L'étranger Joseph Ged et la presse chimère Par Mohamed Benchicou
Joseph Ged vient de siffler la fin de la comédie : désormais, c'est la liberté ou l'argent. Et notre presse s'est réveillée en sursaut, avec une gueule de bois et une humeur diablement irritée : "Qui est cet étranger qui met le nez dans nos arrangements d'Algériens ? " Ged a fait mouche. Il a répercuté avec un vocabulaire d'homme d'affaires des consignes d'El Mouradia que le ministre de la Communication avait eu de la peine à exprimer dans le jargon politicien.
Un seau d'eau froide. C'est avec un seau d’eau froide que le patron d’Oredoo a jeté la presse algérienne hors de son lit d’illusions : debout, il est l'heure de choisir entre la liberté et l'argent. Jusque-là, portée par toutes sortes de leurres, la presse algérienne avait vécu dans le culte de l'ambivalence et dans la conviction que l'on pouvait avoir les deux, la liberté et l'argent. Née puis mûrie dans les émotions particulières d'une nation en gestation, jouissant, aux yeux de l'histoire, de la sacralité d'octobre 88 et, à ceux du pouvoir, du statut de faire-valoir démocratique, elle s'autorisait la critique du pouvoir tout en empochant l’argent de ce même pouvoir. C'était la presse chimère, du nom de ce monstre fabuleux composite, ayant la tête d'un lion, le corps d'une femme, la queue d'un dragon et crachant du feu. Voilà un quart de siècle qu'elle se nourrit (au propre comme au figuré) de cette équivoque jusqu'à devenir la presse de l'ambiguïté, vivant de sa propre mythologie, accommodant le corps de femme avec la gueule du dragon, une main pour l'obole l'autre pour la plume, la bouche tantôt cousue tantôt crachant du feu à loisir, presse unique au monde, cumulant les privilèges du bandit d'honneur et ceux de la secrète concubine.
Joseph Ged vient de siffler la fin de la comédie : désormais, c'est la liberté ou l'argent. Et notre presse s'est réveillée en sursaut, avec une gueule de bois et une humeur diablement irritée : "Qui est cet étranger qui met le nez dans nos arrangements d'Algériens ?" Ged a fait mouche. Il a répercuté avec un vocabulaire d'homme d'affaires des consignes d'El Mouradia que le ministre de la Communication avait eu de la peine à exprimer dans le jargon politicien. Ged ne s'embarrasse pas des nuances politiciennes. Il ne suggère pas ; il assène. "La liberté de nous critiquer ou notre argent, il faut choisir !" Ce n'est pas une formule de politiciens ; c'est une logique de businessmen. Semblable à un ordre boursier. Il n'est pas soumis à discussion. Il le dit lui-même : "Il n'y a pas à polémiquer." Comprendre par là : c'est notre argent, on le réserve à nos alliés, pas à ceux qui nous cherchent des poux sur le tête. La presse n'a pas le monopole de la liberté ; l'annonceur est également en droit d'exiger la liberté de publier ses publicité dans le support qui lui convient le mieux. Le patron d'Ooredoo sait qu'il a le droit pour lui. "La publicité est une action commerciale. J’ai annoncé la stratégie qui se base sur nos valeurs de placement de publicité. Nous sommes un annonceur libre" Des paroles d'une frappante cohérence ! Il ne viendrait pas à l'esprit de Serge Dassault de confier sa publicité à l'Humanité. A moins que l'Humanité ne s'aligne sur le Figaro. "C'est vous qui voyez…"
A ce discours clair et sans bavures, nous avons rétorqué par une plaidoirie de l'émotion, convoquant les martyrs de la profession, les attributs de notre sacralité, l'honneur de la nation, la fibre patriotique... L'affaire Ged a révélé une presse vulnérable et ne disposant que passablement des moyens de son indépendance. Nous avons usé de tous les noms d'oiseaux pour qualifier le patron d'Oredoo, à commencer par celui qui nous a semblé le plus méprisant : l'étranger ! Étranger ? Mais Joseph Ged revendique son "apatridité" ! Dans l'économie mondialisée qui est la nôtre aujourd'hui, il n'est plus nécessaire de faire valoir une quelconque identité communautaire, il suffit de d'avoir les compétences exigées par les gros détenteurs de capitaux : le sens des affaires et l'insensibilité. Joseph Ged les a. Il officie en Algérie comme il l'a fait, ces dernières années, au Brésil, en Côte d'Ivoire, en Zambie, au Zimbabwe, à Madagascar en Guinée, au Canada, aux États-Unis, en Croatie, en Ukraine et j'en passe de ces contrées où il s'est occupé des intérêts de gros actionnaires du monde de la finance : au strict service de ses employeurs, le royaume du Qatar et le pouvoir algérien. C'est à ce titre qu'Ooredoo exclut de sa publicité les médias "coupables d'attaques personnelles envers les leaders de l’Algérie et ceux du Qatar." Oui, l'étranger Joseph Ged assume, sans mal, son statut de "légionnaire Joseph Ged" et ne se trompe pas de bataille : il combat sous l'emblème des gens qui le payent. Il n'ignore rien de ce qui nous scandalise.
Les marchés truqués, les faveurs entre gouvernements et les avis d'appel d'offres bidon,tout cela c'est son "truc" comme dirait Zizi Jeanmaire. Il active dans un monde amoral, c'est-à-dire un monde au dessus de la morale. Le monde du profit, cynique, insensible aux conditions des plus faibles. Il n'ignore rien des magouilles ordinaires entre l'Algérie et les cheikh du Golfe, et en profite même pour ironiser sur le compte de la presse : Ta probité a un prix. Ton silence contre une part du pizzo, l'argent de la mafia, l'argent des marchés truqués que tu dénonces à longueur d'articles. Mais là n'est pas le problème d'Ooredoo même si, il doit peut-être le penser, ce serait bien rigolo, une presse de zouaves, vêtue de l'uniforme du parfait tirailleur indigène, sa chéchia, sa culotte mauresque froncée sous le genou et serrée à la jambe du jarret à la cheville par des jambières... C'est cela, et rien que cela, le personnage de Ged. Froid. Implacable. Ni gentil ni méchant. Ni ami ni ennemi. Sa seule feuille de route, c'est celle que lui donnent ceux qui l'emploient : Alger et Doha. Il ne cherche pas à "mater la presse algérienne", comme on le lui a tant reproché ; il veut juste codifier les relations avec la presse algérienne sur la base des normes en vigueur dans le monde des affaires. Soumission totale à l'argent. Réduire le journaliste algérien à la posture des trois singes : rien vu, rien entendu, rien dit. Rien vu de la corruption, rien entendu de l'affaire Chakib Khelil, rien dit sur ces petites et grandes frasques qui embarrassent le pouvoir. N'est-ce pas là, le vrai motif de toute l'affaire ?
Ayant choisi un angle de riposte totalement décalé par rapport à la logique du patron d'Ooredoo, la presse algérienne s'est sans doute privée de poser les seules interrogations qui auraient pu jeter un peu de lumière sur une affaire qui est loin d'être close.
Nous y reviendrons.
M.B.
A suivre
Commentaires (11) | Réagir ?
"... l'éthique se mélange au business... "
Comme je l'ai cite' dans un autre commentaire, je ne suis pas journaliste. Cependant, je m'y suis aventure' comme Editeur des infos internationales, pour une chaine 6 mois durant pour (democracynow. org) -
On dit que le cerveau consomme 80% de l'energie du corps humain. Faire du journalisme serieux en consomme autant, du journalisme honnete fait grimper l'ardoise a 95%, car il vous faut devenir un logicien, un avocat universel, et un flic entre autre.
C'etait moins demandant, doctorant en Mathematiques. puis, quand vous etes journaliste, meme sans serieux, vous etes necessairement interesse' par les humains et la societe' en general; vous etes polyvalent et tout simplement interessant/e comme personne - ce qui finit necessairement par vous donner des charmes insoupsonne's, et inevitablement des responsabilite's paternelles. Bref, les 5% restant ne vous appartiennent plus.
Tout ce que vous enttendez ou lisez doit etre verifie', et la verification demande des moyens, et moyens veut dire des sous. Le biz est une necessite'. Le probleme du journaliste Algerien est que son consommateur a d'autres priorite's, valorise plus son cerveau gauche que le droit.
Parait-il que l'oignon Senegalais et la patate Americaine dominent le marche' Algerien et ne laisse d'espace a celle de Laghouat - a cause de Tamanrasset, qui paie 10 fois plus pour l'etrangere que la domestique. Tamanrasset est convaincue que celle d'ailleurs est mieux !
Et par celle, je veux dire n'importe quelle elle, soit-elle la patate, l'oignon, l'orange, la chemise, la chaussure, la chanson ou l'analyse des evenement. Mon dieu, faut inclure la femme, la soeur, la mere, la langue de la mere, et tout ce qui en decoule..., sa tete et tout le soi-meme.
Bref, le jour ou l'information vaudra plus que la patate, ce jour-la, on pourrait se demander pourquoi. Vous n'allez tout de meme pas me dire que les Algeriens ne savent pas que l'avenir de leur enfants est brade' par un drogue' psychopathe, quand-meme ! Il ne s'agit pas de quelques Algeriens ou les journalistes seulement, mais de 40 millions, d'entre eux.
J'ai dessine' un profile, approximatif et incomplet de la princesse d'Alger a psychiatre, et je recois "psychopathe, danger publique", a mi-chemin - le reste du profile devoile' dans "Bouteflika, un imposture Algerienne", etablit que ce n'est pas un hasard du tout, c. a. d. un lien genetique est probablement actif. Un gene pas necessairement Algerien ou meme Africain, si on y reguarde de pres - mais celui d'un soldat Europeen assoiffe' de sang Africain.
Ah si les murs des hamams pouvaient parler, ils vous feraient un proces plus dur... Le mien n'est qu'une association a ce que vous dites, le zami, rien qu'un partage...
Il a dû aussi siffler la dernière bouteille d’un Grand Millésime !
Sans Khamar il n’aurait pas osez ! Quoi que !