L’Afrique doit retrouver son Nord

Karim Akouche.
Karim Akouche.

Aujourd'hui, j'ai envie de crier. Mes mots sont comme des braises. Ils me brûlent la bouche. Je ne peux pas continuer de les ressasser. Il faut que je les crache.

Par Karim Akouche (*)

Ce matin, après plusieurs années, j'ai enfin osé regarder mes papiers.

J'ai scruté mon passeport et ma carte d'identité. Ils sont verts. On les a imprimés à la couleur de l'islam. Les informations y sont en arabe.

Je les ai retournés. Je les ai froissés. Je les ai épluchés.

Il n'y a pas la langue de ma mère.

Ces documents ne me nomment pas. Ils me renient. Les autorités ont fait de moi ce que je n'ai jamais été.

En kabyle, la carte d'identité s'appelle nekwa. Autrement dit, celui qui est sur ce document, c'est moi. Or, il n'y a pas « moi » dans les documents officiels algériens. Il y a l'autre. Il y a le déni. Il y a le faux. Il y a l'absurde.

Le Berbère est la version moderne de l'indigène. Pour exister, il doit brandir les couleurs de ses maîtres.

L'Afrique a perdu son Nord, a dit le poète. Le Nord se cherche. Il a les pieds en Afrique et la tête en Orient. On l'appelle le Maghreb. Parfois, le Maghreb arabe. À chaque fois que quelqu'un prononce cette appellation, il plante un couteau dans la poitrine d'un enfant amazigh.

L'Algérie est sustentée au mensonge identitaire. Le mensonge identitaire a engendré l'amnésie. L'amnésie a enfanté la haine de soi. La haine de soi a nourri le complexe du colonisé. Le complexe du colonisé a produit les hommes du ressentiment. Les hommes du ressentiment ont accouché des enfants de la violence.

Qui suis-je ? J'ignore ma route. Je ne connais pas ma destination. J'erre tel un somnambule. Perdu dans les tourbillons du temps, je me cherche une bouée de sauvetage.

Derrière, le désert me poursuit. Devant, le froid me menace.

Où est l'horizon ?

Où est la langue de ma mère ? Où est la religion de mon père ? Où est la mémoire de ma terre ? Où est l'histoire de mes aïeux ?

Où sont leurs traces ? Où sont leurs empreintes ?

Il n'y a rien à l'école, rien dans les villages, rien dans les villes, rien dans les arbres, rien dans les masures, rien sur les tombes.

Rien ici. Rien là-bas. Rien partout.

Triste destin que les colons ont gravé dans le caillou.

Personne ne dit la vérité. Les sages africains l'ont compris bien longtemps avant moi : tant que les lions n'auront pas leurs historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur.

Nous sommes généreux avec ceux qui nous oppriment. Nous n'existons qu'à travers leurs gestes. Nos rêves sont aussi grands que nos chimères. Nous souhaitons abolir les frontières. Mais nous manquons de logique. L'universalisme est un luxe que les êtres enchaînés ne peuvent pas se permettre. Nous appartenons à un peuple sans voix. Notre nation est invisible.

Quand comprendrons-nous que l'histoire n'est pas l'alliée des vaincus ? Elle est la concubine des puissants.

Un peuple sans État est comme un chien de basse-cour. Il obéit à l'État qui le tient en laisse.

Nous avons trop écouté les marchands d'illusions. Les identités ne sont pas toutes meurtrières. La nôtre et bien d'autres sont meurtries. Depuis belle lurette que nous vivons à la périphérie du monde. Nous parlons comme le colon. Nous mangeons comme lui. Nous rions comme ses filles. Nos pommettes rougissent comme ses joues. Nous sommes son ombre. Pour avancer, nous le suivons. Pour vivre, nous le copions. Notre art est son art. Nos cauchemars sont ses hallucinations. Nous imitons ses mouvements. Nous cavalons quand il court. Nous reculons quand il hésite. Il nous a légué ses habits. Il a trouvé des savates à nos pieds. Nous réagissons quand il nous agresse. Nous nous recroquevillons lorsqu'il nous aiguillonne. C'est lui qui impose les lois. Il est à la manœuvre. Nous sommes à la remorque. Nos pas sont rythmés par la cadence de son cœur. Il nous a façonnés avec son moule.

Nous sommes les enfants illégitimes de sa civilisation. Nous ne valons pas cher. Nous sommes ses déchets. Il nous a sacrifiés sur l'autel de sa rapacité.

Nous sommes son folklore. Nous sommes son passe-temps. Nous sommes son divertissement. Nous sommes ses bouffons. Il contrôle notre esprit. Il a tué nos germes. Il a étouffé nos bourgeons. Nous n'avons pas le droit de nous épanouir dans notre humus. Il nous a arrachés à nos racines. Il nous a plantés dans la rocaille. Il nous a jetés dans les griffes de la servitude.

Nous sommes des produits vendus au marché de l'ignorance et du mépris. Une fois consommés, nous serons jetés dans le dépotoir de l'histoire.

Lorsque je suis né, on m'a collé l'étiquette "arabe". À ma mort, je serai enterré "musulman".

Mon acte de naissance est un acte de décès. Je n'existe pas. Ni dans la vie ni dans la mort.

Je suis une odeur. Je suis une rumeur. Je suis le murmure d'un oiseau étranger. Je suis le bruissement du vent.

Je suis perdu. J'appartiens à un peuple renié, spolié de ses terres et de ses droits. Je suis relégué au rang d'administré.

L'histoire m'a tendu un double piège. Aux yeux de l'Oriental, je suis un peu occidental, car je suis laïque et ouvert sur le monde. Pour l'Occidental, je suis un Oriental, un être exotique, un Arabe, un musulman.

Ballotés entre l'Est et l'Ouest, envahis par le général Oqba et conquis par l'empereur Napoléon, nous regardons passer les vagues du temps.

Nous sommes les spectateurs d'un monde ingrat qui nous écrase.

Faute d'avoir une existence officielle, je me suis créé une existence fictive, dans les livres, dans les contes, sur les planches des théâtres.

N'est-il pas temps,

grand temps,

que l'Afrique retrouve son Nord ?

K.A. (écrivain)

Karim Akouche fera bientôt paraître un roman sur la dépossession identitaire.

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Commentaires (14) | Réagir ?

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Hend Uqaci Ivarwaqène

Monsieur le Président,

Je sais, je sais, que contenu par vos immenses prérogatives, vous ne pourriez pas condescendre jusqu’à ma misérable personne car votre notoriété définitivement acquise vous dispense du baiser au lépreux et mes péchés étant si misérables pour attirer vos foudres : c’est donc moi, imitant médiocrement Lagardère, qui viens à vous.

J’ai péché, j’ai péché Monseigneur, heu… Pardonnez, Mon Président, ce lapsus involontaire, j’ai commis un péché capital et je viens de sortir de ma catharsis, après bien des confessions chez le Rabin, l’imam et le curé de mon quartier, qui tous, dans un œcuménisme plein de mansuétude, m’ont recommandé de m’adresser directement au Bon Dieu, c'est-à-dire à vous, plutôt qu’a ses saints car mon péché était, selon eux, trop grand pour qu’il puisse dépendre de leurs juridictions.

C’est donc complètement repentit et absout, les chemins de Damas n’étant plus ce qu’ils furent, ceux de Canossa non plus, que je viens solliciter auprès de votre bienveillante autorité, la grâce, sinon, au vu des circonstances atténuantes, la clémence qui sied si bien aux immensités comme vous.

Vous auriez compris, Monsieur le Président, toutes les précautions que j’ai prises, quitte à faire ma précieuse en marchant sur des œufs pour ne pas égratigner le protocole en vous disant vulgairement que je regrette ce que j’ai écrit à propos, et que je viens devant vous manger mon chapeau car un narcissisme pathologique m’a interdit l’autoflagellation pour vous signifier la passion nouvelle que j’ai pour vous.

Je sais, Monsieur le président, qu’avec tous les apôtres que vous avez, vous n’avez pas besoin de vous faire des ennemis. Surtout que de ce coté là vous n’êtes pas mal servi aussi. Ne serait-ce qu’en comptant ceux que vous vous êtes d’abord fait au FFS en le quittant pour le RCD et au RCD en le quittant pour l’exil, sans parler de ceux des MCB, et du MPA de Amara Benyounes : votre ex-compagnon de lutte qui a qualifié le MAK de « tube de l’été » au moment de sa création. Et des ennemis illégitimes qu’on vous a faits dans le dos.

Monsieur le Président, le MAK, dont vous vous êtes arrogé la putative paternité, était censé être une réflexion sur l’idée d’autonomie, au moment où vous peinait à sortir de votre nationalisme à votre arrivé à Paris. Mais je reconnais aussi que l’idée d’autonomie a toujours été contingente à toutes les brobroïtés qu’elle a accompagnées sous une forme latente et qu’elle ne vous a pas, vous-même, épargné. Tant mieux que vous soyez sorti de votre ambivalence et que vous ayez régler votre dissonance à ce sujet et que vous puissiez lâcher toutes les casseroles que des plaisantins ou des malfaisants voudraient vous accrocher.

Monsieur le Président : vous voyez bien que les chemins de l’autonomie sont pavés de mauvaises intentions. Que d’entraves ! Que d’entraves. Que d’entraves ! En effet, diriez-vous. Si c’ n’était votre omnipotence, bien entendu ! Que d’eau que d’eau ! Aurait dit Mac Mahon, Duc de magenta, mais qui n’était pas Moïse pour se frayer un passage à travers les flots.

Monsieur le président, bien que nous ne soyons pas des grenouilles, et que c’est malgré vous que vous faites durer votre mandat provisoire, et pour notre plaisir aussi, ne le boudons pas : permettez-moi d’oser vous suggérer de vous donner mandat provisoire à vie. Ou de vous faire Roi Ferhat Premier.

En attendant Monsieur le président, je vous promets de gommer toutes mes aspérités et de réaliser toutes les contorsions nécessaires pour entrer dans le moule que vous nous avez forgé.

Je vous prie, à genoux, Majesté, d’intercéder en ma faveur pour m’éviter la fureur de vos sohabas. J’ai failli apostasier ma kabylitose congénitale comme on se débarrasse d’une vulgaire chtouille choppée au cours d’un dévergondage, alors qu’elle m’était acquise définitivement et qu’il était de mon devoir de l’assumer, fièrement.

C’est, soyez en assuré, Majesté, un sujet complètement contrit qui vous fait allégeance et qui adresse à son Roi sa profonde gratitude.

Longue vie à notre Roi !

Vive la monotonie !

Zut !

Vive l’autonomie !

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djamel rabia

Je lis la contribution de Karim Akouche et je me sens troublé. Je me demande comment se fait-il qu'un écrivain puisse vivre une crise d'identité au point où il perd son nord comme il le dit. Et pourtant tout est clair. Il est d'abord algérien. La langue algérienne officielle est l'arabe. Cette langue n'a jamais été imposé comme il le souligne. Mais une langue héritée par nos aïeux et fiers berbères tout au long de l'histoire depuis que l'islam est parvenu en Afrique du Nord. Pour cela, on doit rendre hommage à nos valeureux berbères qui sont en même temps les aïeux de Karim Akouche. Ces berbères n'ont pas été colonisés comme il le suppose ou croit Karim Akouche mais des maitres de leurs terres. Pensons aux différentes dynastie berbères musulmanes et qui étaient à leurs têtes. Bologhine, Ben Tacheffine....

Karim Akouche pense pris au piège par l'histoire. Ce n'est pas vrai. l'orient est plus ouvert et plus laïc que nous les kabyles. Je pense à la Syrie, l'Irak, le Liban et l'Égypte. dois-je le rappeler où est né l'arabo-baâthisme qui est d'essence laïc Nous les berbères ou les kabyles sont plus conservateurs à en mourir. A quel point un kabyle peut permettre à sa sœur de sortir avec l'homme qu'elle aime. le nif l'empêche.

Non karim, tu t'es trop égaré. l'histoire de la kabylie c'est l'histoire de tout village algérien. On a connu les affres du colonialisme français qui a tant essayé de nous déraciner. on ne voudra jamais devenir des occidentaux. Les kabyles ne penseront jamais à accepter l'homosexualité ni les avortements, ni nos femmes qu'elles fréquentent des bars ou des cafés.

C'est ça la fierté kabyle. nous avons hérité ces valeurs de nos valeureux berbères qui ont embrassé l'islam et ont puisé dans cette religion la sève de leurs existence.

Réveille-toi karim et tu vivras heureux sans crise identitaire.

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