Lanceurs d’alerte : apôtres de la transparence ou trublions ?
Dès l’annonce du remaniement ministériel, la secrétaire générale du Parti des travailleurs, vient d’écrire un chroniqueur du journal Liberté, s’est arrogée l’accessit d’avoir fait chuter une ministre qu’elle réprouvait, pour de bonnes ou mauvaises raisons.
Cette dernière a été, aussi, jusqu’à "remercier" le président de la République d’avoir apporté des rectifications au dernier remaniement ministériel qui ont, ainsi, permis à Youcef Yousfi, qu’elle qualifie "d’homme intègre", de rester au gouvernement. Elle estime pour autant, que le travail n’est pas terminé et assure qu’elle continuera à dénoncer et à faire pression sur les décideurs pour qu’ils placent des hommes intègres et patriotes pour développer le pays.
Bien avant cela, Louisa Hanoune avait sonné la charge contre le ministre de l’Industrie l’accusant de "lancer un vaste plan de bradage des entreprises publiques". Et à ce dernier, de comparer ces accusations à "des gesticulations mues par les intérêts des tenants de l’immobilisme". Abdeslem Bouchouareb, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’a pas hésité à insinuer, dans la foulée, que certains "des lanceurs d’alerte" sur les dangers d’une privatisation, PT et syndicats inclus, sont, en fait, derrière l’arrêt de complexes industriels, à l’image de ceux d’El Hadjar et de la SNVI.
Louisa Hanoune "lanceuse d’alerte" ? Oui, mais, qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ? L’expression, faut-il le rappeler, a été inventée dans les 1990 par des sociologues Français. Elle vise, explicitement, à séparer le dénonciateur (sincère) du délateur (intéressé). Autrement dit, le lanceur d’alerte désigne une personne ou un groupe qui estime avoir découvert des éléments qu’il considère menaçants pour l’homme, la société, l’économie ou l’environnement et qui, de manière désintéressée, décide de les porter à la connaissance d’instances officielles, d’associations ou de médias, parfois contre l’avis de sa hiérarchie(*).
Un lanceur d’alerte n’est pas, forcément, un salarié ou un cadre prisonnier d’un système de pouvoir et risquant des sanctions. Ce peut être un citoyen lambda, un usager, un médecin ou un scientifique, ou même une instance officielle de la sante lorsqu’elle alerte, par exemple, sur un risque de pandémie, comme dans les cas des virus H5N1 ou Ebola. A la différence du délateur, le lanceur d’alerte est de bonne foi et animé de bonnes intentions : il n’est pas dans une logique d’accusations visant quelqu’un en particulier, mais affirme divulguer un état de fait, une menace dommageable pour ce qu’il estime être le bien commun, l’intérêt public ou général.
Il n’en reste pas moins, que les lanceurs d’alerte sont des personnages controversés qui font couler beaucoup d’encre. Petit rappel de l’actualité récente : l’analyste de l’Agence Nationale de Sécurité américaine Edward Snowden est inculpé "d’espionnage" pour avoir transmis à la presse des documents top secret des deux programmes de surveillance massive Prisme et Xkeyscore. Réfugié à Hong-Kong, il déclare : "Je suis prêt à tout sacrifier, car je ne peux pas, en conscience, laisser le gouvernement américain détruire la protection de la vie privée". Barack Obama, devant s’expliquer sur ces écoutes généralisées, assure que les Etats-Unis, n’espionnent pas les "gens ordinaires" et promet davantage de transparence. Il y a aussi le cas de Bradley Manning qui a fourni, courant 2010, 250 000 câbles diplomatiques 500 000 rapports militaires classés secret défense à Wikileaks.
Dans les deux cas, ces hommes se sont prévalus d’un devoir moral pour divulguer des informations secrètes. Ce faisant, ils sont devenus des héros pour les uns, des irresponsables, voire des traitres pour d’autres. Pourtant leur action s’inscrivait dans la tradition américaine qui remonte à la lute contre la corruption pendant la guerre de Sécession.
En Algérie "deux lanceurs d’alerte" ont défrayé la chronique et continuent, à ce jour, de "plaider" leurs dossiers estimant "détenir la vérité" sur ce qu’ils tentent de dénoncer : Mohamed Slimani, l’ex-chargé de communication des Douanes Nationales, qui a jeté un pavé dans la mare en dénonçant ce qu’il a appelé : "la mafia de l’import/import" et Benyoucef Mellouk, l’auteur du dossier dit "des magistrats faussaires". Tout comme ceux de l’étranger, ces deux hommes font régulièrement l’objet de "poursuites-baillons" qui impactent, gravement, sur leur santé financière et physique, la tranquillité de leur couple et de leur famille, leur sécurité personnelle et leur image.
En France, depuis les années 1990, plusieurs associations ont demandé la mise en place d’une législation afin de protéger les lanceurs d’alerte, en s’inspirant du droit existant dans différents pays, dont les Etats-Unis. Sur cette problématique, le Grenelle de l’Environnement, en France, a proposé une protection juridique des lanceurs d’alerte. Le Gouvernement Fédéral du Canada, quant à lui, s’est doté d’une loi pour la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles. Pour le moment, le lanceur d’alerte suscite autant d’intérêt que de méfiance pour les pouvoirs publics. Pour certains, il relève beaucoup plus de la démocratie participative que de la démocratie représentative. Il continue pourtant à se heurter à la rigueur du droit pénal. Toutes les dispositions législatives de par le monde, tentent, in fine, à encadrer les lanceurs d’alerte plutôt que de les "protéger" et de ce fait, entretiennent une suspicion de "délation".
Pourtant, le lanceur d’alerte sonne mieux et de manière plus vertueuse, que la figure du dénonciateur ou même du militant. Quand on lance une alerte, c’est pour que des actions soient engagées par d’autres. En l’occurrence, les pouvoirs publics. Ce n’est pas de même nature qu’un déroulement d’un programme de critique sociale ou politique.
Et ce qui est décisif, tient à rappeler l’auteur de la formule "lanceur d’alerte", le sociologue français Francis Châteauraynauld, c’est la trajectoire de l’alerte, le sort qu’elle va subir, le type de controverse ou de mobilisation, de décision… ou d’indécision qu’elle engendre. C’est ce qui détermine, parfois après de longs processus, comme on l’a vu, par exemple, avec les dangers de "l’amiante", si le lanceur d’alerte est un précurseur ou un contestataire.
En tous les cas, le lanceur d’alerte ou "sentinelle de veille" s’apparente, aujourd’hui, à une sorte de label d’authenticité pour toutes sortes de causes. Et la secrétaire générale du Parti des Travailleurs, Louisa Hanoune, peut, à juste titre selon certains, s’en revendiquer, elle qui a dénoncé les travers de la loi sur les hydrocarbures, dans sa première mouture du moins, et qui a été, laisse-t-elle dire, à l’origine du retrait du texte.
Avec les politiques, ce sont les journalistes qui s’illustrent dans ce rôle de lanceurs d’alerte. Médiapart ou le Canard Enchaîné, médias français, tiennent le haut du pavé, en matière de divulgation d’affaires (Cahuzac notamment) et s’en revendiquent, contrairement à cette autre journaliste scientifique française, Anne-Marie Casteret qui a pourtant révélé le scandale du "sang contaminé", sous l’ère du gouvernement Fabius, contre une écrasante majorité de ses confrères médecins et qui affirmait, pourtant "je ne suis pas une lanceuse d’alerte, je ne fais que mon métier !".
Belle leçon de courage et d’humilité pour tous ceux qui veulent s’inspirer de son parcours ou plus encore, marcher dans les pas de Jean-Paul Sartre qui, à son époque, attaquait tous les jours dans ses écrits journalistiques le Général De Gaulle, président de la République française, et n’en démordait pas !
Le ministre de l’Intérieur de ce dernier lui proposa de mettre Sartre en prison. Ce à quoi, le Général rétorqua par cette formule demeurée célèbre : "On n’emprisonne pas Voltaire !".
En Algérie, les pouvoirs publics ont renforcé et même durci la législation en matière de corruption ; ils ont mis en place une panoplie de textes réglementaires ainsi que des outils de type "numéros verts" destinés à l’alerte. Le ministre de la Justice Tayeb Louh, chantre de la transparence, vient de signer une instruction demandant au parquet de s’autosaisir dans les affaires de corruption et tout ce qui touche aux biens et à l’ordre public. S’agit-il d’un signal pour tous les lanceurs d’alerte à venir ou alors continuera-t-on dans nos contrées d’ici-bas de considérer ces derniers comme des trublions ?
Cherif Ali
(*) Wikipédia
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