Hollande à Alger : casting de choix pour une parodie
Les Algériens seront conviés aujourd'hui à 20 heures, à un subterfuge solennel auquel vont se prêter les plus hauts dirigeants français : le président Bouteflika apparaîtra à la télévision, pimpant, sans son fauteuil roulant, en train de recevoir avec chaudes effusions, son homologue français François Hollande puis converser avec lui dans un atmosphère empreinte de gravité qui laissera supposer à un sérieux entretien sur ces quantités de choses stratégiques qu’on prête aux rapports algéro-français.
Par Mohamed Benchicou
Les experts maquilleurs auront préalablement atténué les stigmates de la maladie sur le visage du président algérien, la bonhomie de Hollande faisant le reste, l’apothéose étant confiée aux éditorialistes et autres spécialistes de la question algéros-française qui nous diront, avec solennité, qu’il aura été beaucoup question du Sahel, du Mali et de la coopération économique, et de bien d’autres sujets sensibles comme la mémoire et la repentance. Il ne se trouvera personne pour relever que ce président algérien "ragaillardi", ne l’aura pas été au point d’aller accueillir son prestigieux hôte à l’aéroport ni même de prendre part au repas officiel, le président de la république française devenant, selon les termes incongrus du communiqué officiel, l’hôte à dîner du président du Conseil de la nation Abdelkader Bensalah !
Qu’importe si cette "rencontre au sommet" n’aura jamais eu lieu ou, tout au plus, duré les quelques minutes aux habiles cameramen officiels de prendre des images qui seront ensuite "traitées" par les virtuoses de la retouche. Du reste, dans le programme officiel, on laisse apparaître une confession de taille. Le supposé tête à tête entre les deux chefs d’Etat, est nonchalamment calé dans un mouchoir : entre 17 heures et 19 heures, le président français doit avoir rencontré le président Bouteflika à la Résidence d’Etat de Zéralda et donné une conférence de presse de presse à l’hôtel Aurassi, afin d’être à temps pour accueillir ses propres invités à la réception qu’il devrait donner à la Résidence de l’ambassadeur de France, les Oliviers. C’est l’aveu que la fameuse rencontre avec Bouteflika n’aura, tout au plus, duré qu’un quart d’heure ! Le mensonge diplomatique, celui dont on dit qu’il se justifie par des raisons supérieures, aura remporté une enième victoire sur la triste réalité. Le tête-à-tête au sommet n’aura jamais existé mais l’essentiel, n’est-ce-pas, est que les médias en parlent et que l’Algérien, rassuré, soit allé se coucher avec le sentiment d’appartenir à un pays solidement gouverné, sous la haute autorité d’un chef de l’Etat certes malade mais aux moyens intellectuels et physiques intacts.
Bouteflika comme l’Elysée ont intérêt à ce genre de simulacre, le premier pour asseoir une autocratie qui tourne au vaudeville, le second pour perpétuer le règne d’un personnage qui aura été le plus commode de tous les présidents algériens, celui qui aura permis de multiplier par cinq le volume des contrats avec la France et de configurer l’Algérie comme un prolongement stratégique de l’ancienne puissance colonisatrice. Alors, oui, place au mensonge diplomatique et aux omissions bien calibrées. C’est ce que voulait le clan Bouteflika, en mal de prestige et confronté à une sourde guerre de clans, en commanditant cette parodie qu’il voulait plus convaincante que d’autres, en l’entourant d’un casting de premier choix : le président français lui-même, accompagné d’une belle brochette de stars de la politique française, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, Elisabeth Guigou, Michel Vauzelle, Patrick Mennucci, Jack Lang… Ils auront eu la délicatesse, toutefois, de ne pas prolonger outre mesure une visite en trompe-l’œil, tant il est vrai que, même à Alger, les plaisanteries les plus courtes restent encore les meilleures.
M. B.
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" Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute" disait La Fontaine. Au fait, qui vit aux dépens de l'autre ? Soigne-moi, je te soigne. Il y en a un qui doit bien se frotter les mains devant ses propres invités à la résidence de l'Ambassadeur de France d'avoir conclu un grand marché de dupes. On ne se déplace ainsi pas pour des prunes au Club de la FrançAfrique.
Et un sommet panafricain de plus sans lui ! Celui qui s'achève aujourd'hui à Johannesburg est le 45e à s'être tenu depuis le retrait du Maroc de toutes les instances continentales, en novembre 1984.
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Et, manifestement, puisque les raisons qui y ont présidé semblent désespérément résilientes, chacun a pris son parti de ce gâchis. À commencer par le roi Mohammed VI. Après avoir consacré la première décennie de son règne au développement interne de son pays, le monarque cultive avec méthode et passion un tropisme continental, réussissant à transformer en avantage le handicap que représente a priori l’autoexclusion du royaume de l’Union africaine (UA).
Loin du carcan d’Addis-Abeba, Rabat est parvenu à se tailler le statut de puissance régionale autonome et de puissance relais entre l’Europe et le sud du Sahara. Une stratégie directement pilotée depuis le palais royal par un souverain personnellement investi, au point que les tournées africaines de ce chef d’État de 51 ans ne ressemblent à nulles autres.
Alors que les délégations affluaient en Afrique du Sud, M6 achevait, au Gabon, son sixième périple subsaharien depuis son intronisation, il y a bientôt seize ans. Trois semaines de voyage, quatre pays visités, près de soixante-dix accords et conventions de coopération signés : à l’heure des « stop and go » éclairs pratiqués par les présidents occidentaux sur le continent, le souverain marocain est le seul – avec, à un degré moindre, le Chinois Xi Jinping – à y consacrer le temps nécessaire à la compréhension, à l’empathie et au respect de ses hôtes.
Le fait qu’une fois de plus le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Gabon aient été au menu ne relève pas du hasard, le Maroc en ayant fait les trois États pivots d’un « espace nord-ouest africain de Tanger au golfe de Guinée », structuré avec application depuis qu’il a intégré à la fois l’impasse durable de la construction maghrébine et les limites de l’ouverture vers une Europe en crise.
Outre les investissements dans les secteurs des banques, des assurances, des télécoms et du BTP, ouvertement concurrentiels des intérêts européens dans la région, le royaume de M6 a mis au point une sorte de label qui lui vaut bien des sympathies : celui des projets à forte teneur en développement humain – eau, électricité, santé – directement inspirés de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), ce dispositif d’accompagnement de la lutte antipauvreté expérimenté avec succès au Maroc depuis dix ans.
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À cela s’ajoutent une dimension sécuritaire et une autre, totalement originale, d’ordre spirituel : dans tous les pays visités, le roi se fait un devoir d’assister à la prière du vendredi, de distribuer des corans par milliers et d’inviter les étudiants en religion à se former dans son « Imam Academy » de Rabat, à laquelle nous consacrons cette semaine un reportage. Qui propose mieux ?
Vus de Rabat, des poids lourds comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Angola ou l’Éthiopie sont encore des terres de mission, si ce n’est des terres hostiles. Mais la démarche du roi, qui est de les contourner sans les affronter, commence à porter ses fruits. Une demi-douzaine de pays anglophones et lusophones sont revenus sur leur reconnaissance de l’indépendance du Sahara occidental et aucun n’a fait le chemin inverse : c’est un signe.
Plus généralement, le Maroc ne peut que profiter de son avantage comparatif, en matière d’investissement économique et humain sur le continent, avec l’éternel rival algérien. En partie pour des raisons de santé, le président Bouteflika ne s’est plus déplacé depuis quatre ans au sud du Sahara, où ses visites bilatérales se comptaient à peine sur les doigts d’une main.
Si elle a, incontestablement, une politique sécuritaire sahélienne, gérée par un ministre des Affaires étrangères compétent, Ramtane Lamamra, et si les séjours à Alger de chefs d’État africains restent fréquents, l’Algérie n’a pas, ou plus, de projet africain multisectoriel, ni de politique africaine tout court. Quant à sa coopération purement économique, tant publique que privée, avec les pays subsahariens, elle flirte avec le néant.
À condition d’oublier l’UA, le Maroc avait donc devant lui une autoroute vers le cœur du continent. Encore fallait-il s’en rendre compte et cultiver la volonté de renouer avec les racines africaines du royaume. À cet égard, le moment symbolique de cette dernière tournée royale aura été l’hommage rendu par Mohammed VI à Amílcar Cabral et aux martyrs de la lutte de libération à la Fortaleza d’Amura à Bissau. L’esprit qui soufflait ce jour-là rappelait celui de la conférence de Casablanca, quand Mohammed V rassemblait autour de lui les leaders de l’Afrique militante. Cinquante-cinq ans plus tard, son petit-fils a repris le flambeau.