Louisa Hanoune ou l’histoire ambigüe du langage politique
Les dernières sorties de Louisa Hanoune contre les ministres de la Culture et de la Santé permettent peut-être d’analyser le discours et de cerner la posture de certains "partis" politiques en Algérie et leur positionnement sur la scène politique.
Par Ahmed Cheniki
Ainsi, celle qui a toujours été présentée comme une trotskiste semble troquer les oripeaux du marxisme pour porter ceux, ambigus, d’une gestion marquée par les jeux d’un manichéisme parfois outrancier fonctionnant par oppositions artificielles. La quête de l’ennemi, du "traître" semble articuler son discours recourant à deux champs lexico-sémantiques opposés et radicalement différents. Elle convoque, certes, depuis très longtemps un vocabulaire "nationaliste" tactique, faisant tantôt appel à la critique et au dénigrement de personnes, en dehors du cercle présidentiel affublé de jugements très favorables et tantôt à la logique du complot "impérialiste". La peur, souvent personnalisée, caractérise et ponctue le langage.
Aujourd’hui, la cheftaine du PT semble avoir cherché à avoir les faveurs du clan présidentiel, en évitant de porter la moindre critique tout en s’attaquant à des ministres qui fonctionneraient pour elle comme de simples souffre-douleurs, pour donner l’illusion de l’opposition. S’attaquer à des ministres tout en ménageant le président est le sport-favori de cette indéboulonnable "présidente" de parti doublée du statut informel de chef de clan hétéroclite. Le "parti" fonctionne comme un ensemble disséminé qu’on a peine à imaginer dirigé par une autre personne. Le président de la république est un élément intouchable, un espace d’adoration et une manière de dire qu’elle a les oreilles du chef de l’Etat. Même quand elle joue le rôle de dauphin obligé, sachant que les dés étaient pipés, elle exhibe sa satisfaction du résultat qu’elle célèbre comme si c’était son propre triomphe. Ainsi, pourrait-elle concurrencer les autres adversaires qui, paradoxalement, partagent cet "amour" intéressé du président qui serait l’unique détenteur d’un programme politique, Saidani, Bensalah, Ghoul, Benyounès et bien d’autres. Opportunisme ? Le nom du président investit fortement son discours, se présentant comme son grand défenseur, cherchant ainsi à neutraliser le concurrent. Cette propension à "adorer" le président est une tradition du discours politique algérien. Même Said Sadi a eu, à une certaine période, sa traversée d’amour présidentiel.
Les clichés et les stéréotypes peuplent un discours caractérisé par la présence d’entités antagoniques corroborant une logique plutôt morale, évacuant toute réelle dimension politique. Cette moralisation du discours est peut-être l’expression d’une absence de maîtrise du langage et des catégories politiques. Certes, des termes et des syntagmes comme «nationalisation», «rejet de la privatisation», «menaces sur le secteur public», «impérialisme» reviennent comme des leitmotive, mais vite dépouillés de leur substance et de leur contenu, suite à des alliances peu cohérentes et trop peu rationnelles. Le choix des mots ne correspond nullement aux pratiques sur le terrain, souvent réduites à des harangues continues où les attaques personnelles alternent avec des slogans politiques qui ne semblent pas faire bon ménage avec un discours idéologique cohérent, «socialiste» ou social-démocrate, mais fournissant des bribes et des onomatopées diverses. Louisa Hanoune n’arrête pas de convoquer Chavez, Cyriza et bien d’autres espaces antilibéraux, mais s’allie paradoxalement avec des structures défendant souvent un discours néolibéral, même si elle s’attaquait à des ministres de Bouteflika, comme Temmar ou Benachenhou, qu’elle considérait comme responsables de tous les maux du pays, sans une analyse approfondie des propositions de ces ministres qualifiés négativement.
La posture politique du «parti des travailleurs» identifié exclusivement au seul nom de Louisa Hanoune, les autres cadres semblent intervenir comme de simples faire-valoir, est difficilement lisible, compte tenu des divers changements qui caractérisent son discours politique et ses différentes alliances. C’est un «parti» que beaucoup d’Algériens ne réussissent pas à classer, considéré, certes, comme une structure appartenant à l’alliance présidentielle, Hanoune joue d’ailleurs énormément sur ce terrain pour pouvoir bénéficier de quelques dividendes. Elle doit avoir un rôle et une fonction à jouer dans une certaine partition.
Ses positions et ses sorties virulentes, à la limite de la décence, commencent à irriter sérieusement les gens, après avoir, à un moment donné, séduit une certaine clientèle. La réaction des usagers des réseaux sociaux à la suite de ses attaques continues contre la ministre de la culture est foncièrement négative, considérant le discours de ce «parti» comme passéiste, peu clair et réduisant la pratique politique à des attaques personnelles, manquant tragiquement d’arguments. Le fait d’en faire un abcès de fixation accrédite l’idée d’un règlement de compte, certains journaux n’ont pas manqué de faire le rapprochement avec son amitié- vraie ou supposée- avec l’ancienne ministre de la culture, Khalida Toumi. Ainsi, certains sont allés jusqu’à reprocher au «parti» de Louisa Hanoune de ne parler de la «culture» qu’en termes extra-culturels privilégiant la chamaillerie à la mise ne œuvre d’un projet culturel et d’un débat apaisé et calme où il serait possible de lire la réalité culturelle, pas uniquement du temps de la courte période de Nadia Labidi, mais également du règne de Mme Khalida Toumi ponctué par des contestations et l’organisation de manifestations (Année de l’Algérie en France, Alger, capitale de la culture arabe, Tlemcen, PANAF…) controversées qui ont consommé énormément d’argent.
Les attaques virulentes, les retours obsessionnels sur l’incident, l’usage d’un vocabulaire peu poli (délinquante), cette tendance quelque peu inconfortable à appeler à la bagarre devant un tribunal et le refus de la confrontation verbale, par médias interposés, desservent Louisa Hanoune qui semblerait avoir évolué sur un terrain, celui de l’univers culturel, dont elle ne parait pas avoir la maîtrise. Ainsi, elle attaque l’ambassade des Etats-Unis, mais quand celle-ci publie un démenti, celle-ci est vite accusée d’ingérence dans les affaires intérieures de l’Algérie. Quand Labidi ou Boudiaf se défendent, elle leur dénie le droit de le faire tout en avançant une vérité, qu’elle seule détiendrait, que le premier ministre et le président n’auraient pas été consultés. Quand elle parle de la programmation du concert «El Gusto» au TNA le 16 avril 2015, elle omet de dire que c’est une pratique conventionnelle qui existe depuis l’indépendance, faisant obligation aux chancelleries étrangères de demander l’autorisation préalable du ministère de la culture. D’ailleurs, le même concert a lieu en 2006, du temps de Khalida Toumi. C’est grâce à ce procédé que les Algériens ont pu profiter de spectacles aussi célèbres que le Bolchoï, le Moïseiv russes, l’Opéra de Pékin et celui de Piong Yang, le Cheo Vietnamien, des spectacles des CCF… La position des députés par rapport à la loi sur le livre prête à sourire : le PT aurait, selon un député dont les propos ont été rapportés par la presse, voté en faveur de la loi parce qu’elle aurait été élaborée par l’ancienne ministre de la culture. Dans cette situation, les mots et les attitudes employés par Louisa Hanoune et son parti, dans un contexte marqué par les procès et les affaires, ne sert nullement la patronne du "Parti des travailleurs" qui, ainsi, donne l’impression d’en faire une affaire personnelle, fonçant sans de réels arguments, en mélangeant propos puisés dans le vocabulaire du patriotisme et volonté d’en découdre en usant d’un lexique de la confrontation tout en recourant à la diabolisation de l’adversaire pour un événement qui n’en vaut pas la chandelle. L’apparence austère, le ton et le timbre de la voix atypiques, une gestuelle déséquilibrée, menaçante et l’absence de sourire accentuent fortement le discours de la confrontation permanente tout en cultivant l’ambigüité. Ainsi, s’était-elle attaquée aux opposants au gaz de schiste et à l’opposition. La «main de l’étranger» est un syntagme qui revient souvent.
Elle a une autre conception de la politique lui donnant l’illusion parfois de se substituer au premier ministre et à l’appareil judiciaire en "mettant en garde", "menaçant" et en cherchant à "éviter la prison" à des ministres qui, comme Nadia Labidi, devaient suivre ses conseils. C’est ce qui lui a été reproché par les députés FLN. Ce qui pose peut-être la question de la place et de la posture qu’elle occupe dans les espaces informels de gouvernement et du fonctionnement des structures politiques algériennes marquées par la présence de plusieurs cercles diffus. Cette manière de faire et l’absence de réactions gouvernementales incitent à penser qu’il y aurait crise de décision et de gouvernement.
Cet épisode donne une idée quelque peu tragique de la pauvreté de la pratique et du langage politique algérien.
A. C.
Commentaires (4) | Réagir ?
De par ses piques acerbes contre les hommes et les femmes au pouvoir sous le régne de Bouteflika qu'elle n'attaque jamais de front, elle nous met la puce à l'oreiile sur beaucoup de secrets que nous ignorions et dont elle est seule à détenir la vérité. Elle fait cela pour servir et rester dans les faveurs de celui pour lequel elle roule, elle joue à la fehla (audacieuse) qui est bien initiée aux rouages du pouvoir et à ses intrigues.
Des méandres et irritabilités politiques aux apparentes analyses de cet article, qui semble épouser une fausse imposture, n'en doutant nullement de la bonne foi de l'auteur de cet article. A ce rythme il vous faudra éditer une anthologie analytique du meme type de tous les autres meublant la scéne hilarante politique du Haut d'Alger.
Interressant d'autres articles du meme type sur Bensalah, Ouyahia, Amara Benyounes, , cela permettra une optique mi profiling mi psychologie primaire.
L'objet de cet article est Louisa Hanoune, qui défend Bouteflika et le reste est envoyé en enfer, d'aprés ce qu'on comprend.
Alors s'agit il de la stigmatisation de cette "cheftaine" ou tout simplement un effort de dénoncer la républicaine nationaliste pleine de duplicités, ou alors défendre Labidi ministress de la culture des impostures, jeter un regard perplexe sur le coté obscur et séduisanr de Bouteflika, qui semble fasciner nos hommes politiques (vous le rappeller pour said Sadi).
Autrement aux discours et verbalités vociférentes (que vous interprétez indécentes) qui occuppent les espaces politiciens actuels, se rajoutent des analyses comme celle contenue dans cet article, et occuppant aussi les espaces confusionnels de notre auto déclarée élite intellectuelle.
Navrant et nulle, onn' analyse pas un régime politique composite comme celui de Bouteflika à travers des personnes ou leurs conjoncturelles déclarations et théatrales positions, allez y au fond des intérets nouant cette chappe rouillée de la république Bouteflikiste.
A quoi sert votre analyse centrée sur une personne et ses rapports au pouvoir actuel?
Attendons vos articles sur Said Bouteflika ou Sellal ou Benflis ou Hamrouche et on aura à meubler notre temps jusqu'au prochain Ramadhan, ou la politique en Algérie va jeuner por l'éternelle repentance de l'imposture nationale, alors Louisa ou Labidi deux femmes qui se crepent les chignons, changeront elles la chute de Bouteflika et la destination chaotique de la politique dans ce pays.