Le huit mars sans roses et sans fleurs
Ce huit mars, ne m'envoyez pas les roses et les fleurs et ne me dessinez surtout pas les cœurs d'amour.
Je ne suis vraiment pas de bonne humeur. Vous croyez que c'est en m'accordant un jour pour évoquer mon malheur et mes pleurs que j'oublierai vos torts et la souffrance de mes sœurs qui vivent dans la peur ? Non, je ne suis pas idiote ni un termite sous vos bottes.
Qui suis-je ? me demandez-vous
Je suis la femme sans voix au fond des montagnes de Bora-Bora dont la vie ne vaut pas mieux que celle d'un rat. C'est là que je survis sous un obscur drap, je n'étais jamais serrée par amour même dans les bras de ma maman. Pour la famille, je suis un fardeau lourd et pour la tribu un déshonneur. Ma peau est privée même des rayons du soleil et mes cheveux de l'air des montagnes. L'école est réservée à mon frère junior qui sera bientôt mon tuteur et peut-être mon tueur si j'ose recevoir vos fleurs.
Je suis la chrétienne d'Orient sous l'État du levant. Je suis violé par les maîtres des lieux au nom du créateur de la terre et des cieux. Ils ont crucifié mon père, égorgé mon frère et vendu ma mère et je suis devenue femme ces tortionnaires. Je n'ai que huit printemps et mes époux ont dépassé les quarante ans. C'est du matin au soir sans pause que j'implore la faucheuse et vous osez me proposer des roses ?
Je suis la Yazidie de Syrie au marché de l'esclavage, enfermée dans une cage par des êtres d'un autre âge. J'ai imploré les hommes aux bons cœurs pour soulager ma douleur, mais aucun n'a pris part à mon malheur. J'ai imploré les Dieux à prendre mon âme pour m'extraire de ce drame, mais je suis toujours au milieu des flammes. Dans cette horreur, croyez-vous que j'ai besoin des fleurs ?
Je suis la Kurde de Kobané qui défend sa patrie contre la sauvagerie et vous, vous échangez par messagerie mes photos en action comme c'est de la pure fiction. Vous me trouvez belle et même sexée avec mon fusil et mes habits, mais sachez que ce sein que vous admirez sous ma tenue, je l'ai arraché à mon bébé pour servir de bouclier contre la barbarie. Vos dessins de petits cœurs n'arrêteront pas les assassins au fanion noir, qui déciment tout espoir. Ma Kalachnikov a besoin de munitions et non de fleurs dans son chargeur.
Je suis la femme du Golfe que l'on étouffe avec une sombre étoffe et qui n'a pas le droit de prononcer même un ouf. Je partage mon polygame avec trois autres dames. Pour mon propriétaire, je ne suis qu'une chair qui doit toujours se taire et faire des enfants à gogo pour hériter son magot. Il m'interdit de conduire sa limousine par peur que je le trompe avec le fidèle muezzin. Tout le temps attachée au piquet, comment pourrai-je recevoir votre bouquet ?
Je suis la femme occidentale, là où on achète mon charme, où l'on expose ma nudité dans les foires. On me pousse à faire le trottoir au prix d'un pourboire. Certes, dans les lois, j'ai mes droits, mais homme, je veux les voir en toi. Si tu n'utilises pas ton savoir-faire et ton arsenal militaire pour extraire mes pairs de la misère, il n'y a vraiment pas de quoi être fier. Aujourd'hui, tu peux garder tes fleurs, mon cher.
Je suis la veuve africaine, mon époux est englouti par les flots de l'eldorado. Je suis à genoux et mon bébé sur le dos, je ramasse les grains de riz perdus pour subsister. Je n'ai plus de force et Boko haram est à mes trousses. À la place d'un bouquet, offrez à mon enfant de votre pain une bouchée.
Je suis la femme algérienne qui avait régné à travers l'histoire. J'étais parmi les acteurs qui ont combattu le colonisateur. Au moment au je lançais des youyous pour avoir libéré la terre de mes aïeux, on m'a poignardée dans le dos, on m'a attaché le code de la famille au cou. Je n'ai plus le droit d'hériter les biens de mon père et de ma mère à parts égales avec mon frère. Devant le juge, j'avais la rage, car mon témoignage est inégal à celui d'un mâle. Nos hypocrites m'appellent tous "sœur", mais me harcèlent même dans ma propre cour ainsi que dans les bus et les trains. Ils m'ont imposé un couvre-feu la nuit et ils se sont autoproclamés Dieux de la rue. Ici, les roses ne seront pas citées, car les hommes de ma cité ont répudié cette civilité.
Au nom de toutes les femmes, violées, violentées, dissimulées, écrasées … au nom de la foi, des scélérates lois, de l'honneur stupide et des coutumes sordides qui ont écarté l'esprit lucide, j'ai osé emprunter leur voix, afin d'évoquer un petit bout de leur effroi.
Mère, épouse, fille et sœur, au nom de tous les époux, des pères, des frères et de ceux qui tiennent les rênes, je vous demande pardon et je déclare que tous les jours de l'an sont désormais à vous.
Rachid Mouaci
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