L’honneur perdu de Messali El Hadj

Hadj Messali
Hadj Messali

L’Armée messaliste, de la contre-révolution à la collaboration.

Par Bélaïd Abane

Surpris par le déclenchement soudain de la lutte armée, le 1er novembre 1954, Messali hésite. Le devoir lui commande de rejoindre le FLN et l’insurrection. Il pourrait même en prendre la tête. Tout est encore possible, car le prestige du vieux chef est encore inentamé, malgré sa guéguerre avec les centralistes. Et le FLN n’a pas de tête d’affiche. Messali serait tout naturellement le leader tout indiqué qui pourrait ressouder les failles qui déchirent le mouvement national et rétablir son unité.

Mais Messali préfère déclencher sa propre révolution, sûr de récupérer à son profit les lauriers et les bénéfices engrangés par l’étincelle et les premières flammes de Novembre. Il crée le Mouvement national algérien (MNA) qui prend la place toute chaude du MTLD dissout le 5 novembre 1954. Début décembre, le MNA entre en guerre et ses commandos se signalent par quelques actions terroristes dans le Constantinois.

Sûr de son audience et de sa prééminence dans les villes, le mouvement messaliste veut occuper seul le terrain et évincer "cette bande de va-nu-pieds" du FLN dont il sous-estime les capacités à organiser et à mener à son terme le combat libérateur. Il toise de haut son adversaire et le présente à l’opinion comme une marionnette aux mains des communistes. Il appelle au boycott des tabacs et alcools, et multiplie les attentats contre les contrevenants. Pour le nerf de la guerre, les commerçants mettront la main au portefeuille. Ne le font-ils pas pour le FLN ? A Alger, les commerçants mozabites, ulcérés, se voient surtaxés et parfois soumis à de féroces représailles.

Sous l’impulsion d’Abane et de Krim, la direction intérieure du FLN, entreprend une série de contacts avec les dirigeants du MNA (Mustapha Ben Mohamed dit Negro, Mokhtar Zitouni, Khelifa Benamar…), à Alger. Selon Mokhtar Bouchafa premier responsable des réseaux FLN d’Alger cité par Khalfa Mammeri, le FLN aurait proposé au MNA de participer à une direction collégiale de l’insurrection. Les messalistes, pensant avoir le vent en poupe, déclinent l’offre du FLN et exigent de ses dirigeants de"reconnaître par écrit que c’est Messali qui a déclenché la Révolution". Sollicité en mars 1955, Messali aurait également refusé la présidence d’honneur du FLN. La cécité politique du zaïm et son orgueil vont alors enclencher un processus tragique aux conséquences désastreuses pour les deux mouvements, mais plus encore pour le MNA et son chef, qui ne s’en relèveront jamais.

La partie de bras de fer s’engage entre les deux mouvements. A cette époque, le MNA porte l’entière responsabilité de la crise. Selon l’ancien dirigeant messaliste Mohamed Maroc cité par Mohamed Harbi, "jusqu’en avril 1956, l’intransigeance était du côté MNA". Et les événements vont se précipiter après l’assassinat à Paris d’un militant nationaliste acquis au FLN.

Abane organise la contre-attaque. Sans citer les messalistes, il met en garde contre "ceux qui entretiennent la confusion" et dénonce "tous ceux qui ont recours au mensonge et à la calomnie pour dérouter de la véritable voie" (Appel au peuple algérien du 1er avril 1955).

La mise en garde est plus explicite dans les Directives du 1er juin 1955. Le chef FLN d’Alger enjoint aux militants de "démasquer les messalistes". La tension monte dès le début de l’automne 1955. Un tract du FLN daté du 15 septembre, s’en prend directement à Messali, "briseur de l’unité du mouvement national…et auxiliaire du colonialisme", avant d’annoncer à la Délégation extérieure que la guerre avec le MNA et son Armée nationale du Peuple algérien (ANPA) dirigée par le "Général Bellounis" va commencer, malgré "toute notre répugnance".

Le 10 octobre 1955, Krim Belkacem donne à l’ALN de la Kabylie et de l’Algérois (zones III et IV) l’ordre d’entrer en action contre les groupes MNA. La décision est prise quelques jours auparavant par les principaux chefs FLN d’Alger, dont Krim, Ouamrane et Abane.

Si elle n’est pas une création ex nihilo de l’Etat-major ennemi, l’ANPA lui donne en tout cas des idées. L’armée de Bellounis est accueillie favorablement et encouragée en sous-main. Les armes lui manquent car le FLN en contrôle jalousement les voies d’acheminement. Alors le "Général du désert" et sa "la glorieuse armée" comme se plaisait à les nommer Paris Match qui leur consacrera moult reportages, n’hésitent pas à se tourner vers l’armée française. Des liens se tissent tandis que l’aide logistique et financière afflue. Selon Slimane Chikh (L’Algérie en armes, Thèse de doctorat) qui cite plusieurs sources, l’armée française aurait octroyé au "Général Bellounis" une aide mensuelle de 70 millions de francs. Piégé, ce dernier glisse progressivement vers la coopération avec l’armée coloniale. Au reste, la détermination du FLN et la férocité des coups que lui porte l’ALN, poussent Bellounis à faire appel ouvertement à la protection de l’armée française. Renvoyant l’ascenseur, il multiplie les déclarations loyalistes envers le gouvernement français. "Si un jour, déclare-t-il au Monde, un gouvernement algérien même régulièrement constitué, devait rejeter la France, on me trouverait à ses côtés pour lutter contre ce gouvernement." Pour le FLN, "la trahison" ne fait plus de doute. Le MNA et "son armée" sont dans une logique de contre-révolution et de collaboration avec le pouvoir colonial.

ANPA, armée coloniale, même combat

C’est en Kabylie où Messali bénéficie d’une très large audience, que s’ouvrent les hostilités entre FLN et MNA. Terre d’émigration, la Kabylie est en effet un enjeu vital pour les deux mouvements.

On se bat partout en Grande Kabylie : dans la région de Menerville (Thenia), à Draa El Mizan, aux Ouadhias. Des combats violents se déroulent également en Petite Kabylie, dans la région de Seddouk et de Guenzet, où FLN et MNA entrent en contact frontal. Amirouche écrase les groupes armés messalistes dont les rescapés se replient vers la région de Bouïra et d’Aïn Bessam où se trouve le gros des troupes dirigées par Bellounis.

Vaincu au douar Rich, Bellounis se replie vers les Hauts Plateaux. Il s’accroche pendant quelques mois à ses positions, dans la région de Boghari et d’Aumale. Soumise au harcèlement des katibas de la wilaya IV (Algérois), l’ANPA se retire sur les flancs nord de l’Atlas saharien. Bellounis se réfugie à Dar Chioukh, au nord des Ouled Naïl, entre Ksar Chellala et Bou Saada, où il installe son PC. Les services spéciaux de l’armée française volent à son secours et organisent l’opération "Olivier" (nom de code donné par les services spéciaux français à Bellounis), diligentée par les généraux Allard et Salan, avec l’aval du ministre-résident Lacoste. Les troupes de Bellounis, évaluées à 3000 hommes, sont encadrées par les parachutistes du 11e choc commandé par le colonel Vernières qui relève directement du SDECE. Elles sont renflouées en armes, munitions, véhicules, finances et ravitaillement. Bellounis est officiellement reconnu comme "représentant de l’armée nationale du peuple algérien", "le MNA et Messali Hadj, comme interlocuteurs valables". En contrepartie, le chef de l’ANPA est "disposé à participer à la pacification de l’Algérie…et à mener le combat contre les frontistes et les communistes", comme il l’écrira dans sa lettre du 8 septembre 1957, adressée à la presse, dans laquelle il ne fait plus mystère de l’alliance ANPA/MNA avec l’administration et l’armée françaises (Voir Archives de Mohamed Harbi).

Après avoir hissé le drapeau français aux côtés du "drapeau algérien", et opté pour "l’intégration de l’Algérie à la France", Bellounis prend goût au pouvoir et manifeste quelques velléités d’indépendance. Il projette de faire jonction avec l’autre contre-maquis que dirige Djilali Belhadj, alias Kobus, dans la vallée du Chélif. Cet ancien membre de l’OS avait été "retourné" par la police française dont il devient indicateur. Il avait servi d’appât à Alger en mars 1955, pour attirer les dirigeants du FLN dans un traquenard. Bitat y avait été arrêté tandis que qu’Abane et Krim y échappèrent de justesse.

Mais le commandement français commence à s’inquiéter des nouvelles alarmantes de désertions et de ralliements à l’ALN des hommes de Bellounis et de Kobus. L’état-major français impose d’abord à Bellounis de "limiter son champ d’action à une zone géographique restreinte…ne faire déplacer ses troupes qu’avec une escorte de l’armée française". Dans ses cantonnements, l’ANPA est également tenue d’"arborer les deux emblèmes". Puis, craignant sans doute la réédition de "l’opération oiseau bleu", le commandement français se ravise et décide d’arrêter les frais. Désemparé par la volte-face française, Bellounis alerte l’opinion publique. "Ce que je décris, écrit-il, est conforme à la position bien définie par le gouvernement français et Messali Hadj à maintes reprises."

Le colonel Trinquier du 3e RPC est chargé de liquider Bellounis et ses hommes. L’affaire est réglée le 14 juillet 1958. "L’armée nationale du peuple algérien" a vécu.

Sous les décombres de l’ANPA, la presse découvre un charnier de près de 500 cadavres, attribué à Bellounis et à ses hommes qui auraient semé la terreur dans la région et rançonné la population. Curieusement, ce massacre ne suscitera ni émotion ni indignation dans les médias, comme il en fut de "Melouza" quelques mois auparavant.

La direction du MNA publie un communiqué exaltant "la mémoire d’un combattant mort héroïquement, les armes à la main, parce qu’il refusait l’intégration (sic) et menait le combat pour une Algérie indépendante, libérée de tout totalitarisme et libre de choisir elle-même son propre destin". Ce soutien donné à titre posthume à Bellounis, est la preuve, aux yeux du FLN, de la duplicité et de la "trahison" du MNA et de son chef.

A Alger, les groupes de choc du MNA multiplient les tirs de harcèlement contre les cafés et les commerces jugés pro-FLN. La liste des militants frontistes abattus, s’allonge. Ahcène Laskri, responsable politique, et Abdelkader P’tit Negro tombent tour à tour sous les coups des groupes armés messalistes. Le FLN décide de passer à l’offensive. Abane lève les "consignes de sagesse" et les recommandations faites aux militants d’éviter les affrontements. Selon Yacef Saadi, des instructions précises sont données aux commandos FLN pour éliminer tous les messalistes faisant partie de groupes armés, "retourner" par un travail de propagande et de contre-information tous les indécis, éclairer et rallier les inconscients.

Dans l’ouest du pays, le MNA connaît une infortune encore plus tragique. Ses dirigeants disparaissent un à un. Invités à Oujda pour discuter des modalités d’union avec le FLN, des responsables messalistes tombent dans un guet-apens et sont liquidés. Les militants, dont le futur colonel Lotfi, rejoignent le FLN.

Au Caire, Mezerna, fidèle lieutenant de Messali, accepte dans un premier temps de signer en février 1955 avec Boudiaf, un accord avalisant l’entrée du MNA au FLN. Désavoué et sanctionné par Messali, Mezerna renie son engagement et entreprend de constituer une large alliance en essayant de drainer au MNA, les Ulémas et l’UDMA, afin d’isoler le Front dont il somme les militants de "réintégrer le mouvement purement et simplement" (lettre de Mezerna de mars 1955). Ben Bella que tentent aujourd’hui de récupérer les messalistes sollicite l’aide du pouvoir nassérien pour neutraliser les messalistes. Mezerna et Chadli El Mekki sont arrêtés le 11 juillet 1955. Le FLN reprend le dessus. Grâce à la bienveillance de l’autorité égyptienne dictée, sans doute, par l’intérêt porté à un Ben Bella entièrement acquis à ses thèses, mais aussi par l’aversion éprouvée à l’endroit d’un Messali jugé trop proche du régime saoudien dont la doctrine, le wahabisme, est à l’opposé du panarabisme nassérien.

En France, c’est Messali en personne qui déclenche en juillet 1956 l’affrontement. L’organisation FLN est ébranlée, décapitée dans certaines zones. Notamment dans le Nord, les Ardennes, le XVIIIe arrondissement de Paris, Argenteuil et Montreuil, en banlieue parisienne, et dans certaines villes de province comme Clermont-Ferrand, Lyon et Grenoble, où le MNA est solidement implanté. 82 cadres périssent sous les balles des commandos messalistes. Le FLN va devoir se battre sur deux fronts. Après moult hésitations, la direction est obligée de suivre les militants impatients de riposter aux attaques messalistes. Salah Louanchi et Tayeb Boulahrouf, responsables de la Fédération, avalisent, à leur corps défendant, la création de groupes de choc. La chasse aux messalistes est ouverte.

L’année 1957 se termine, ponctuée d’initiatives d’apaisement de part et d’autre, dont la plus inattendue est celle de Messali qui lance, le 1er septembre 1957, un appel à la cessation des attentats. Appliquant pour la première fois le principe de réalité -le MNA est alors en nette perte de vitesse tant sur le plan militaire que politique- Messali invite ses partisans à déposer les armes. Les évènements qui se déroulent alors en Algérie, notamment la collaboration de Bellounis avec l’armée française contre l’ALN, avec la bénédiction des dirigeants messalistes, incitent le FLN à "redoubler de férocité". L’encadrement politique et syndical du MNA est décimé. Le réalisme pousse certains militants ayant survécu à la guerre fratricide, à rallier le FLN qui se rend partout maître du terrain. D’autres, terrifiés ou écœurés, préfèrent se détourner définitivement de la lutte.

L’honneur perdu de Messali Hadj

Le bilan de la guerre fratricide entre le FLN et le MNA est très lourd. Selon diverses sources, le bilan s’élèverait à 10 000 morts et 25 000 blessés pour les deux camps. La guerre fut particulièrement meurtrière en France où l’on compte près de 13 000 victimes dont 4000 morts, soit un Algérien sur 80. Ce qui équivaut à 550 000 victimes si on rapporte la proportion à la population métropolitaine globale de l’époque.

Dans cette descente aux enfers, Messali porte sa part énorme de responsabilité. Son parcours politique et sa personnalité sont au cœur du problème. Vénéré comme le sauveur providentiel venu du ciel, il est depuis les années 1930 adulé des masses algériennes qui voyaient en lui l’unique planche de salut, le seul dirigeant capable à leurs yeux de faire sauter les verrous du carcan colonial. Nul n’imaginait alors que le destin de l’homme allait un jour sombrer dans le trou noir d’un oubli abyssal. Comment en est-on arrivé là ?

Au commencement était le patriote sincère et résolu qui fait don de sa personne à la cause de son peuple et à l’indépendance de son pays. Messali ne recule devant aucun sacrifice. Il passe la majeure partie de sa vie d’adulte en prison, en résidence surveillée ou en exil.

Agitateur infatigable et orateur de talent, il est accueilli et acclamé partout par la foule en délire. Il porte la bonne parole et annonce l’approche du grand jour où "le peuple algérien glorieux planera dans le ciel de la liberté". Son "look" messianique savamment entretenu (longue barbe blanche très soignée, tarbouche, gandoura d’une blancheur immaculée, portée sur le costume et la cravate… qui "fait partie du programme", selon ses propres dires), conforte la masse algérienne inculte dans sa croyance en l’avènement imminent d’un monde nouveau paradisiaque.

L’adoration dont il est l’objet conforte le zaïm dans un sentiment d’infaillibilité qu’entretient un entourage tout à sa dévotion. Sanctuarisé par une flopée de courtisans et de flagorneurs qui passent le plus clair de leur temps à flatter son ego, Messali se coupe progressivement des masses. Le culte de la personnalité prend le pas sur le projet politique, dans un parti fortement marqué, dès son origine, de l’emprunte du chef. Même si ce parti est réellement celui du peuple algérien, la dérive est inexorable. Et ça continue encore aujourd’hui pour ses derniers adorateurs qui persistent à en faire l’Alpha et l’Omega de la libération du peuple algérien.

Prisonnier d’un passé mythique et d’une vision sans prise sur la réalité politique du pays, Messali ne se rend pas compte que du temps a passé et que le mouvement national, en maturation accélérée depuis les évènements du 8 mai 1945, est entré dans une phase historique nouvelle. Cramponné aveuglément à l’illusion d’une grandeur passée qui n’impressionne plus que les derniers cercles de ses partisans, Messali n’a rien vu ou n’a pas voulu voir la réalité nouvelle, celle qui fait du messalisme une étape dépassée et une vision archaïque de l’avenir national algérien. Là est la cause profonde qui va enclencher et entretenir la spirale infernale de la guerre fratricide.

Prélude à la dégringolade, l’image du vieux leader se brouille. Au sein des masses, son charisme décline. Lorsqu’il est accusé de "collusion avec l’ennemi" Messali n’est plus qu’un mythe décadent. De porte-drapeau du nationalisme algérien, Messali devient l’obstacle à écarter, puis l’ennemi à abattre. Lorsqu’il fait amende honorable et se présente enfin comme l’apôtre de l’unité et de la réconciliation nationale, il est déjà trop tard. Pour le FLN, ce revirement tactique ne peut faire oublier le reniement par Messali d’une cause qu’il a si longtemps et si ardemment défendue. Car l’homme qui fut le champion de l’indépendance, n’envisage plus l’avenir de l’Algérie que dans le giron de la république française. C’est bien en effet Messali qui déclare à l’hebdomadaire France Observateur (janvier 1959) : "Il faut faire de l’Algérie un Etat ? En avons-nous les moyens ? Non ! Où les trouver ?… Seuls les Français ont les habitudes municipales et gouvernementales… De tous les temps, il y a eu des indépendances, mais il y a eu aussi des associations. Je n’abandonne pas le principe de l’indépendance, loin de là. Mais je comprends mieux qu’il y a quarante ans. Le monde est divisé en deux blocs autour desquels gravitent des satellites. Nous sommes à l’ère stellaire."

Le FLN : l’unité à tout prix

Revenons au conflit FLN-MNA. La guerre est totale. Une guerre civile et fratricide certes, mais dans laquelle chaque "belligérant" est résolu à en finir avec l’autre. Il en est ainsi du FLN, mais aussi du MNA, comme l’écrira Mohamed Lebdjaoui : "Dans certaines régions, notamment dans le Nord…les groupes de choc (du MNA, NDLA), armés, nombreux et déterminés, liquidaient systématiquement les militants que tentait d’implanter le FLN." "L’assassinat politique" est érigé en technique guerrière banale de tous les jours.

En dirigeant politique responsable, Abane relève, il est vrai, le défi et le fait avec l’entêtement méthodique qu’on lui connaît. En vérité, pour le FLN le choix est clair : laisser le champ libre au mouvement messaliste et assumer la responsabilité de la défaite, mais aussi celle d’un recul qui porterait un coup fatal à la Révolution. Ou bien affronter le MNA et le réduire pour préserver l’unité du mouvement national et les chances de succès du projet libérateur. C’est cette voie que choisit Abane avec l’appui, il faut le rappeler, de l’ensemble des dirigeants frontistes et des chefs maquisards, de l’intérieur ou de l’extérieur, y compris Ait Ahmed, Boudiaf, Khider et surtout Ben Bella, dont on se plaît à rappeler aujourd’hui la tendresse pour Messali. Rappelons que Ben Bella qui avait choisi son camp, l’Egypte, ne pouvait être alors dans celui de Messali. Le panarabisme nassérien était en effet l’ennemi juré des Saouds et du wahabisme auxquels s’était adossé Messali. Mais l’obligé de Nasser qui se découvrira messaliste 50 ans plus tard, n’était pas à un reniement près, d’autant que sa boussole s’était sérieusement déglinguée depuis sa remise en liberté par le Président Chadli Bendjedid après 14 ans de détention sans jugement.

Entre le FLN et le MNA, le meilleur l’a emporté. La victoire qui est celle du plus décidé, du plus aguerri, ne s’explique pas seulement par la combativité du FLN. Le facteur "militaire", s’il est très important, n’est pas le seul déterminant. L’échec du MNA, c’est en vérité, aussi, celui de sa promesse. La promesse floue d’un avenir hypothétique est sans contours. Et aussi celui de l’ambiguité. Ainsi, en Kabylie, où pourtant Messali jouissait d’une grande popularité, la seule chose qui se disait et se savait du MNA et de son chef, est qu’ils sont devenus les pires ennemis du FLN. Jamais il ne fut question d’embuscades, d’attaques ou de quelque glorieux fait d’armes messalistes contre l’armée coloniale. Comme si la mission principale du MNA était d’abord de neutraliser le FLN. Quant aux mots d’indépendance et de libération nationale, ils n’étaient jamais associés aux messalistes, perçus alors de manière très négative. Ceux qui avaient l’âge se souviennent aujourd’hui de ces "iMiNA" ayant fui la métropole où l’air était devenu irrespirable, pour se réfugier au village natal, en rasant les murs pour continuer à vénérer confidentiellement le zaïm, en sculptant des icônes de bois à son effigie.

Comment expliquer que le peuple algérien finisse par se détourner de ce messalisme-messianisme qui l’a, pourtant, si longtemps subjugué ? Et qu’ils penchent au contraire du côté frontiste ? Le secret est dans la simplicité et la clarté d’une promesse concrète de liberté et d’indépendance. Et dans une exigence aussi simple : l’union du peuple et l’unité révolutionnaire sans faille.

Et le messalisme ? Si on ose regarder au fond des choses, on verra que les messalistes ont combattu non pas le colonialisme, mais le FLN, pour la gloire de Messali et le messalisme, dénaturant le sens même de leur combat et de leurs engagements passés. On notera également qu’à leurs yeux, l’objectif de la libération nationale est devenu secondaire ou même dérisoire, devant le "péril FLN" qui menace de déboulonner la statue du zaïm. Glissante, la pente de ce dévoiement l’est, au point d’entraîner rapidement le MNA et son chef dans la voie du rapprochement et de la collaboration avec l’ennemi principal, pour combattre les rivaux frontistes.

Quant au FLN, obsédé par la division, la dispersion des forces et l’échec, il se bat, certes avec une détermination sauvage. Mais il le fait pour préserver l’unité révolutionnaire, condition sine qua none de la victoire sur le colonialisme, avec la conviction d’agir pour l’intérêt général.

Les motivations des deux prétendants à la suprématie sont donc diamétralement opposées. Pour le MNA, c’est le culte de la personnalité voué à Messali dont il faut à tout prix préserver le statut de chef incontesté et infaillible. Quant au FLN, convaincu d’incarner le courant majoritaire du mouvement national, et donc le peuple algérien tout entier, sa motivation est l’unité de la nation, sans laquelle le mouvement sombrerait inévitablement dans l’échec. Une valeur qu’il faut préserver, quel que soit le prix à payer.

B. A.

Plus d'articles de : Débats

Commentaires (25) | Réagir ?

avatar
klouzazna klouzazna

Rappelons l'essentiel...

Je suis responsable de mes propos mais pas des interprétations qu'on en fait !!!

avatar
klouzazna klouzazna

La bétise est une maladie sans remède !!!

visualisation: 2 / 15