En "berbère pas barbare", Ferhat revient aux cantiques d’espoir !
Le nouvel album de Ferhat Imazighen Imoula était attendu par ses fans depuis quasiment un an. Des affiches à Tizi-Ouzou en annonçaient l’imminence dès le printemps 2014.
Et nous, inconditionnels de ces "chants révolutionnaires de Kabylie" intemporels des années de nos 20 ans, commencions à nous impatienter car nous savons que, côté musique, Ferhat verse dans un perfectionnisme quasi-maladif. Une perfection qui fait de chacun de ses albums, une pépite à apprécier à enivrement, au sens propre comme au sens figuré, même si, autant l’avouer, l’écoute des premiers morceaux, servis sur Youtube, début avril, laissait place à un petit arrière-goût de déception, l’oreille ayant été formatée aux chefs-d’œuvres mirifiques de ses premiers succès. Côté mélodies, notre maquisard de la chanson Kabyle, comme le surnommait Kateb Yacine, ne désenchante pas et, comme à son habitude, c’est avec une orchestration travaillée et une qualité symphonique exceptionnelle qu’il nous sert chaque refrain. Côté lyrisme, c’est une colère tranquille qui porte le sceau d’une nostalgie et d’une sensibilité d’exilé à fleur de peau, dans laquelle les mots "thilleli" et "Aqvaïli" en constituent l’assortiment indissociable dans une appréciation qui oscille entre une rage contenue et un désespoir assumé, et parfois l'inverse, lesquels sont tissés avec application, au détour de chaque rime, tout au long des 10 titres qui composent ce nouvel album, et qui vous entraînent sur les chemins qui mènent à la liberté, aux sens noble et universel. Une liberté que les uns tentent d’arracher au prix de moult sacrifices pendant que d’autres se chargent de semer des embûches sur chaque tronçon de ses sentiers.
Des décennies après "20 ans u-mazal" et "Chants berbères de luttes et d’espoirs", Ferhat n’a pas perdu de sa verve revendicatrice. La revendication d’une liberté dont il nous invite à en ressasser l’absence à travers une relecture des méfaits et drames récents que le pouvoir, qui se veut arabo-islamiste, nous inflige depuis 53 ans pour anéantir nos traces sur les terres de nos seuls ancêtres, les berbères. Revendications culturelles et cris de liberté légitimes que ce pouvoir de malotrus continue de prendre à la légère, 63 ans après l’indépendance, en s’acharnant à faire ployer chaque citoyen algérien pour le soumettre à une rythmique islamique des plus obscures, quand le berbère préfère plutôt se briser sur les récifs de la barbarie que ces renégats à leur propre génétique érigent, en toute illégitimité : «Anerez walla anekhnou» martèle donc l’ancien à leur endroit!
Les complaintes se suivent et se synchronisent dans la forme pour mieux se rassembler dans le fond et produire un bloc compact de colère, d’hymnes à la Kabylie et de flammes à la langue kabyle, qui culminent par un duo avec Idir. Un duo dans lequel nos deux idoles revisitent quelques métaphores récoltées d’une pure tradition orale pour nous faire chevaucher "Assirem" (l’espoir) avec une terminologie et des allégories du terroir qui ne peuvent s’apprécier qu’en kabyle. Comment ne pas se laisser envahir par l’émotion quand, à cet espoir, sont associés des mots simples qui font d’un "a3aqa" d’une "thavarda" et des "afriwen" des ingrédients métaphoriques subtils ? Une chanson, un tube que de nombreux Algériens ne connaîtront malheureusement pas, car elle ne sera sans doute jamais diffusée sur les canaux radios et télés officiels. Reste à espérer que cette main tendue d’Idir aura pour effet de booster la carrière musicale de Ferhat et rehausser son succès pour le porter au niveau international qu’il mérite. La plupart des non-Algériens auxquels je fais écouter ses premiers albums, depuis plus de 20 ans, ont salué son talent et sa musique universelle. Un collègue Breton guitariste qui m’avait accompagné à un de ses derniers spectacles, à Lille, il y a 8-10 ans, était tellement emballé par sa prestation qu’il s’était étonné qu’il ne fût pas aussi célèbre qu’Idir. C’est bien dommage que telle disposition à la musique se laisse noyer dans l’avarie politique, rajouta-t-il, quand je lui en appris davantage ! Mais bon, après tout, chacun sa vision du combat, l’essentiel est dans la paix de l’âme, celle qui mène à la paix entre les hommes. Et à ce niveau, Ferhat donne l’impression d’être nanti d’une sacrée dose !
Comment l’ignorer quand on perçoit dans ces complaintes le ton mesuré qui transpire la sagesse de l’âge ? Autant dans ses premiers albums Ferhat s’en prenait explicitement à ce pouvoir de canailles par des paroles crues qui ne laissaient aucune place à la moindre ambiguïté quant à sa posture d’opposant farouche, autant dans ce dernier opus, il ne s’étale pas en références à ces "thivesline yerkane" qui ont confisqué le pays. Une façon de leur renvoyer le mépris dont il fait l’objet et dans lequel ils ont cantonné son engagement depuis l’assassinat odieux de 128 jeunes à Tizi-Ouzou, en 2001. Et si, comme le stipulait de son vivant Whitney Houston "la musique et l’amour c’est la même chose", à travers ce nouvel album, c’est une déclaration fougueuse que Ferhat fait à cette Kabylie colonisée par tant d’envahisseurs pour lui refuser toute liberté, condamnant sa sève aux seuls choix de l’exil ou de la matraque. Les mots "thakvailit" et "thilleli" dominent d’ailleurs largement les textes de ce nouvel opus.
De la rage tranquille qui émane de cet album, on peut oser une définition conforme à l’engagement de Ferhat, celui de "Berbère, pas barbare", c’est ce slogan que nous aurions tous aimé crier au monde pour nous démarquer de cet extrémisme ravageur que les tenants d’un pouvoir illégitime ont semé, sous l’œil malveillant de l’Occident, dans un pays constitué de tribus berbères pacifiques. Un Occident acquis à leur cause en nous rattachant de force à un bloc fictif, celui du Maghreb- Moyen-Orient, conçu pour nous ligoter à la source du terrorisme wahhabite. N’est-ce pas le meilleur moyen de contrôler notre pays que de faire de ses citoyens des suspects à surveiller en permanence tout en perpétuant le pillage de nos matières premières, avec la bénédiction des colons d’Alger ?
À ce propos, il est grand temps que les choses bougent dans le bon sens, et que le monde se décide enfin à faire la part des choses, entre ce terrorisme importé d’Arabie et le pacifisme naturel de nos tribus. Pour ce faire, de simples vœux pieux ne suffisent pas. En ces moments où nos vies chevauchent le 3eâge au galop et où le carillon du trépas peut sonner à la porte, à tout moment, il est urgent de laisser une signature au combat Amazigh en organisant un concert géant pour dire au monde et aux générations futures que nous sommes bien berbères et qu’il ne faut surtout pas nous confondre avec les barbares! Un festival qui se doit de rester dans l’Histoire du combat Amazigh, au même titre que Woodstock est resté comme le symbole hippie du «oui la paix, non à la guerre» en plein conflit Vietnamo-américain.
Et, de mon point de vue, toute réorganisation politique en Algérie, et au-delà dans tout le Maghreb, passe par une reconnaissance internationale de sa dimension Amazighe et sa démarcation de tout totalitarisme politique ou religieux. Quelle autre preuve peut-on apporter au monde que celle d’un festival gigantesque, à la mesure d’un Woodstock, dans lequel Ferhat en serait le Jimi Hendrix qui dit m…à la machine religieuse fabriquée par ces nouveaux colons, qui se disent fiers d’avoir été arabisés par l’islam, pour entraver toute marche vers cette liberté, à laquelle toutes nos peuplades souscrivent, exceptés les chenapans d’Alger et leurs protégés, ces petits FIS-tons qu'ils font semblant de combattre pour tromper le monde?
Avec Idir, Ferhat, Amazigh Kateb, Sidi-Bémol, Baâziz, Aït-Menguellet, Takfarinas, pour ne citer que ces sept statures, côté hommes, ainsi que Souad Massi, Malika Domrane, Yasmina, Kenzah Farah, Isabelle Adjani, Juliette, Dihya et tant d’autres, côté femmes, peut-on douter de la réussite d’un tel projet ?
Quel pays oserait refuser de reconnaître notre adhésion à un monde de paix et de liberté, délivré de toute tutelle idéologique, avec un Woodstock Amazigh et un slogan unique "berbères oui, barbares non", affranchi de toute référence politique partisane exclusive ? Une telle approche étant, de mon point de vue, la seule à même de réconcilier les partisans de solutions souvent divergentes. Cela donnerait, à n’en point douter, un socle universel au combat pour notre culture pour lui tracer les chemins que le monde moderne exige, ceux d’un apaisement, d’une réconciliation et d’une fraternité affirmés entre tous les habitants de ce petit caillou perdu dans l’univers, appelé Terre.
Un tel festival n’aurait-il pas valeur de milles legs pour les générations futures pour que vive la Kabylie, en harmonie avec toutes les autres contrées berbères du pays, et par-delà, celles de l’Afrique du Nord ?
Tout cela relève peut-être d’une utopie absolue, mais après tout, le rêve nourrit l’espoir et l’espoir fait vivre! Et à propos de rêve et d'espoir, le nouvel album de Ferhat en contient de bonnes doses aussi.
Kacem Madani
Commentaires (9) | Réagir ?
Oui Ferhat, le chanteur, est incontestablement un écorché vif de l’amazighité. Mais pas seulement.
N’a-t-il pas chanté :
Thadoukli a igdoudène
« Thezwagh mara ats nesoudène
Anarez azaglou
Anakès ouk irebithène
I thzelmate ara neddou. » Si ma mémoire est bonne !
Les poètes les bardes, ont toujours été des visionnaires ! Jadis, on les prenait pour des magiciens, des devins.
Mais les plus grands poètes de l’histoire qui se sont aventurés dans le terrain politique se sont toujours fourvoyés. Victor Hugo, le monstre sacré de la poésie, a commis un brulot contre Napoléon, pas l’empereur, son neveu, celui qu’il aimait appeler « le petit ». Mais l’homme politique était loin d’égaler les grands tribuns et il n’était fondateur d’aucune idéologie qui ait marqué l’histoire de son pays.
Aragon est considéré comme le Victor Hugo de notre siècle, mais en politique il s’est souvent égaré dans des postures incompréhensibles pour le quidam.
Ferhat, lui, était un visionnaire. Quand il chantait : amarezguenagh d. achou inetswali,
"Les frères musulmans eqnène thirkassin
Astradjoun seulement melmi id as nsène"
Les frères musulmans ont noué leurs lacets
Ils attendent seulement le bon moment….
Mais qui n'a pas son coté Hyde?
Tu sais, dans le fond, Ferhat fait de la peine car il porte une charge trop lourde pour ses épaules. Il eu fallu de vrais baroudeurs pour l’épauler, car
La politique est affaire de Tueurs et Ferhat n’est pas un tueur !
La politique est affaire de triche et Ferhat n’est pas un tricheur !
La politique est affaire de menteurs et Ferhat n’est pas un menteur !
etc. ad infinitum
Je parle du chanteur et du politicien, car il semble que ce soient 2 personnes différentes! Pendant que le chanteur est annoncé au café Tikjda pour la levée de fonds pour la fondation Tiregwa, à Paris, le politique lui est au Québec, ce même jour, samedi 23 mai ! Soubhan Allah ! Rouh khech thoura affas akerrou ! N’eut-été un empêchement de dernière minute, je me serais rendu à Paris pour l’événement ! Ouakila Bacchus veille bien sur ses disciples aussi!... lol, alors Allaaah santé !
Le problème a toujours été la praxis : quand les idées et les rêves sont mis en chantier.
Les baroudeurs savent où ils mettent les pieds ! ils ont besoin de quelqu’un pour les incarner.
"Uhrichène kathness afous", il a dit lui qui ne se mouille et ne se fourvoie jamais, sauf de l’autre coté.
Mais Ferhat est loin d'être dupe de tout ça. Sauf qu'à malin malin et demi.
Les poètes ont toujours été des prophètes qui ne se sont pas assumés. Il y a bien des gens qui attendent Godot et d’autres le Mahdi. C’est ce qui arrive à ceux qui promettent le paradis: ils peinent à se réaliser parce qu’ils ne sont plus le produit de leurs propres idées mais des lubies de leurs apôtres.
C’est difficile de se mettre en conformité avec ses idées et encore plus avec sa poésie. Un jour, lors d’une discussion, j’ai saisi l’occasion de mettre le doigt sur la contradiction et j’ai dit iweneth qu’il était dissonant (qu’il y avait contradiction entre ses pensées et son comportement). Il s’est mis dans une colère hystérique et m’a qualifié de psychopathe.
Comme tu le soulignes (à peine) et comme disait Sartre : l’enfer c’est les autres ! Ferhat peine dans ses adaptations et dans ses acoquinements forcés, pendant que ses apôtres tirent sur la couverture et lui font des zawiyas dans le dos.
La preuve de tout ça, c’est que ses souhaba attribuent à Ferhat le don d’Ubu … heu…d’ubiquité. Comme bouqebrine, il est annoncé partout à la fois.
Heureusement que Bacchus veille sur ses disciples, ya boureb !
La barbarie a un nom, elle s'appelle l'Etat Islamique (EI) ou Daesh comme on le voit de nos jours. Une barbarie que la Kahina a combattue sur sa Terre jusqu'à son dernier souffle dans les temps antiques.
Merci pour cette précision ;) ! Effectivement, la Reine Kahina combattu contre ces extrémistes.... Même aujourd'hui, le combat n'est pas terminé. Merci à Ferhat pour cet album que j'ai eu le plaisir d'écouter.