Débat : A propos de la citation de Ben M’hidi
Dans une Lettre ouverte à Ould Kablia, président du « MALG », parue dans l’édition Le Matin d’Algérie (in www.lematindz.net), du 23 juillet 2008, signée Abdelkader Dehbi, la mémoire algérienne est pris en otage une nouvelle fois! Hier Abane, aujourd’hui Ben M’Hidi. Mémoire en otage des intrigues claniques!
L’auteur fait un diagnostic sur la situation en Algérie et c’est son droit le plus absolu. Lui contester ce droit revient à nier le combat de l’Algérie pour l’indépendance, la liberté et la démocratie. Mais ce droit ne lui confère pas le droit de se servir de la Mémoire avec légèreté, pour justifier son argumentaire qui est probablement fondé ou partagé par de nombreux citoyens d’Algérie, mais il n’est pas l’objet de cette réplique.
Le présent ne porte ni sur le diagnostic ni sur les conclusions de l’auteur mais, sur le texte de citation mis en guise de préambule à sa lettre ouverte à Ould Kablia. L’auteur affirme qu’il est détenteur d’un « document inédit » de Larbi Ben M’Hidi (février 1957), confié par un « Grand Moujahid » dont le contenu est le suivant :
« Je voudrais être soumis à ces tortures, pour être sûr que cette chair misérable ne me trahisse pas. J'ai la hantise de voir se réaliser mon plus cher désir car, lorsque nous serons libres, il se passera des choses terribles. On oubliera toutes les souffrances de notre peuple pour se disputer des places; ce sera la lutte pour le pouvoir. Nous sommes en pleine guerre et certains y pensent déjà, des clans se forment. A Tunis, tout ne va pas pour le mieux; oui, j'aimerais mourir au combat avant la fin »(fin de citation).
Le débat porte donc sur cette citation suspecte pour ne pas dire fabriquée, une tentative qui participe à l’effritement de la mémoire d’Algérie dans une logique d’intrigues claniques.
• Sur le plan historique, le texte de citation ne peut pas être attribué à Larbi Ben M’Hidi. La « guerre des clans ou la lutte pour le pouvoir » est postérieure à 1957. La citation est contraire à sa pensée, à ses valeurs tant sur le plan moral que politique et même culturel : Il est connu pour ses valeurs de vie et de combat pour la liberté, l’indépendance et le devenir de l’Algérie.
• Sur le plan épistémologique, le recours à des citations en guise de référence est un procédé académique de validation ultime pour ceux qui sont dépourvus d’autorité scientifique et d’argumentaire validé depuis que la parole est bible ou citation.
Le procédé participe d'une stratégie de mise en otage de la mémoire. Introduire un texte par une « référence » confère à son auteur érudition et couronne. Surtout quand la référence supposée est attribuée à un des pères fondateurs. La référence donne plus de crédit à l’argumentaire qu’il véhicule et le lecteur est supposé éphémère ou insouciant parce qu’il ne ferait pas l’effort d’authentifier la référence et, l’allégation devient projet ou référence historique. Voilà comment un texte apocryphe devient apologie depuis que la parole est bible et le prince est souverain.
• Sur la forme, L’auteur attribue la citation à Larbi Ben M’Hidi qui lui « a été confié récemment par un grand moudjahid digne de foi » et qui « l'a autorisé à en faire état ». La source étant non-identifiée, la Mémoire prend en coup un nouvelle fois! Sinon, pourquoi ce recours à une tierce-référence ? Si le document qualifié « inédit » était authentique, l’auteur n’aurait pas besoin de superlatifs comme « grand », « digne de foi », pour le valider ! L’auteur est assujetti à autorisation ! L’auteur est sous tutelle, et peut-être, il ne sait pas que toute référence à la Mémoire, celle de Ben M’Hidi par exemple, est un droit pour tout combat de liberté. L’auteur a eu recours à ce type de procédé pour valider son diagnostic sur l’Algérie. Ceci exige réplique et clarification.
Larbi Ben M’Hidi n’est pas suicidaire, il aime la vie ! Son dernier chant était « Tahia El Djazaïr !», c’est-à-dire, qu’il était toujours pour la vie, la vie pour l’Algérie! Tahia, Hayat, Vive, la vie !
- Sur le fond, l’auteur ou la « tierce-référence » porte de la haine pour les valeurs de liberté et d’indépendance auxquelles Ben M’Hidi a consacré toute sa vie. La mémoire est travestie par la haine de soi et le déficit identitaire. Comment peut-on imaginer un seul instant que Ben M’Hidi l’homme des beaux-arts, l’illustre dirigeant, le modeste combattant, le martyr des martyrs, pouvait prononcer de tels propos, insensés et méprisant pour sa mémoire et celle de tous les martyrs.
1. « Je voudrais être soumis à ces tortures, pour être sûr que cette chair misérable ne me trahisse pas ». Ces propos ne reflètent que la pensée de l’auteur ou de sa tierce-référence, sa tutelle. Ben M’Hidi aime la vie et il a toujours combattu l’oppression coloniale et la haine de l’autre. La torture et la haine étant le propre de tout système totalitaire. Ben M’Hidi n’a jamais accepté une quelconque soumission ! Même dans sa captivité, il était combattant en refusant les ordres de ses tortionnaires. A la même époque, le « Grand Moujahid digne de foi », la tierce référence, vivait sûrement à Tunis, aux frais de la générosité arabe et internationale ! Celui qui hait la vie, n’aime pas le combat. Ben M’Hidi aime la vie et le combat pour l’Algérie. Son sacrifice permet à l’auteur et sa tutelle d’investir en Algérie et peut-être, à l’étranger!
2. « J'ai la hantise de voir se réaliser mon plus cher désir car, lorsque nous serons libres, il se passera des choses terribles. » Quelle négation ? Quelle hantise pour la Mémoire d’Algérie? L’auteur ose parler d’un « grand moujahid digne de foi » ! « La chose la plus terrible pour le peuple algérien est l’oppression coloniale » disait Ben M’Hidi, qui n’aurait jamais pris l’initiative du combat pour des conjectures infantiles : Qui va gouverner l’Algérie après ? Il a pris l’initiative pour la libération, pour l’Algérie algérienne ! La question de la gouvernance démocratique post-coloniale est un autre combat. Un combat déjà inscrit dans la déclaration de Novembre et dans celle de la Soummam. Laissez la Mémoire en dehors des querelles pour la rente pétrolière. Prenez-la et laissez la Mémoire d’Algérie, la rente de notre algérianité, une rente mémorielle pour nos enfants !
3. « On oubliera toutes les souffrances de notre peuple pour se disputer des places; ce sera la lutte pour le pouvoir. Nous sommes en pleine guerre et certains y pensent déjà, des clans se forment. A Tunis, tout ne va pas pour le mieux; oui, j'aimerais mourir au combat avant la fin ». Des propos fabriqués pour un dessin machiavélique d’un auteur qui respire le mépris. Ben M’Hidi n’est pas un simple soldat qui doit obéir un ordre de combat mais, un illustre dirigeant qui avait en charge, avec ses compagnons, la direction de la Révolution, le devenir d’Algérie, le projet de l’Etat démocratique et social. Il n’est ni résigné, ni suicidaire, ni rentier. Il est l’artisan de la déclaration de Novembre. Son seul désir est de libérer le pays, peuple et terre d’Algérie, du joug colonial! Les clans se forment et se déforment comme toujours ! La lutte pour le pouvoir n’est pas uniquement une obsession algérienne. Un peu de pudeur tout de même ! Quelle haine de soi ! Quel déficit identitaire !
Laissons Larbi Ben M’Hidi loin des polémiques et des intrigues des pouvoirs ! Laissons les Martyrs d’Algérie en paix ! Les martyrs ne reviendront pas pour en témoigner, ni maintenant, ni les siècles prochains. Qu’ils reposent en paix ! Qu’ils reposent surtout loin des polémiques politiciennes et des intrigues claniques! Ils n’ont pas besoin de monuments, ni d’idéologie, ni d’incarnation et encore d’un messie pour honorer leur mémoire. Ils sont la Mémoire d’un peuple, d’une patrie, d’une histoire : l’algérianité en partage et l’Algérie en devenir ! Elle est honorée dans le combat pour l’indépendance de l’Algérie, la liberté de son peuple et la gouvernance démocratique du pays. Le peuple en étant l’artisan comme le disait avec art et modestie le martyr des martyrs Si Larbi : «Mettez la révolution dans la rue et vous la verrez reprise par tout un peuple ! ». « Eternelle Algérie algérienne ! »
Par Dr Chegrouche, Chercheur
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Le seul argument valable de cette réplique est que l'absence de références vérifiables rend la citation sujette à controverse. Pour le reste, soyons sérieux, ce qui s'est passé après indépendance et qui s'annonçait pendant la révolution aurait justifié mille fois les propos de cette cotation. Tout le monde a pu voir à la télévision M. Boudiaf parler de ce "malade" de Benbella qui, en prison, ne pensait qu'à la prise de pouvoir après la guerre. Chacun peut lire dans le livre de B. Abdeslam, Le gaz algérien", ed. Bouchene, 1989, les luttes féroces pour le leadership AVANT, pendant et après la révolution. Pire, on y apprend que les motivations des uns et des autres, à quelques exceptions près, n'étaient même pas idéologiques mais purement vénales. Alors arrêtez d'exhiber les martyrs pour essayer de faire taire ceux qui dénoncent les dérives, ils n'ont pas donné leur vie pour vous mais pour le pays.
Au début des années 70, Mohamed Boukharouba, alias Houari Boumediene, ne pouvait aucunement confondre le verbe actif : s’emparer de quelque chose après avoir maîtrisé les gardes, un fait d’arme héroïque, avec un verbe passif : s’être fait embarquer à bord une humble et fort vieille barque que seuls ses fantasmes ont imaginée royale.
Bien avant le 1ère novembre 1954, plus précisément, en mars 1954, à l’époque du CRUA (comité révolutionnaire pour l’unité et l’action), alors que la révolution algérienne était dans ses balbutiements, la DST avait établi l’organigramme des militants nationalistes algériens avec force détails y compris les noms des principaux meneurs et leur projet de passer à l’action armée. Un rapport avait été adressé, six mois avant le déclenchement de la révolution, au ministère de l’intérieur. Cette dernière institution avait ordonné au patron de la DST :
« Infiltrez leurs rangs et manipulez leurs chefs».
Qui était la DST ? Après avoir créé et dirigé les BCRA (services secrets français) durant le second conflit mondial (1939-1945), Roger Weybot avait fondé, en 1946, la DST (Directions de surveillance du territoire) qu’il a dirigée jusqu à 1958. Quelle méthode avait-il employée durant les : « Evènement s d’Algérie ?
Lisons :
« …En développant mon système d’infiltration des réseaux du FLN par des agents à nous. Les hommes que nous glissons dans le dispositif adverse, souvent dans des postes subalternes, nous les aidons à conquérir progressivement de l’importance au sein de la rébellion. Nous leur permettons par exemple de passer des armes, de l’argent pour le FLN. Leurs convois clandestins sont protégés par la DST., alors que les transports d’armement d’autres chefs fellaghas sont bloqués, saisis. Avec notre accord et la complicité de l’armée française, nous agents FLN montent également des opérations bidon de manière à se couvrir de gloire aux yeux de l’état major du Caire et de Tunis. Chaque fois nous montons tout nous-mêmes pour rendre le coup de main rebelle totalement crédible.
Au fur et à mesure, nous déblayons le terrain devant eux. Leurs camarades se font prendre, leurs chefs jouent également de malchance. Ce qui leur permet de grimper dans la hiérarchie clandestine, de remplacer ceux que nous choisissons d’éliminer. Certains de ces agents vont atteindre les plus hauts échelons dans l’état major du FLN. Il nous est arrivé de manipuler des chefs et des chefs adjoint de wilaya…». Philippe Bernert, Roger Weybot et la bataille de la DST, presse de la Cité, 1975, P. 449. Infos ou intox ?
Entre 1954 et 1962, les services français avaient-ils les moyens de recourir à ce type d’opérations ? Si oui pourquoi s’en seraient-ils privés de l’arme la plus dévastatrice dans un conflit atypique où la ruse et la surprise constituent l’une des armes des plus efficaces ? Les nationalistes algériens étaient-ils totalement imperméables à ce type de manipulations ? Evidemment que non.
Jusqu’à preuve du contraire, nous tenons l’affaire Dinah comme étant une audacieuse prouesse des services français et Houari Boumediene comme leur agent glissé, conformément aux méthodes relatées plus haut par Roger Weybot, à un rang subalterne avant de le faire grimper d’abord jusqu’au sommet de la hiérarchie militaire pour y devenir le point de ralliement, le protecteurs de convertis au nationalisme algérien de la 25éme heure, le patron d’une 5éme colonne. En 1963, le Général de Gaulle avait ordonné à ses services d’aider les militaires algériens et non pas les civiles. Le coup d’Etat sanglant du 19 juin 1965, qui avait porté Boumediene au pouvoir, était téléguidé par Paris. Boumediene est le fondateur d’un régime politique monstrueux où le guech bekhta (la valetaille), a pris le dessus sur les hommes intègres et le vice a triomphé sur la vertu.
Pendant la guerre d’Algérie (1954-1962, les services français disposaient de moyens humains et matériels quasiment illimités. Aussi avaient-ils pour alliés indéfectibles, pour le meilleur et pour le pire, les services de l’OTAN, du MOSSAD israélien et des judas arabes. Face à de tels moyens, Fethi Dib, ses Moukhabarate et Ben Bella, ne pouvaient, tout au plus, que jouer le rôle d’un cadavre entre les mains de ses fossoyeurs.