La fratrie Bouteflika et les fins dramatiques des népotismes
Le régime autoritaire algérien vit actuellement une version népotique au travers d’une fratrie visible et assumée. Le drame des despotes est qu’ils n’intègrent jamais les leçons de l’histoire dans leur projet. Essayons d’en analyser les récurrences pour rappeler l’inéluctable sort auquel ils s’exposent.
Après avoir connu le régime militaire brutal, qui ne disparaîtra jamais, puis le nationalisme suivi de l’islamisme, voilà le tour du népotisme pour une Algérie qui expérimente décidément toutes les variantes des pouvoirs autoritaires. Le népotisme n’est pas nouveau, il est la plus grande substance gangréneuse de la société algérienne, au plus profond des comportements sociaux et tribaux. Mais c’est la première fois qu’il apparaît au grand jour, au plus haut sommet de l’Etat, sous une lumière impudique et sans état d’âme.
Son visage à découvert est si objectivement relaté dans la presse et dans tous les forums que sa critique ne prête le flanc à aucune accusation d’insulte ou de diffamation. La famille Bouteflika est bien omniprésente dans le paysage médiatique et politique et personne ne nie son influence à l’ombre d’un puissant qui est à son chant du cygne. Sortons un instant de l’exemple algérien, objectivement vérifiable, pour étudier un phénomène très particulier dans l’histoire des organisations politiques d’Etat.
Les rapports entre le pouvoir et les liens familiaux se sont toujours terminés très mal. Les anciennes civilisations n’ont d’ailleurs jamais cessé, à travers le récit mythologique, d’en relater la conséquence tumultueuse. Il ne pouvait y avoir deux frères portant matrice de l’humanité, Caïn assassina Abel dès les premiers instants du récit biblique. Dans la mythologie grecque, Gaia, mère (et épouse) d’Ouranos, persuade leur fils, Cronos, de renverser son père en l’assassinant. Dans la mythologie romaine, Romulus tue son frère Remus qui l’avait provoqué en franchissant le sillon sacré.
La vraie histoire des hommes n’est pas en reste par rapport à la mythologie puisque l’une est le reflet des projections de l’autre. C’est ainsi que dans l’Egypte ancienne, les pharaons prenaient époux ou épouse dans la fratrie, ce qui n’a jamais empêché meurtres et intrigues des plus violents. Et nous connaissons la célèbre réplique du grand César au moment où il fut assassiné par son fils Brutus, «toi aussi, mon fils», constituant là une des plus marquantes leçons du népotisme. Les plus réfractaires à l‘histoire peuvent, au moins, faire appel à leur mémoire courte et télévisuelle de l’arrestation du fils Kadhafi, image violente d’une descente aux enfers, à la hauteur d’une vie au service de la terreur subie par ses compatriotes.
En effet, le népotisme ne connaît pas des fins tragiques seulement par la trahison de l’entourage familial. Comme sa nature est d’être avant tout un mode violent de gouvernement, impliqué dans les intrigues les plus diaboliques, l’adage célèbre s’applique toujours à lui puisque ceux qui ont vécu par l’épée périssent par l’épée.
Etymologiquement, népotisme provient du latin nepos (neveu). Historiquement on attribue ce terme au favoritisme qui était en cours au Vatican du seizième siècle par les papes pour placer leurs neveux ou autres membres de la famille dans les fonctions les plus élevées. La famille la plus célèbre associée au népotisme est la famille des papes Borgia. Par extension, le népotisme consiste dans l’époque moderne à l’octroi par un responsable (élu ou non), d’avantages, d’honneurs ou de postes au bénéfice des membres de sa famille.
Le népotisme n’est par conséquent jamais un amour filial mais la croyance que son propre clan familial est la protection durant la vie avant de devenir la prolongation posthume de sa notoriété publique. Un despote ne recherche que la satisfaction de lui-même et ne peut supporter qu’on lui conteste son pouvoir absolu, y compris dans la trace historique. Le népotisme est un jeu de dupes, exercé avec ruse, entre le puissant et les protégés. L’un voulant perpétuer un pouvoir qu’il ne peut exercer seul, les autres se servant du premier pour affermir le leur et préparer un avenir aussi puissant.
En fait, la très courte vie des hommes de l’époque historique lointaine faisait que les successeurs n’avaient, en général, jamais l’occasion d’avoir la maturité ou la puissance d’évincer l’homme de pouvoir avant sa mort. Et les très jeunes présomptueux qui osaient le faire du vivant du tyran s’exposaient toujours au retournement de ceux qui les avaient manipulés pour en arriver à leurs fins.
Si l’issue fatale est aujourd’hui peu courante dans nos sociétés (le démocrate ne la souhaite jamais), il n’en reste pas moins que celui qui bénéficie des honneurs et du pouvoir illégitime est condamné à prendre les commandes rapidement, du vivant du Prince, pour éviter des lendemains incertains. Se contentant d’une manipulation de proximité sans en prendre les garanties d’installation au pouvoir est la plus présomptueuse des positions. La croyance d’être aimé et respecté pour lui-même finit toujours par envahir le courtisé, c’est là le plus grand des pièges car il en est, bien évidemment, tout le contraire.
Puisque nous excluons l’issue fatale, il n’en existe que deux autres possibles, le passeport ou un bon avocat. Le malheureux s’aperçoit très rapidement qu’en l’absence du puissant protecteur, les courtisans s’empresseront, au mieux, de tourner le dos, au pire, de se retourner contre le protégé du népote (dont ils ont pourtant été bénéficiaires). Tout cela est écrit dans la terrible histoire des hommes et il ne peut y avoir d’autres alternatives.
La première citée est à mon avis la plus lourde des peines car se réveiller un jour et voir une image nouvelle se refléter dans le regard des autres est peut être le châtiment le plus douloureux. Dans ce miroir de soi qu’est le regard des anciens courtisans, la fascination devient mépris, l’obséquiosité se transforme en effronterie et la soumission se retourne en insultes. Le puissant est à nu, dans sa petitesse (d’esprit) et son insignifiance.
J’ai d’ailleurs toujours été fasciné par l’inconscience des despotes qui n’envisageaient jamais l’abolition de la peine de mort, dans le cas où la situation se retournerait. Mais ils sont si persuadés de leur puissance qu’ils ne peuvent imaginer que l’un des instruments de terreur qui les maintient au pouvoir peut, un jour, devenir fatal, pour eux-mêmes ou leurs protégés.
Quelle issue le politologue algérien aura l’occasion d’étudier dans les prochaines années ? Elles peuvent être longues à se dessiner car Franco est allé jusqu’à l’impotence de ses derniers instants et le vieux rusé de Fidel Castro tire toujours quelques ficelles.
Sid Lakhdar Boumédiene
Enseignant
Commentaires (11) | Réagir ?
merci
La première citée est à mon avis la plus lourde des peines car se réveiller un jour et voir une image nouvelle se refléter dans le regard des autres est peut être le châtiment le plus douloureux. Dans ce miroir de soi qu’est le regard des anciens courtisans