Ali Benflis : "Les réseaux clientélistes du pouvoir sont intouchables"
Déclaration d'Ali Benflis à l’occasion de la Célébration de la Journée Internationale de la Femme. Il profite de l'occasion pour tirer au lance-flamme sur le pouvoir et ses pratiques.
Mesdames et chères sœurs,
J’ai tenu à être avec vous- et à travers vous- avec toutes les algériennes en ce 08 Mars 2015, Journée Internationale de la Femme. Je vous adresse à cette occasion, mes félicitations les plus chaleureuses tout comme je vous souhaite beaucoup de bonheur personnel et toute la réussite dans vos parcours professionnels. Je me réjouis particulièrement du fait que la toute première activité de Talaiou El Houriyet depuis qu’il a été autorisé à tenir son Congrès Constitutif soit consacrée à la femme algérienne. Je vous pris de croire que cela n’est pas fortuit et qu’il n’y a pas là seulement un symbole et un témoignage d’intérêt circonstanciel. En vérité nous attendons de la femme algérienne qu’elle tienne toute sa place dans le projet politique que nous portons et qu’elle soit un acteur majeur dans tout ce que nous entreprenons et ce que nous entreprendrons aux fins de sa réalisation.
Je sais que la célébration de la journée internationale de la femme suscite des sentiments mitigés chez les femmes à l’intérieur de notre propre société comme partout ailleurs dans le monde.
Certaines voient dans cette journée une autre forme plus subtile de discrimination et se demandent pourquoi il n’y aurait pas une journée internationale de l’homme alors que d’autres la considèrent comme une occasion toujours bonne à saisir pour faire avancer la cause de la promotion de leurs droits politiques, économiques et sociaux.
Certaines considèrent que la célébration de cette journée dévie de son sens le combat de la femme pour ses droits qui doit être un combat de tous les jours, alors que d’autres estiment que même une seule journée qui servirait à appeler l’attention sur toutes les formes de discrimination que subissent encore les femmes est une journée utile et nécessaire.
Enfin, certaines pensent que la célébration de cette journée sert plus les auteurs des discriminations envers les femmes que leurs victimes et qu’elle leur permet d’être en paix avec leur conscience à moindre frais, alors que d’autres estiment que cette journée peut toujours être saisie comme une opportunité de mettre les Etats, les gouvernements et toutes les institutions face à leurs responsabilités dans les violations des droits de la femme qui perdurent.
Je partage personnellement les vues de toutes ces algériennes qui estiment que leur combat est un combat de tous les jours et que leur cause est une cause juste dans laquelle chaque jour qui passe est un jour qui compte ; que la cause de nos concitoyennes ne peut s’accommoder d’une situation où leurs droits sont célébrés et promis à un meilleur avenir en une journée de célébration pour être oubliés et effacés des priorités du reste de l’année jusqu’à la prochaine cérémonie de célébration ; et que cette cause des algériennes est une cause trop grande et que leurs droits légitimes qui restent à satisfaire sont trop importants pour qu’une journée de célébration suffise à traduire en engagements ce que cette cause exige comme mesures et ce que les droits légitimes qui lui sont attachés requièrent comme décisions assurant leur véritable prise en charge.
J’ai dis, depuis peu, que la cause de la femme algérienne est une grande cause et elle l’est effectivement. Cette cause intègre les dimensions politiques, économiques et sociales de votre lutte ; elle intègre aussi la lutte contre toutes les formes de marginalisation et d’exclusion qui vous affectent de manière toute particulière ; elle intègre enfin toutes ces inégalités de traitement, tous les obstacles qui se posent spécialement pour vous quant à votre place dans notre société d’une manière générale et quant à vos parcours professionnels d’une manière toute particulière.
Les sociétés humaines à travers les âges ont destiné la femme à un sort injuste ; elles leur ont fait subir mais jamais accepter l’arbitraire de l’homme ; elles se sont employées à en faire une composante mineure des communautés humaines. Mais dans toutes ces sociétés et à travers tous les âges, la femme n’a jamais failli à assumer ses devoirs et ses responsabilités comme elle n’a jamais renoncé à ses combats pour la satisfaction de ses droits qui sont des droits naturels et donc des droits intrinsèques à toute personne humaine.
Dans la société algérienne d’aujourd’hui, une grande part de cette injustice, de cette discrimination et de cet arbitraire persiste. Et de fait, je crois pouvoir dire que nos concitoyennes subissent encore trois formes d’arbitraire : un arbitraire en tant que citoyenne ; un arbitraire en tant que femme et un arbitraire dans leur parcours professionnel.
Oui, la femme algérienne concentre sur elle ces trois formes d’arbitraires rassemblées. En effet, l’Algérienne- comme l’Algérien au demeurant – n’est pas une citoyenne à part entière. C’est que le régime politique en place a réussi à créer une citoyenneté à deux vitesses et, pour le dire autrement, une supra-citoyenneté et une infra-citoyenneté.
La supra-citoyenneté est accordée par le régime politique en place à tous les membres de ses réseaux clientélistes. Ceux là ont une voix qui compte ; leurs intérêts particuliers sont protégés et défendus ; ils ont beaucoup de droits et peu de devoirs ; ils sont intouchables et impunis ; et par-dessous tout ils se sont constitués en groupes de pression et d’influence sur lesquels repose le régime politique lui-même. Cette supra-citoyenneté est réservée à l’Algérie de quelques-uns.
Et puis il y a l’infra-citoyenneté réservée à l’autre Algérie celle des sans-voix ; l’Algérie de ceux que l’on ne croit pas devoir tenir en ligne de compte ; celle que l’on n’écoute pas et que l’on n’entend pas ; celle dont les attentes et les aspirations sont ignorées et méprisées ; et celle que l’on considère plus comme une source de gêne et d’irritation que comme la bastion de la citoyenneté véritable qui confère des libertés et des droits.
La femme algérienne- comme l’homme algérien- est réduite à ce statut d’infra-citoyenneté. Et cette infra-citoyenneté est la marque de fabrique et le label du régime politique qui sévit dans notre pays.
En plus d’être considérées comme des sous-citoyennes, les algériennes subissent d’autres injustices, d’autres arbitraires et d’autres discriminations en tant que femmes. Que ce soit dans la vie politique, dans le monde économique ou dans la sphère sociale, la place qu’occupe la femme demeure réduite et marginale. Elles y sont confrontées aux résistances et aux pratiques tenaces de l’exclusion tout simplement parce qu’elles sont des femmes ; elles restent victimes de toutes les formes de harcèlement et de violence contre lesquels elles ne sont pas suffisamment défendues.
Les femmes sont une composante marginalisée de notre société qui, de ce fait, se prive d’une force, de ressources et de capacités précieuses. L’Etat et ses institutions ont pour devoir de s’employer avec constance et détermination à remédier à cette situation dommageable pour toute la nation en s’impliquant mieux dans la protection et dans la défense de nos concitoyennes partout où leur qualité de femme est agressée et partout où leur droits continuent à être arbitrairement et impunément bafoués.
Enfin, en plus d’être réduites à un statut d’infra-citoyenneté et en plus d’être spoliées de leurs droits en tant que femmes, les algériennes sont contrariées, lésées et confrontées à tous les obstacles dans leurs parcours professionnels. Tout le monde sait que le choix de s’engager dans une carrière professionnelle expose les femmes de manière particulière à toutes sortes d’obstacles et encore plus souvent à des pratiques décourageantes et dissuasives. Qu’il s’agisse de la vie politique, de l’accès à la haute administration ou de l’occupation de fonctions dirigeantes dans le monde économique, les femmes n’y sont toujours pas représentées dans les proportions que justifient leurs qualifications, leurs compétences de même que la part importante de notre société qu’elles constituent.
En distinguant ces trois grandes formes de discrimination et d’arbitraire, je ne minimise pas et je n’oublie pas, autre fléau qui affecte la femme algérienne, celui des violences conjugales. Toute violence est répréhensible aux yeux de la loi. Et la violence conjugale doit être à trois titres, comme violence en tant que telle et circonstances, à mes yeux aggravantes, en tant que violence, commise contre une femme et en tant que violence commise contre une épouse et une mère. Nous soutenons donc fermement au sein de Talaiou El Houriyet la loi qui vient d’être adoptée et qui comporte des dispositions dissuasives et répressives à l’encontre des violences conjugales.
Mesdames et chères sœurs,
Les plafonds de verre s’accumulent au dessous des algériennes et elles n’arrivent toujours pas à les briser. Bien plus, l’Etat et ses institutions tardent à leur apporter leur encouragement et leur soutien pour ce faire. Au sein de Talaiou El Houriyet nous sommes à vos côtés pour vous aider à briser ces plafonds de verre qui réfrènent vos ambitions, qui prétendent faire taire la revendication légitime de vos droits et qui entendent vous confiner dans le statut de mineures politiques, économiques et sociales.
Je vous le dis avec beaucoup de sincérité et beaucoup de franchise, notre conception des droits de la femme et l’approche que nous proposons aux fins de leur prise en charge et de leur satisfaction sont aux antipodes de celles du régime politique en place.
Nous ne chanterons pas des louanges à la gloire de la femme pour couvrir une absence de volonté politique de prendre à bras le corps la revendication de leurs droits et leur donner une suite effective ; nous n’abuserons pas de l’image de la femme et de la légitimité de ses demandes pour cacher toutes les autres tares d’un régime totalitaire ; nous ne ferons pas semblant de nous préoccuper sérieusement des droits de la femme alors même que partout ailleurs tous les droits politiques et civiques individuels et collectifs sont malmenés, bridés et brimés ; nous n’utiliserons pas la noble cause de la femme pour couvrir une agression politique caractérisée contre l’ordre constitutionnel comme cela a été le cas de la révision constitutionnelle de 2008 qui s’est révélée avec le temps si préjudiciable et si tragique pour notre pays ; nous ne ferons pas entrer des femmes dans un gouvernement qui ne gouverne pas ; nous ne ferons pas élire des femmes à un parlement qui enregistre mais ne légifère pas ; nous ne nommerons pas des femmes dans des institutions de l’Etat qui ne fonctionnent plus et qui, lorsqu’elles fonctionnent, se mettent aux ordres d’un régime politique et non aux ordres du peuple lui-même qu’elles sont censées servir ; nous ne réduirons pas la noblesse du combat de nos concitoyennes pour leurs droits à une affaire de chiffres et à une opération statistique sans consistance, sans aucun sens et sans relation avec la réalité amère qui les contredit mais que l’on exhibe à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières comme autant de faux témoignage sur une modernité politique, économique et sociale à laquelle le régime politique en place tourne le dos et refuse de toutes ses forces d’en emprunter la voie.
Un régime totalitaire qui vit de la transgression de tous les autres droits ne peut respecter ceux des femmes ; un régime politique qui relève d’un âge révolu ne peut incarner la modernité politique dont dépend la promotion et la défense des droits de la femme ; un régime politique qui se mure dans le non-droit ne peut être crédible lorsqu’il professe son attachement aux droits de la femme.
Reconnaissons ensemble et en une seule phrase qui résume à elle seule toutes les instrumentalisations de la cause de la femme aux fins particulières et étriquées du régime politique en place : ce régime politique n’est pas compatible avec la cause de la femme et il est la négation même de toutes les valeurs qu’elle porte. En conséquence, il n’est que logique et naturel que notre vision au sein de Talaiou El Houriyet diverge de celle du régime en place au sujet des droits de la femme, que notre approche de ces droits soit différente de la sienne et que notre démarche visant leur prise en charge réelle s’éloigne de celle qu’il suit.
Notre vision des droits de la femme est une vision cohérente et globale alors que le régime en place n’en a qu’une vision réductrice et calculatrice, celle de redorer son image et de faire oublier ses nombreux autres manquements en matière de libertés et de droits ; notre approche est aussi volontariste et globale, celle du régime est timorée et sélective ; notre démarche est portée par des principes et des convictions, celle du régime par des calculs et des soucis égoïstes.
Notre vision, notre approche et notre démarche reposent sur un certain nombre de principes que nous formulons sans ambiguïté et sans équivoque. Permettez-moi de vous les exposer.
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Le premier principe est que les droits de la femme algérienne relèvent des attributs d’une citoyenneté pleine et entière. De ce fait, il est patent que la femme algérienne ne pourra être rétablie dans la plénitude de ses droits que dans le cadre d’une réhabilitation de la citoyenneté en tant que telle dans notre pays.
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Le second principe est que les droits de la femme sont une partie intégrante des Droits de l’Homme. Et de ce point de vue, il n’est pas imaginable que les droits de la femme puissent évoluer et s’épanouir dans le contexte d’une répression –sinon d’une négation- généralisées des Droits de l’Homme de la part du régime politique en place. Les droits de la femme ne peuvent espérer prospérer sur cette terre inhospitalière pour les Droits de l’Homme que notre pays est devenu par le fait de ce même régime totalitaire.
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Le troisième principe est que les droits de la femme forment un tout indissoluble. En effet, de mon point de vue, les droits politiques, les droits économiques et les droits sociaux de la femme forment un tout indivisible. Toute réalisation de l’une des catégories de ces droits dépend de la réalisation des deux autres catégories de ces mêmes droits. Aucune catégorie de ces droits ne peut s’imposer et prétendre à la viabilité si elle n’est pas prolongée et confortée par la satisfaction des droits inhérents aux autres catégories.
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Le quatrième principe est, qu’incontestablement, la femme algérienne est un vecteur déterminant dans la marche de notre pays vers la modernité politique, économique et sociale qui donne un sens et fait la substance du projet démocratique. La femme algérienne est tout à la fois l’un des instruments performant et l’une des finalités majeures de cette modernité sans laquelle il serait vain d’aspirer à bâtir un Etat national puissant, respecté et prospère. Et je l’affirme sans aucun doute et sans aucune hésitation : la modernité politique, économique et sociale que nous voulons pour notre pays ne se fera pas sans la femme et encore moins contre elle.
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Le cinquième principe est qu’en matière de droits de la femme le volontarisme importe beaucoup. Nous ne pouvons pas demeurer passifs et impassibles et nous en remettre à la seule évolution naturelle pour faire son œuvre et laisser le temps seul faire le travail à notre place. Cela équivaudrait à un défaut de volonté politique et à une fuite des responsabilités. C’est à l’Etat et à ses institutions qu’il revient de témoigner d’une telle volonté politique et d’assumer de telles responsabilités. Les Etats modernes où les droits de la femme ont accompli des progrès rapides et significatifs sont ceux qui ont adopté des programmes fondés sur ce qui est connu universellement sous le nom "d’action positive" ou de "discrimination positive"».
Mais "’action positive" ne doit pas être sélective – comme elle l’est chez nous où elle ne concerne qu’une partie du champ politique visible mais couvrir l’ensemble des autres catégories de droits, et en particulier les droits économiques et sociaux. Je veux dire, en terme plus nets et plus clairs que "l’action positive" doit être étendue généralisée au champ politique et au champ économique et au champ social.
Ces principes s’inscrivent dans la perspective de l’alternative démocratique.
Et c’est dans l’alternative démocratique que la cause de la femme trouvera sa juste place ; c’est dans un Etat de droit que les droits de la femme seront mieux promus, mieux défendus et mieux protégés ; et c’est dans une société des libertés que nos concitoyennes verront leurs libertés assurées à l’égal de celles de tous les concitoyens.
La cause de la femme algérienne ne peut être qu’une part –et une part essentielle- de l’Algérie démocratique et moderne.
Je vous remercie.
Ali Benflis
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