Ansej, Cnac et Angem : un fiasco qui ne dit pas son nom ?
Se lancer dans ce genre de dispositifs sans prendre en compte les réalités locales et la mentalité algérienne, celle des cultures de "Je veux ma part du pétrole" et " Taqafet ghir het" notamment, cette transposition est un véritable fiasco économique pour notre pays. Elle est, me semble-t-il, dirigée plus vers les instances internationales, pour mettre le point sur les efforts de l’État algérien à lutter contre le chômage juvénile et l’aide qu'il allègue à l’insertion des chômeurs au monde du travail. Faute de ne pouvoir créer d’emplois fixes, un crédit accordé est compté comme un poste d’emploi dans les statistiques du chômage en Algérie, en croissance négative, théoriquement et sur papiers uniquement.
Ces dispositifs sont calqués sur l’étranger et des idées cadres du Bangladais Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix 2006 appelés "le banquier des pauvres" qui est le père du microcrédit. Ils sont, en fait, pensés pour répondre la recrudescence du chômage juvénile, dans un contexte trouble et dangereux, celui "des révoltes arabes", où le travail, la justice, la dignité humaine et la pauvreté furent les principaux catalyseurs de cette entropie sociale sans précédent. Et dont le titre le plus évocateur fut en Tunisie avec le slogan : "El choughl isthkak ya aaisabat essourak". Traduit ça nous donne: «le travail est un droit, bande de voleurs !», qui finit par avoir la tête du maître de Carthage Zine El Abidine Ben Ali, dans un scénario qui pris au dépourvu aussi bien les États arabes et leur "Jamiaa" Ligue arabe, que l’Occident lui-même, ce dernier, qui veillait bienveillamment et tendrement sur ses brebis et ses vaches laiteuses du côté de sa banlieue, du sud de la Méditerranée.
Parmi les mécanismes de garantie, prévus lors du traitement des dossiers Ansej, Cnac ou Angem (1), on trouve bien sûr le gage sur matériel "Erahn el hiyazi", mécanisme prévu afin d’assurer le remboursement ou la saisie du matériel, au cas de non-payemen au profit de la banque, l’établissement de cet acte notarial se fait après délivrance du premier chèque de 30%. Lors de son établissement, on demande en plus de l’acte de naissance, du registre du commerce, carte fiscale, la convention signée avec la banque et une correspondance bancaire, le cahier des charges et bien sûr, la présentation d’une facture définitive, fournie par fournisseur, à vrai dire, par le "facturier", pour ceux qui déshonorent le métier de fournisseur et ne possèdent, en somme, qu'un local loué, quelques prospectus collés aux murs de leurs boutiques, un micro-ordinateur et une secrétaire en préemploi payée par l’Etat, ce genre de "smasri", n’est en fait, qu’un simple intermédiaire entre le jeune et le vrai fournisseur (distributeur) qui se trouve, généralement hors wilaya, à Alger, à El Eulma, ou ailleurs.
Curieusement, ce "Erahn el hiyazi" n’exige aucun certificat de garantie, ni même une expertise neutre, qui est à même d’attester du rapport qualité/prix du matériel, objet du gage. Ainsi, un matériel d’une valeur marchande X peut se retrouver facturé à une valeur : 10.X, 20.X, voire même, à 40.X de son valeur réelle, prix que retiendra l’acte du gage, bien évidemment. Malheureusement, ce prix sera revu à la baisse à jusqu’à: X/100, si la banque voudrait un jour le saisir pour le revendre, pour non-paiement.
Ce "doping de facture", par surfacturation exagérée, toujours à charge du jeune promoteur (qui l’ignore ou non !) et qui lui porte de graves préjudices, car il va devoir y faire face seul. Le grand gagnant dans cette affaire reste, sans aucun doute, ce genre de fournisseur véreux. De surcroît, le jeune ne sait absolument rien de la machinerie qu’il vient de recevoir, au cas où il la réceptionne bien sûr.
Ainsi, un même matériel se trouverait facturé chez un jeune, à 5 millions de dinars, au second, à 7 millions de dinars et à un troisième, à 8 millions de dinars. Question : combien coûte réellement ce matériel au marché ? Je vous laisse deviner. Ce qui prouve que sa valeur réelle est bel et bien au-dessous de la valeur facturée, bénéfices et charges compris. Pour rappel, le matériel est déjà libre de toute franchise TVA.
En plus, le matériel (fixe surtout !) est proposé par le fournisseur lui-même, selon le disponible chez ses vrais fournisseurs à lui, suivant le crédit sollicité et l’activité envisagée par le jeune promoteur. Comble de malheur, dans certains cas et ne concernant que certains fournisseurs véreux, le même matériel, portant la même désignation, spécificités et origine, se retrouve facturé à des sommes à chaque fois différentes, d'un dossier à un autre, d’un client à un autre, s’il ne fait usage carrément d'un double, voire même, d’un triple emploi (facturation). Tout cela via le maudit "sarf", (la monnaie), procédé via lequel certains jeunes malhonnêtes renoncent à leurs équipements au fournisseur, moyennant une somme d’argent, (de son propre crédit), versée par celui-ci qui aurait reçu les deux chèques de 30% et 70%. Ils demandent donc, eux-mêmes, aux fournisseurs de leur surfacturer ou de leur fournir un matériel carrément rénové (un non-expert n’en verra que du feu ). Cette manigance permet le partage inéquitable du crédit, alloué au jeune, au titre de l’acquisition des équipements facturés! Le gros, ira dans les poches du fournisseur, bien évidemment, puisque le jeune n’encaissera ni les 50% de ces sommes. Les équipements objet du "Sarf" seront réintroduits dans le circuit via une nouvelle facturation, à chaque fois différente de la précédente, cela va de soi.
Pis encore, certains jeunes, acteurs du "sarf", soumis à l’exigence de réceptionner le matériel par les services Ansej où Cnac et la banque parfois mixtes, demandent à leurs fournisseurs de leur mettre à disposition provisoire le matériel facturé. Ces derniers leur louent le matériel, moyennant une somme d’argent, un matériel supposé être le leur.
En vue de remplir leurs cahiers de charges, certains fournisseurs incitent des jeunes non intéressés du tout par ces crédits à formuler des demandes de prêts Ansej, Cnac ou Angem, leur font ouvrir eux-mêmes des registres du commerce, prennent en charge tout l'aspect financier, lié à la paperasse tels, l’établissement d’actes notariés et autres. Le jeune, lui, n’ayant pas un sou en poche et rien à perdre (selon lui !) se trouve attiré par de telles facilités alléchantes et ne rêve donc que de décrocher ce crédit, le plus vite possible, oubliant, qu’il n’aura encaissé au bout du compte que 30 à 60% de la valeur réelle du crédit, si ce n’est en matériel surfacturé, ça sera en espèce via le "sarf" .
Le grand perdant dans ces opérations, censées faire sortir le jeune de la "merde", c’est le chômeur lui-même, l’hypothétique promoteur, qui de sa vie n’a touché dix mille dinars en bloc, va se retrouver, après avoir dépensé tous ses sous, toujours chômeur mais, cette fois-ci, endetté jusqu’au cou, menacé d’emprisonnement et avec lui, toute la famille prendra un coup. Sans l’exigence de formation préalable avérée au métier désigné, ni à la machinerie demandée ou même appuyés par une étude du marché solide, ou d'un business-plan bien ficelé et surtout d'un accompagnement technico-économique, en matière de marketing notamment, ces dispositifs sont voués à l’échec si ce n’est déjà fait.
Aussi bien, l’Ansej que le Cnac ne demandent aux jeunes postulants qu’un diplôme ou à la limite, une attestation fournie par un Centre de formation professionnelle de sa localité, sur simple demande du jeune bien souvent et sans vérifier sa qualification réelle au métier.
Du coup, le jeune se retrouve catapulté "solo" et sans guide, dans le monde de l'entrepreneuriat, un monde qui lui est totalement inconnu. Les pépinières d’entreprises qui sont une bonne idée doivent être généralisées à tout le territoire et impliquer aussi bien des experts en équipements, qui assurent au jeune au moins l’acquisition d’un matériel conforme aux exigences techniques et commerciales et s‘assurer surtout du rapport qualité/prix, mais aussi, des opérateurs économiques et techniciens dans le marketing !
Certains "pseudos fournisseurs", après avoir fourni le soi-disant matériel et encaissé le second chèque de 70%, du montant de leur facture finale, n’assurent aucun service après-vente aux jeunes promoteurs, qui se retrouveront seuls, face à un tas de ferraille, à laquelle ils n’ont pas été formés. Même l’installation est souvent faite à charge du jeune promoteur (via des techniciens qu'il paye lui-même) et non pas par les fournisseurs. Certains d’entre eux, après avoir touché les sommes de la banque, s’évanouissent carrément dans la nature et ne donnent aucun signe de vie et ne répondent même pas aux téléphones de leurs jeunes clients, qui les ont rendus pourtant si riches.
Je ne parle pas ici de ceux qui honorent leurs métiers, des vrais fournisseurs, honnêtes, qui existent bien sûr ! Ceux qui prennent soin des jeunes via un service après-vente et d’accompagnement efficace. Je parle ici d’une catégorie de fournisseurs faisant office d'agents- rabatteurs pour le compte de certains distributeurs, importateurs, des "fournisseurs de factures". En réalité, "des smasriya", de simples facturiers, le fournisseur du matériel, le vrai, lui, se trouve siégé hors wilaya, comme déjà expliqué.
Certains fournisseurs, établissent au profit des jeunes postulants aux crédits Ansej, des factures banales, sans indications aucunes, de la nature du matériel à fournir, telles, la marque, l’origine, les références d'usines, les spécificités techniques ou même commerciales, etc . Hormis une désignation sommaire des éléments du matériel à fournir, les quantités à fournir et bien sûr, les sommes facturées, mises en Gras.
Pis encore, les plaques-constructeurs sont souvent enlevées ou remplacées par d'autres ; ainsi, le matériel réceptionné ici le sera ailleurs, moyennant des sommes d'argent au titre de la location d’un matériel normalement, propriété du Jeune promoteur, mais qui est resté chez le fournisseur, via l'accord du "Sarf".
Pour ce qui est du matériel, roulant ou fixe, réceptionné effectivement par certains "jeunes promoteurs", dans le cadre de ces diapositifs, il va se retrouver malheureusement soit en cale-sèche, à la merci de la rouille et de l'usure, soit revendu, ou plutôt liquidé à des prix dérisoires. En parallèle à ces dispositifs de soutien à l’emploi de jeunes, on a créé malheureusement (sans le vouloir peut- être) un réseau de vol bien structuré, qui porte préjudices aux jeunes et à la notoriété de la démarche elle-même mais surtout, à la trésorerie publique.
Au lieu de donner de l’argent liquide directement au chômeur avec des garanties. Libre à lui donc d’acheter du matériel neuf ou usagé pourvu qu’il lance son affaire et rembourse son crédit ; car c’est de cela dont il s’agit, rembourser le crédit, aux taux et aux conditions convenus avec la banque, sous l’œil de l’Ansej.
Le dispositif actuel préfère curieusement verser l’argent directement au fournisseur via des chèques qui lui seront transmis par le jeune promoteur, ce qui fragilise ce dernier et ne lui offre aucune manœuvre de négociation, ni de garantie face à de tels fournisseurs, sans scrupules qui peuvent le prendre en otage, et lui fournir du n'importe quoi.
Les fournisseurs dont je parle ne sont pas les distributeurs régionaux faisant partie du réseau de l’importateur des équipements, il ne dispose donc pas de comptoir de vente qui offre une gamme exhaustive en produits. Certains jeunes ne peuvent donc plus revendiquer un changement de matériel et encore moins pour bénéficier de la règle : satisfait ou remboursé !, pis encore, d’autres jeunes attendent toujours leur matériel.
Verser les sommes accordées au titre de ces dispositifs directement au jeune le met en position de force face au fournisseur qu’il aurait lui-même choisi, après avoir comparé et négocier sérieusement le rapport prix/qualités chez d’autres, et ce, sur des critères bien différents que ceux d’avant. En fait, le premier pas dans le monde de l'entrepreneuriat, c’est ça : négocier comme il se doit l’acquisition du matériel, à des prix qui lui soient profitables, il n'a pas besoin de tiers personne, faisant office de pseudo-fournisseur pour encaisser à sa place le crédit, lui rafler le gros du magot et lui fournir du n’importe quoi.
Le seul bénéficiaire de ces dispositifs, est bien évidement, ce genre de fournisseurs sans scrupules et leurs réseaux d'import-import se trouvant derrière, qui nous ramènent parfois un ramassis de machinerie, des quatre coins du monde du n’importe quoi. Du matériel chinois, polonais, serbe, etc. de bas de gamme. A vrai dire, ces pays font de toutes les gammes de qualité, certains de nos importateurs préfèrent quant à eux nous ramener de la plus basse d’entre elles, coûts de revient oblige.
Finalement, le jeune n’aura même pas de liquidités nécessaires pour ses frais de roulement, payer les premières factures d’électricité/gaz et d’eau ou pour faire face aux premières mensualités de ses employés et aux frais du transport de sa matière première, etc., le faux fournisseur lui aura tout raflé.
Se lancer dans ce genre de dispositifs, sans prendre en compte les réalités locales et la mentalité algérienne, de la culture de "je veux ma part du pétrole" et "Takafet, ghir het" notamment, cette transposition est un véritable fiasco économique pour notre pays.
Mourad Chaalal
Annexes
(1) Dispositifs, crées dans le cadre de la loi des finances complémentaire 1996, article 16, modifié et complété par l’article 224 de la loi de finances 2002, puis par ceux de la loi de finances complémentaire 2009, du Décret présidentiel n°96-234 du 02, complété par le D P n° 11-100 en soutien à l’emploi de jeunes chômeurs ; sans oublier le Décret exécutif n° 96-295 du 08, fixant les modalités de fonctionnement du compte d’affectation spéciale n° 302-087 intitulé Fonds national de soutien à l’emploi des jeunes, modifié et complété en février de suite, en 2003 et 2004. Sans oublier, l’ordonnance présidentielle numéro : 03/514, qui concerne les tranche d’âge 35- 50 ans, pour les aider réaliser eux aussi des projets d’activités dans le cadre du Cnac.
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