres ministères et en premier lieu celui des Affaires étrangères continuent à sévir dans la centralisation bureaucratique. Les 48 wilayas sont concentrées à Alger. Même ceux qui résident à Bechar, Tamanrasset ou Constantine sont obligés de faire le déplacement jusqu’à Alger, dans des conditions, au demeurant, épiques, pour se faire établir un extrait de naissance n°12, un «12-S» ou éventuellement légaliser un document à présenter à n’importe quel ambassade ou consulat étranger.
1.- D’abord pourquoi un si grand siège ?
Cet édifice s’étend sur une assiette de terrain de prés 7 hectares. Il est composé d’un ensemble de 9 bâtiments érigés autour de deux grandes cours intérieures, avec un aménagement extérieur couvrant une surface de 53.000 m². Il comprend également une salle de «crise» d’une superficie de 510 m2 et des espaces destinés aux services de la Caisse Nationale des Assurances Sociales (CNAS), de la Poste, des services médicaux et sociaux et d’Air Algérie sans compter bien entendu les services de sécurités. Cet immense palais parait bien trop grand pour abriter un seul ministère. Il peut contenir aussi le Premier Ministre et le Ministre de l'Intérieur, toujours implantés au cœur de la capitale dans l'ancien siège du Gouvernement Général colonial, transformé en bunker et qui gêne la circulation automobile au centre-ville. Ce vestige colonial pourrait trouver une autre utilité pour au moins rendre Alger-centre agréable pour ceux qui y vivent. Cet ensemble avec 12 directions générales, une bibliothèque, une médiathèque, des services sociaux aurait coûté plus de 18 milliards de dinars, le m2 quant à lui s’écarte de près de quatre fois la moyenne nationale estimée à 55 000 DA
2.- Dans cet immense espace, que réserve t- on pour les nationaux ?
L’état civil de ce ministère est confinée dans une petite salle de 3 m sur 6 m soit à peine 18 m² pour les centaines d’Algériens qui visitent chaque jours les services entre 9 heures et 13 heures. Ce minuscule espace bordé par une bandelette de sécurité et des guichets doit assurer comme indiqué dans des panneaux 3 services : délivrer les 12S, les attestations d’immatriculation consulaires et enfin le plus important, la légalisation des divers documents d’état civil, diplômes et autres. 30 chaises y sont disponibles mais les usagers devront rester debout entassés les uns aux autres pour pouvoir entendre les appels inaudibles des agents qui leur remettent leur documents une fois signés par un responsable qui fait des rondes toutes les heures parfois moins. Le couloir à l’extérieur de cette toute petite salle est spacieux mais les administrés ne peuvent sortir pour souffler un peu au risque de rater l’appel, auquel cas ils auront à passer toute la matinée pour espérer que l’agent refasse l’appel ou perdre carrément leurs documents car aucun accusé de réception ne leur est donné lors de leur remises pour légalisation. Il est onze heures du matin, un jeune doctorant en mathématiques à Bab Ezzouar, avance avec une pile de documents à légaliser, il avait le numéro 461. Il a raconté qu’il devait se rendre en Espagne pour présenter une communication dans son domaine et dans le cadre du diplôme qu’il prépare. Le pays d’accueil lui a exigé non seulement des papiers d’état civil mais aussi une légalisation complète de tous ses diplômes depuis le bac. Il est passé par la Daïra de son lieu de résidence, le ministère de l’éducation nationale, celui de l’enseignement supérieur et la recherche scientifique et enfin celui de la justice pour atterrir avec tous les papiers aux affaires étrangères dans lequel il attendait son tour depuis plus de deux heures. Mais ce jour-là, il n’a pas de chance car celui qui lui a signé la reconnaissance de ses diplômes à l’enseignement supérieur n’a pas opposé sa griffe, donc ils ne sont pas recevables aux affaires étrangères. Le concerné visiblement énervé n’a pas voulu retourner sans vider son cœur par cette journée ramadanesque et très chaude. Il a profité de l’occasion de la présence du chef de service pour lui rappeler que ses documents comportaient le cachet du ministère de l’enseignement supérieur, pour lui cela devra suffire pour les services des affaires étrangères car les institutions sont plus importantes que la simple griffe de ceux qui les représentent. Si ceci paraissait logique aux yeux d’un mathématicien, il ne l’était pas pour le chef de service qui lui a répondu sèchement qu’il se cassait la tête pour rien et que crier ne résoudra pas son problème car il devra retourner au ministère concerné pour compléter sa légalisation. Il a fini par abdiquer dans l’espoir de faire le trajet Kouba-Ben Aknoun en deux heures pour revenir avant 13 heures car le délai d’envoi de son dossier est éminent au risque de perdre cette opportunité pour son avenir.
Un autre jeune homme, visiblement inquiet s’est avancé vers la foule pour leur demander si son extrait de naissance en français et son attestation de célibataire sont légalisables et quelqu’un de lui répondre d’aller se renseigner au guichet au lieu de perdre son temps à attendre, peut-être pour rien. Mais en allant, une surprise l’attendait car ses papiers n’étaient pas validés par le ministère de l’intérieur sans lui donner la moindre orientation. En revenant, il racontait qu’il venait de Constantine par bus et qu’il a roulé toute la nuit en dépensant près de 3000 DA entre bouffe et transport et qu’il comptait retourner le soir même pour éviter des frais dans un hôtel qu’il ne pourra pas prendre en charge. C’est un jeune chômeur qui espère se rendre en Belgique pour se marier et ces papiers lui sont exigés pour obtenir un visa. La foule se solidarise et un jeune émigré en Espagne qui habite aux Anassers pas loin du MAE lui propose d’attendre qu’il récupère ses papiers en signature, il pourrait le déposer à la Daïra d’Hussein Dey qui reste la plus proche pour valider ces documents et éventuellement retourner par taxi aux affaires étrangères. Le parcours et l’opération en elle-même paraissent impossibles à faire en deux heures mais qui ne tente rien n’a rien. Toute la question : ce pauvre jeune homme va-t-il trouver le chef de daïra disponible pour les lui signer ?
3.- Même à l’extérieur, le calvaire n’en fini pas
Les deux entrées du ministère des affaires étrangères sont mitoyens d’un espace aussi grand qu’il vous donne le vertige mais aucun bus ni parc de stationnement pour permettre à un usager véhiculé de stationner pour rentrer à l’aise sans se soucier de son retour. Si vous venez par véhicule particulier, soit un chauffeur vous dépose puis continue de faire la ronde jusqu’à votre sortie. Cela pourrait prendre jusqu’à trois heures ou éventuellement se diriger sur la cité des Annassers la plus proche situés à huit cents mètres pour stationner chez les jeunes concessionnaires de parkings qui profitent de la situation pour demander jusqu’à 100 DA sans pour autant vous garantir la moindre assurance que vous ne soyez pas volé. Les centaines de mètres qui vous séparent du MAE, sont à faire à pieds soit en période de forte chaleur ou en pluie abondante. Juste en face de la rentrée du service d’état civil, se trouve au bord de la route un parking d’une cinquantaine de mètres de longueur sur 3 mètres de largeur réservé uniquement aux véhicules de plaques d’immatriculation au couleur diplomatique. Deux policiers dont la mission principale est de faire circuler toutes les 4 roues qui ne font partie de la catégorie sus – citée et ceci avec toutes les difficultés qui en découlent : quelqu’un demande une minute pour une urgence, l’autre fait descendre un passager en jouant au cache- cache, et un troisième pourrait être un pistonné qui se fait passer aux yeux des citoyens présents sur place pour une autorité etc.
Les taxieurs de l’autre côté de la route guettent des clients qui sortent de service pour leur demander pas moins de 500 DA pour un simple aller. Ce matin-là, parmi tous les véhicules d’immatriculation au couleur diplomatique, est parquée une Chevrolet grise immatriculé d’Oran, y sont assis en somnolant deux jeunes bruns costaux de toute apparence immigrés. Le policier en service ne dit rien mais une demi-heure après, est sortie une femme, leur mère sans doute. En échangeant quelques mots avec ses enfants, elle s’est mise à crier en mouillant sa tête avec une bouteille d’eau car elle paraissait très fatiguée. Il s’avère que ses enfants lui ont appris que la ronde des agents de la sureté nationale est passée pendant qu’ils stationnaient devant la porte du service de l’état civil et l’attendaient et elle lui a retiré les papiers de la voiture. Maintenant il va falloir attendre la prochaine ronde pour espérer les récupérer. Le poste de police, voyant le milieu de la journée qui approche et le soleil qui monte et fait monter la chaleur ont tenté plusieurs appels à leurs collègues par radio en vain. Les pauvres ont dû attendre près d’une heure pour voir le brigadier revenir extrêmement énervé d’être dérangé en plein soleil pour remettre les papiers des contribuables qui se sont acquittés de leur procès. Le jeune chauffeur n’a pas manqué de se montrer désobligeant en prenant la route.
4.- Quelle leçon tirer de tous ces calvaires ?
On sait que les procédures bureaucratiques ont été inculquées par la puissance coloniale. Le terme bureaucratie est d’origine française. Sa racine est "bureau". Le concept permet de désigner l’organisation qui est réglementée par des normes visant un ordre rationnel dans la gestion et la distribution de ses affaires. Elle est également l’ensemble des fonctionnaires publics, bien que le terme ait une connotation négative: on entend par bureaucratie l’administration inefficace due à toute une panoplie de papiers et de formalités, ainsi que l’influence excessive des fonctionnaires dans les affaires publiques. Mais tout porte à croire que les pays européens s’en débarrassent progressivement pendant que les anciennes colonies notamment africaines l’enracinent pour en faire un tremplin pour les pratiques illégales et surtout la corruption. Aujourd’hui dans les pays du vieux continent, toute cette paperasse se fait en ligne, chaque personne possède sa propre immatriculation citoyenne. N’en parle pas des Anglos- Saxons qui les pratiquent depuis bien longtemps. Ces pays ont compris qu’il est contre productif de charger le citoyen par des procédures bureaucratiques. Alors dans quel but les autres la maintiennent voire même insistent pour l’ancrer dans le tissu sociale ? On a l’impression qu’un pouvoir occulte caché souvent sous le vocable «législateur» crée des lois et des procédures pour mettre face à face administrateurs et administrés en perpétuel conflit. Les premiers sont maintenus dans espace restreint par des lois et des procédures rigides. Ceci bloque tout esprit d’initiative.
Un chef de service qui constate qu’un de ses guichets est surchargé pendant qu’un autre roule les pouces n’a pas le pouvoir de faire des changements prétextant les procédures réglementaires. Sonelgaz par exemple, lorsqu’elle n’a pas de réseau, ferment ses guichets au public alors qu’elle aurait pu procéder au paiement manuel mais qui doit prendre l’initiative nous dit-on ? Cette rigidité dans les procédures bureaucratiques favorise l’état d’exception et ouvrent par la même occasion des brèches à des pratiques de corruption. Cela ne veut pas dire que tous les fonctionnaires sont corrompus mais des ouvertures existent pour les opportunistes et il en a. Bien que la majorité des fonctionnaires soit victime au même titre que les citoyens de ces procédures, les bons paient pour les mauvais pour entacher toutes les institutions publiques. Les seconds qui sont les citoyens eux même se sentent humiliés, ne pouvant rien faire, ils se replient sur eux même en développant une agressivité et s’éloignent de l’esprit patriotique. Il regarde leur environnement en noir. Avec le temps, ce comportement les rend hébétés, passifs et acceptant tout. Ils deviennent en définitif narcissiques et désintéressés du corps social. Il se trouve que cette situation arrange le pouvoir législateur de gérer des robots manipulables au lieu d’une population consciente. C’est justement le but recherché par tout pouvoir autocratique.
Rabah Reghis, consultant, économiste pétrolier
Commentaires (2) | Réagir ?
Les problèmes structurelles de l'état Algérien, sont lié directement principalement :
a) À sa culture arabisante et Sunnite.
b) à la pléthore du administratif une surcharge en effectif du personnel.
c) le sous équipement en équipement du matériel moderne, notamment l'informatisation.
d) Enfin à la mentalité générale du je m'en fou, moins je fais de travail, mieux je me porte.
La leçon à tirer de cette sitution est simple... que l'habit ne fait pas le moine !!!