Situation économique et rapports de forces politiques en Algérie
"Pas de bonne économie sans vraie démocratie", Sen, A.K., Prix Nobel d’économie
On ne peut comprendre la situation actuelle, tant politiques qu’économiques d’une manière générale et en particulier au Maghreb et en Afrique, pouvant assister à des déclarations contradictoires de responsables politiques, des promulgation de textes de lois ou des décrets louables puis, leur hibernation ou leur amendements sans analyser les rapports de forces entre les acteurs favorables et les acteurs défavorables aux réformes tant politiques qu’économiques qui conditionnent, accompagnent et parfois provoquent des changements d’importances inégales dans le système politique. Une grille de lecture cohérente est nécessaire pur éviter de mauvaises interprétations et ce particulièrement en Algérie, en référence toujours aux aléas des recettes de la rente, expliquant les crises qui secouent périodiquement tant des partis du pouvoir FLN/RND- des partis de l’opposition sous le vocable "redressement", les instabilités juridiques concernant l’investissement, les décrets portant obligation de chèques certifiés 50.000 dinars puis 500.000 dinars vite abandonnés et récemment sur les concessionnaires.
1.- La question qui mérite d’être soulevée est la suivante : limiter le débat à une analyse strictement économique du cours du pétrole sur le plan technique , des liens entre les mouvements de capitaux et la croissance à travers la balance de paiement, des indicateurs macro-micro-économiques en ignorant les indicateurs macro-sociaux et politiques permet-elle de répondre aux préoccupations majeures du pays et surtout d’avancer des solutions opérationnelles ? N’avons-nous pas besoin aujourd’hui surtout d’une vision stratégique face à un monde turbulent et incertain et des tensions géostratégiques qui se dessinent à nos frontières ? Cela ne passe-t-il pas par des équipes pluridisciplinaires complexes, où chacun ferait son métier, pour des approches cohérentes où cohabiteraient des politologues, des juristes, des sociologues, des anthropologues, des historiens (ce besoin de mémoire), des scientifiques purs, des ingénieurs et des économistes ? Cela est fondamental pour comprendre la situation actuelle et surtout de proposer des solutions réalistes évitant des actions désordonnées conjoncturelles qui nuisent au devenir du pays. Toute nation qui n’avance pas recule forcément et contrairement à la mentalité rentière, dépenser sans compter, le temps dans la pratique des affaires ne se rattrapant jamais. L’économie n’est-elle pas politique comme nous l’ont enseigné les fondateurs de l’économie Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx ? Faute de quoi l’économiste appliquerait des schémas mécaniques, des théories abstraites sur un corps social en mouvement qu’il ignore et dont les recettes donneraient des résultats négatifs même si les calculs économiques sont corrects, comme une greffe sur un corps qui le rejetterait. Car la balance des paiements est un document comptable statique, qui pour être bien interprété, doit être inséré au sein d’un cadre social dynamique. Dès lors, peut-on affirmer qu’il y a augmentation automatique du revenu et de la consommation des ménages corrélativement à l’augmentation du produit intérieur brut, qui n’est qu’un indicateur global que contredit d’ailleurs l’indice de développement humain plus fiable, les enquêtes précises sur la répartition du revenu national par couches sociales étant inexistantes actuellement en Algérie ? Pourquoi y a-t-il faiblesse de l’émergence de l’entreprise cœur de la création de la richesse permanente et la dévalorisation du savoir ? Où va l’argent du pétrole, dilapidé ou bien utilisé ? Un des prix Nobel, Sen, n’a-t-il pas innové par ses analyses pertinentes sur l’anthropologie économique ? Et les récents prix Nobel ont su intégrer, avec réalisme, les paramètres et variables à la fois politiques, sociologiques, sociaux, culturels et économiques, reflet de la complexité de la société, pour définir l’optimum socio-économique en intégrant le jeu des acteurs que l’on peut formaliser mathématiquement à partir d’un modèle matriciel ouvert que j’ai tenté il y a cela plus de 15 années au cours d’une conférence internationale (1), modèles opérationnels s’appuyant sur la théorie des jeux souvent utilisés en géostratégie par les grands services de renseignements comme la CIA, le KGB ou le 2ème bureau français pour conseiller leurs gouvernements. Devant partir dans toute démarche scientifique du général pour revenir au particulier, de différencier donc l’essentiel du secondaire, nous arrivons à la conclusion que le déblocage durable en Algérie réside essentiellement en l’urgence de la refondation de l’Etat reposant sur des réseaux décentralisés loin de la vision autoritaire et sur le savoir impliquant une réorientation urgente de toute la politique économique et sociale. L’Algérie a trop souffert du populisme et de politiques improvisées (1).
2.- Les couches sociales moyennes porteuses d’une modernité enracinée dans l’espace social font cruellement défaut aujourd’hui aux réformes, alors qu’elles sont la condition d’une croissance durable afin d’atténuer le chômage et la pauvreté. C’est leur renaissance et la consolidation de leur poids politique, culturel et économique qui permettront, à travers une société civile assainie de dynamiser l’espace politique, économique, social et culturel solidaires de l’Algérie, passant par l’impulsion de véritables réformes structurelles. Mais s’opposeront à ces réformes, les rentiers, sous le slogan du nationalisme alors que véritable nationalisme doit se mesurer par la création de la valeur ajoutée interne atténuant les tensions sociales par la création d’emplois productifs. C’est par rapport à des référents anthropologiques que s’est constitué l’assabia ethnico-financière et dont la structuration sociale, évolutive, est toujours en gestation qui explique que l’esprit d’entreprise est faible. En effet, l’accumulation des richesses a suivi le processus de positionnement des cadres dans les secteurs névralgiques ou même secondaires de l’économie et surtout son domaine public. C’est majoritairement à partir de l’accumulation des richesses dans ce secteur et la redistribution de la rente des hydrocarbures que s’est construite la structure de couches (on peut parler encore de classes sociales) en Algérie, structuration lente non achevée. D’où la lutte de pouvoir pour contrôler la rente et certaines fonctions électives ou nominations à des postes clefs où les candidats y voient un moyen de s’enrichir et enrichir leurs soutiens. Pourtant, les réformes, qu’elles soient économiques ou politiques, peuvent recevoir un soutien inattendu et tout aussi bénéfique des couches sociales qui sont aujourd’hui efficacement encadrées par des structures organisationnelles construites de longue date à partir des équipements anthropologiques et culturels qui sont propres aux différentes régions du pays. A cet effet, les structures tribalo- confrériques sont un tableau de bord vital pour une gestion politique et socio-économique pragmatique et féconde. Si l’organisation administrative de l’espace est souvent source de conflits concurrences, les hommes eux vivent un rapport plus fécond et plus harmonieux avec leur espace qui n’est pas celui de l’administration comme l’a démontré brillamment Hernando De Soto «sur Etat de Droit et sphère informelle- dans mon ouvrage – l’Algérie face aux enjeux de la mondialisation – perspectives 2010: bonne gouvernance, démocratie et économie de marché (simultanément en arabe-français-anglais - édition Dar El Gharb 2004). Ainsi le droit coutumier est une pratique courante surtout dans les transactions immobilières non reconnus par l’Etat mais reconnus par les citoyens. On peut émettre l’hypothèse que c’est l’Etat qui est en retard par rapport à la société qui enfante des règles qui lui permettent de fonctionner. En effet, ce genre de situation est à prendre en considération pour l’analyse de la stratégie du jeu des acteurs. Il s’agit en tout premier lieu d’identifier les différents intervenants dans le processus des réformes politiques et économiques, qu’ils y soient favorables ou défavorables, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Dans une seconde étape, il s’agira de procéder à l’analyse des stratégies qu’ils mettent en œuvre pour soutenir les réformes, les bloquer ou, à défaut, les ralentir, en évaluant les moyens mis au service de ces stratégies. C’est la seule manière de neutraliser les forces hostiles pour faire avancer les réformes d’où l’importance d’une large médiatisation auprès de la société civile et notamment des femmes qui sont porteuses de changement.
La recomposition du pouvoir d’avère urgente au niveau des différents appareils de l’Etat car les résistances proviennent des certains cercles appartenant au pouvoir politique ou à sa périphérie immédiate qui redoutent les effets de tels changements sur les situations de rente qu’ils ont pu se construire tout au long de ces dernières décennies. Ces mêmes acteurs craignent par ailleurs de perdre le contrôle qu’ils exercent sur certains leviers politiques et économiques et cela au profit de ceux qui œuvrent à la promotion de ces réformes et à leur réussite. Les résistances au changement peuvent être localisées au niveau de cinq espaces de prédilection : certains segments du système partisan qu’ils soient dans le pouvoir ou l’opposition, les assemblées élues ou même dans certains segments du pouvoir central et local ; certains segments de l’administration centrale et locale - certains segments de la société civile ; une partie des opérateurs économiques privés connus pour avoir prospéré à l’ombre des monopoles détenus par le secteur public et plus tard de leur démantèlement et enfin une partie significative des syndicats corporatistes et du secteur public mue par des considérations idéologiques ou par des intérêts rentiers. Par ce maillage d’une partie de la société et de l’Etat, les opposants aux réformes tentent de peser sur la nature de ces dernières, sur l’agencement de l’ordre des priorités et enfin sur les rythmes à imprimer à leurs conduites. Or, le besoin de changement existe dans toutes les couches de la société. Il est surtout visible chez une grande frange de l’intelligentsia silencieuse consciente des enjeux, les femmes qui voient en les réformes une manière d’exister et de participer à la gestion de la cité, une jeunesse avertie, de plus en plus exigeante et impatiente, inquiète pour son avenir et de jeunes entrepreneurs dynamiques expliquant pour la première catégorie l’exode massif de cerveaux, pour la troisième le désir de l’aventure en dehors des frontières et la dernière de travailler hors droit où la sphère informelle.
Quant au rôle des acteurs externes, avec le processus de mondialisation,(2) le système des regroupements politiques et économiques régionaux, existant ou en cours de formation, a profondément modifié les relations bilatérales existant entre les Etats. Mais on ne doit pas oublier les acteurs externes hostiles aux réformes liés à des segments internes de pouvoir via la rente des hydrocarbures et la convoitise des réserves de change, évaluée à plus de 178 milliards de dollars au 31/12/2014.
En résumé, ne nous trompons pas de cibles pour paraphraser le langage militaire. Ce n’est pas une question d’âges pouvant trouver les conservateurs et les réformateurs au niveau de toutes les franges de la société mais d’une volonté politique de changement porté par des forces sociales. Dans l’histoire récente de l’Algérie, la question des réformes – quelles soient économiques ou politiques – a donné lieu, en raison des enjeux qu’elles représentent, à l’élaboration de stratégies antagoniques qui œuvrent à la défense et à la promotion de ces dernières ou, au contraire, à leur blocage et, à défaut, à leur perversion ou à leur ralentissement.
Dr Abderahmane Mebtoul, professeur des universités
(1) Voir-sur ce sujet article du Docteur A. Mebtoul paru dans la revue financière mondiale Euro-Money, Londres, septembre 1998, réactualisé 2003 reproduisant la conférence du même auteur organisé par cet organisme au Caire en 1999.Voir du même auteur l’article publié dans le Washington Times, USA, juin 1999, et la revue internationale Gaz d’aujourd’hui, novembre–décembre 2002, Paris/France. Conférences sur le même thème du Docteur A. Mebtoul à l’Académie militaire Inter- Armes de Cherchell- l’Université de Constantine, à l’Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou et à l’Université d’été de Hassi Messaoud entre 1999/2002 sur "Enjeux des acteurs et problématique des réformes et la Démocratie en Algérie face au processus de la mondialisation" ronéotypés dans l’ouvrage du même titre de l’auteur à l’office des publications universitaires – OPU- Alger (2 tomes 540 pages 2002). conférence du professeur Abderrahmane Mebtoul, direction générale sûreté nationale école supérieure de police Alger 15 mai 2015 "chute du cours du pétrole et impacts sur les équilibres macro-économiques et macro-sociaux"
(2) Sur ce sujet plus large concernant la géostratégie -dans le cadre de ses activités scientifiques, l’Université d’Oran 2, Mohamed Ben Ahmed- dans le cadre de ses activités scientifiques, organise le mercredi 27 mai à 14h à l’auditorium de la faculté de Droit et des Sciences politiques Poile Universitaire Belgaid, une conférence débat sur "Le monde qui vient– enjeux géostratégiques- et perceptives pour l'Algérie et la France"», animé par l’Amiral Jean Dufourcq, professeur associé à l’Institut des Sciences politiques, directeur d’études à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire de Paris –ancien directeur de la rédaction de la revue internationale "Défense" conférencier auprès de prestigieuses universités (Asie- Amérique-Europe) «-Expert auprès des organisations internationales CEE-OTAN, auteur de nombreuses publications internationales - Modérateur Professeur des Universités, expert international en management stratégique Dr Abderrahmane MEBTOUL qui a invité le conférencier.
Commentaires (4) | Réagir ?
merci
Mass Mebtoul:
Vous prêchez dans le désert, non Monsieur on ne peut pas seulement parler d'économie sans lien avec le social, surtout la justice sociale, l'égalité, le régionalisme qui fait des ravages, des ministres 25% qui ne sont guère inquiétés par la justice, pour parler il faut un CADRE sein, par celui des vautours et des passe droits.
On a proposé plusieurs solutions mais aucune n'est retenue, par le gouvernement, sur le chômage, les projets "UTILES" à l'Algérie, l'école "sinsitri" il y a du beau et du mauvais mais là, franchement ça commence à être sérieux, je viens de séjourner quelques jours au bled, je n'ai pas fait le tour de l'Algérie, mais j'ai ma petite idée sur ce peuple mutant, dont la devise est : Le mensonge et l'argent par tous les moyens, ce n'est pas comme ça qu'on va arriver.
Les mutants capitalistes ne savent rien en la finance, les sacs noires remplis ne feront jamais le bonheur de l'économie de l'Algérie, parce que un économe est quelqu'un de calme, une orientation, des projets (Agriculture surtout) après ça vient au fur et à mesure, la petite industrie (artisanat) et les services (l'école et la formation sont la clé de la réussite) l'administration à moderniser.
Le reste, c'est qu'il faut des hommes et des femmes honnêtes pour parler de l'économie et surtout instruits pas comme les ministrous qui ne savent pas ou aller.
Avant tout, un président valable, pas une charrette, des ministres à la hauteur pas des Mokadems ou des vizirs de soumission, et des généraux capables de discuter stratégie militaire et économie.
"J'ai vu un peuple en attente, une situation presque calme, ordinaire mais très préoccupante"
c'est mon sentiment, l'économie de notre pays, n'est que du commerce, ventes - achats des produits importés dont la plupart sont cancérigènes (45000 nouveaux cas par an) c'est inimaginable il y a d'ici 15 ans.
Pour une économie de proximité, simple et des projets viables, agriculture, réserves d'eau, ... suppression de l'Ansej; pour un Ansej agricole, pour un vrai dialogue social, économique, .. le reste n'est que théories d'économistes.
RMII