Sidi-Bémol, un Cheikh tonitruant, du gourbi-rock énergisant !
C’est devenu un rendez-vous immanquable, quasiment bimestriel, pour les fans de Sidi Bémol. Un concert de plus de deux heures au studio de l’Ermitage, Paris, XXe, pendant lequel notre Cheikh occupe la scène en véritable Phénix du gourbi-rock, ce style qu’il a lui-même créé, histoire de ne pas trop se prendre au sérieux, dans ce monde gangréné par une bienséance trop souvent enveloppée de perfidie, à vous faire désespérer de la nature humaine.
Hocine Boukella en a connu des vertes et des pas mûres avant d’atteindre cette stature d’incontournable gourbi-rocker, aux messages percutants et savoureux. Les textes de ses chansons résument le drame de notre pays en enchainements de rimes, à la fois cocasses et justes: "Krit ou djeb’t diplôme, gouli wach f’hemt el’youm ?" ; "Ma yeslah eddouctour, ma yenfa3 scientifique, l’bled temchi b’trafic!" ; "Ouïn rahat lebled, lebled etchina ?"; "Awi’thed un coup, awi’thed sine, m….iwidh irouhen, gher-alguira aken adh'em’thene!"; Sont là quelques allégories éparses, reproduites d’un répertoire riche et varié. Répertoire dans lequel moult litanies sont exprimées sous forme de dérisions incroyablement ajustées pour délivrer un message franc et direct, à la mesure de la sagesse d’un Cheikh, doublée de l’espièglerie d’un humoriste. À cet égard, l’Hocine réussit l’exploit de faire éloigner ses messages d’une intellection trop sérieuse et du premier degré qu’elle sous-tend, comme pour mieux repousser le seuil de tolérance à la bêtise humaine, bien au-delà des limites supportables pour un être humain normalement constitué.
Combien étions-nous à son dernier spectacle, vendredi 17 avril ? Une centaine et demi, selon les organisateurs (il n'y avait pas la police pour faire ses propres statistiques, serait-on tenté de préciser, sur le ton d’une "sidi-bémolesquerie" anticonformiste, cette dérision sans limite, dénudée de toute convenance hypocrite), mais l’ambiance était si électrique qu’on avait l’impression d’être un bon millier. Il faut dire que Hocine communique avec son public de façon si naturelle et si généreuse que sa bonne humeur énergisante se répand très vite pour gagner la totalité des spectateurs. Des rythmes et du blues, cadencés à perfection dans un gourbi-rock irrésistiblement dansant, vous happent dès le premier quart-d’heure pour vous faire déhancher, sauter et tanguer, bière en main aidant, de façon non-stop plus de deux heures durant, que vous ayez 20 ou 60 ans.
Les citoyens d’un monde sans frontières se retrouvent à chacun de ses concerts pour une communion musicale en parfaite symbiose. Une osmose dont lui seul sait en concocter la recette. Relevons le fait qu’à propos de la particule «Cheikh», l’Hocine l’assumait quand il avait la trentaine. À la soixantaine, il préfère s’en départir. Est-ce pour se confondre avec la moyenne d’âge de ses fans et détourner son regard des plus âgés, comme nous, ses premiers admirateurs, ou pour faciliter la prononciation de son nom de scène, ou encore pour un partage équitable entre un Sidi oriental et un Bémol occidental, qui lui permet d’occuper le barycentre de ces cultures complémentaires, voire indissociables, de son répertoire? Qu’importe après tout, car avec ou sans «Cheikh», sa musique donne du bonheur, rien que du bonheur, malgré un cachet bien maigre, au vu d’un ticket à moins de 15 euros. Un cachet bien en deçà de la prestation de notre gourbi-rocker. Mais s’il est possible de quantifier la recette d’un spectacle, est-il possible d’en mesurer la portée en termes de bon temps et de bien-être, distribués lors de telles soirées sublimes? Et c’est certainement ce qui fait rouler notre ex Cheikh, donner du bonheur à ses fans sans les ruiner, car comme le résumait Madjid*, le poète-philosophe discret de Paris, citant Nazim Hikmet, en fin de soirée : "Les chants des hommes sont plus grands que les hommes!". Sidi-Bémol doit certainement en faire son crédo pour ainsi dépenser autant d’énergie pour faire festoyer ses admirateurs, à moindres frais.
Le prochain concert est programmé pour le 19 juin, toujours au studio de l’Ermitage. On ne nous fera pas croire que cette date est fortuite, et que ce n’est pas une façon de faire un bras d’honneur à la révolution de Boumediene, à l’origine de tous nos malheurs, et dont les effets funestes sur notre pays se ressentent 50 années plus tard. Sacré l’Ho, tu ne finiras pas de nous surprendre!
En tous cas, à l’unanimité, vendredi 17 avril, notre groupe s’accordait à formuler que: Elle est belle, chaleureuse, tolérante et bienveillante cette Algérie qui festoie…. en France, loin des patibulaires FLiN-tox, sur des rythmes énergiques de gourbi-rock !
Rendez-vous est pris pour le 19 juin pour festoyer avec encore plus de vigueur! Ça sera notre façon de rêver sur ce que serait l’Algérie sans des Boumediene et des Bouteflika, "une Algérie qui ne tourne pas le dos à la mer", dixit Madjid. Qui d’autre qu’un Sidi-Bémol abjurant sa particule de Cheikh, pour mieux se conformer à une jeunesse en mal de vivre dans un pays pris en otage par un islamisme ravageur, pourrait mieux nous le rappeler ? Et à propos d’arabisme et de son corollaire incontournable, l’islamisme, prêtons l’oreille à notre ex-Cheikh, quand il lève le ton et postule "b’el3arab ou musulman, hablet nass carrément!". Une formule qui résume à elle seule, plus de mille discours! Que veux-tu l’Ho, ils n’ont pas encore compris que "ma kayen walou kheir m’lamour" ! Le comprendront-ils un jour, eux qui vibrent en permanence sur des serments de fidélité formulés à l’endroit de ceux qui, comme Bouteflika, s’installent en dictateurs pour être vénérés en "rassouls", en attendant d’être enterrés en pharaons dans des bières chatoyantes et des tissus de velours ?
Pour ces moments de félicité, servis en toute générosité, akh ya3fou rebbi a l’Ho!
(*) Un poème tout chaud que Madjid dédie aux lecteurs du Matin :
Kabylie meurtrie
La maléfique colline peut même venir d'en face
Elle se plie devant la majesté de la cime.
La géologie torturée
Agonisante de sépultures
Donne aux vivants le sens de la vie.
Ces villages ignorant la vague
Des eaux déferlantes
Construisent
Les sobres chemins de terre
Les rires des enfants
Les petites chéchias de la connaissance
A défaut de peupler leur pays défendu
Iront féconder la France.
Kacem Madani
Commentaires (2) | Réagir ?
merci pour le partage
On ne peut pas dire que Hocine Boucle-la porte un nom prémonitoire. Ipi sidi « bémol » pour un rocker, si ce n’est pas de la prococ quèsaco ?
Jadis je ne ratais jamais ce genre de spectacle. Mais c’était avant. Avant que je ne me range des voitures.
Maintenant je vis comme meqvar mensi !
Mais qui connait meqvar mensi ?