Evaluer le potentiel en gaz de schiste : est-ce vraiment un projet prioritaire ?

Siège de la Sonatrach
Siège de la Sonatrach

Sur le site internet de Sonatrach, la cellule/communication a mis en ligne uniquement les interventions de son Président Directeur Général par intérim, et les trois contributions de ce qu’elle appelle experts et qui se sont prononcé pour le gaz de schiste. A une première lecture, le visiteur comprendra que tous les autres spécialistes qui se sont exprimés sur le sujet ont tort. Est-ce réellement une manière d’instaurer un vrai débat sur la question ? Qu’est-ce que ces experts ont dit exactement ?

1. Pour le moment l’opinion public n’a que des paroles

Les pays européens qui se sont exprimé pour ou contre la fracturation hydraulique, ils l’ont fait sur la base de rapport d’experts et qui ont fait l’objet d’un large débat. Le dernier en date concerne l’Allemagne qui a opté pour ce mode d’exploitation après presque 3 années de réflexion, d’étude et de sensibilisation jusqu‘aux écoles. En Algérie par contre, le débat est biaisé dés le départ. Sonatrach, en tant qu’operateur concerné au premier plan ne cesse de se contredire. Par le biais de son responsable intérimaire, elle prétend avoir toute l’expertise pour maitriser la fracturation hydraulique qu’elle ne cesse de l’utiliser depuis 1990.Il cite l’exemple de Hassi R’mel et le premier puits de Hassi Messaoud ensuite s’embrouille dans les «tight gas» qui ne sont que des couches compactes qui demandent des conditions d’exploitation moins sévères que celles schisteuses. Il n’y a que des contributions d’opinion sur son site. Aucun rapport scientifique crédible et formalisé pour qu’en cas de problème plus tard, on situe la responsabilité. Comment peut-on croire sur parole une entreprise couverte de scandales et de malversations. Des milliers d’ingénieurs et de techniciens savent que déjà dans le conventionnel, toutes les opérations d’acquisition de données et de contrôle jusqu’à la fracturation elle-même, sont assurées par des sociétés parapétrolières Watherford, Dowell Schlumberger, SPESchlumerger, Haliburton Saipem, etc. Les cadres de Sonatrach lancent la commande, parfois supervisent et signent des attachements de paiement en devises fortes. Alors de quelle maitrise parle-t-on ? Une autre contribution affichée sur le site Sonatrach plaide pour la poursuite des forages pour uniquement évaluer le potentiel en gaz de schiste et regrette que ce soit les américains qui ont évalué les réserves en classant l’Algérie au rang 3.

Il faut selon lui s’atteler à former des compétences dans ce domaine. Il estime aussi que le gaz de schiste aurait toute sa place dans le cadre d’une stratégie énergétique à long terme, basée avant tout sur la "sobriété énergétique". Pourtant Sonatrach pour sensibiliser ses cadres, n’a pas fait appelle à lui mais Thomas Murphy, directeur au Penn State Marcellus Center for Outreach and Reseach. Il n’a pas été tendre sur le sujet mais en transmettant l’expérience de la Pennsylvanie, il a insisté sur les risques des ressources hydriques, qui sont réelles. Sur 1,2 millions de puits forés, 40% ont présenté des risques pour la santé par la contamination du méthane. Il n’a pas arrêté tout au long de sa conférence d’appeler à la communication avec les citoyens car leur préoccupation est légitime. Pour la deuxième contribution, on y lit que «Le schiste doit venir "en appoint" aux besoins internes de l'Algérie et non pas comme une rente» c'est-à-dire que d’ici 2030, il n’y a aucun espoir de diversification de l’économie mais on doit se préparer au scénario catastrophe de consommer tout le gaz qu’on produit, auquel cas, se pose le problème du financement de l’économie nationale. Pour un expert français qui vend ses revues à Sonatrach «La perception des risques attribués à l'exploitation du gaz de schiste est "souvent excessive». Pour lui la technique de la fracturation est affinée aux Etats Unis et les risques ont considérablement diminué sans avancer le moindre chiffre. S’il avait fait la même déclaration dans son pays, les instituts comme l’ANCRE, IFPEN, IRIS et le CNRS etc. n’achèteront plus ses revues car le rapport soutient le contraire. (01) Tout cela ne sont que des paroles qui expriment une opinion mais en aucun cas pourront situer la responsabilité si demain cela tourne au vinaigre. Les Algériens ont déjà goûté à cette amère expérience. En effet, début des années 80, des voix s’élevaient ici et là pour dénoncer le gigantisme de Sonatrach, sur la base d’opinion sans un diagnostic crédible. Au non « du plus petit est joli», on a désintégré un processus intégré en éclatant l’entreprise et avec elle le savoir et le savoir-faire consolidés. Moins d’une décennie après, on s’est rendu compte que c’était une mauvaise démarche mais qui en est responsable : «le système» pendant que Abdelhamid BRAHIMI se la coule douce en Angleterre. Début des années 90, lorsque l’Algérie a commencé à enregistrer des croissances négatives et est arrivée au stade de cessation de paiement, des experts ont averti que le FMI est devenu désormais indispensable mais qu’il faudrait faire attention au tissu industriel. La réponse était toute prête : l’Algérie n’échelonnait pas sa dette mais la «reprofilait», conséquence immédiate : on a assisté aux dégâts causés au secteur du bâtiment, à l’agroalimentaire et le textile pour ne citer que ceux là. Qui en est responsable : le système. Si le patriote Yousef Youcefi ou les crédibles experts ATTAR et GHOZALI comme aiment les appeler Mme HANOUNE dans son interview (02) sont sûrs de la nécessité d’exploiter le gaz de schiste, qu’il se mettent autour d’une table pour élaborer un rapport qui portera leurs noms pour la postérité et qui permettra de situer clairement la responsabilité demain si les choses tournent mal ou les glorifie dans le cas contraire. Ce rapport définira l’objectif, le nombre exacte de forage, une analyse de lithologie de la région et des difficultés éventuelles de les traverser, qui amorce les déviations et construit les pays ?, qui procède à la fracturation hydraulique ?, une étude sérieuse d’impact sur l’environnement et surtout une étude technico économique avec une évaluation des capitaux à engager. Même si le commun des mortels ne comprendra pas tout, les détracteurs du gaz de schiste vont se taire si ce rapport est convaincant.

2. Un peu de pragmatisme et de cohérence

Mettons de côté les choses qui fâchent comme les ressources hydriques, la santé publique et la contamination par les produits chimique et faisons appelle au bon sens, à la logique et aux faits comme la situation du marché pétrolier actuellement. C’est un fait que depuis le boom de Pennsylvanie et le premier forage d’Edwin Drake, l’évolution des prix en dollars courant fluctuent de haut en bas. Deux phénomènes peuvent être facilement observés : la vitesse avec laquelle les prix chutent est beaucoup plus importante que celle de leur remontée. En deux à trois mois seulement, les prix du baril en 2008 et 2014 ont perdu plus de 60% de leur valeur mais souvent il faut attendre deux à trois années parfois plus pour qu’ils atteignent leur niveau initial. Cette fois- ci-après avoir touché le pallier des 40 dollars, ils sont en train de remonter doucement pour dépasser à peine les 60 dollars. Deuxième phénomène observable, si on reconvertit les prix en dollars constants, la valeur du baril reste en perpétuelle diminution alors que ceux de la contrepartie de l’échange comme les équipements et les marchandises ne descendent que faiblement et détériorent ainsi les termes de l’échange. Avec le même baril, on importe moins de marchandises parce que les fournisseurs occidentaux pleurent la bouche pleine. Conséquence directe pour l’Algérie, tous les indicateurs actuels et en perspective montrent que pour atteindre les 120 dollars espérés, les prix du baril vont mettre quelques années à moins qu’un événement géostratégique apparaisse. Ce qui n’est pas prévisible pour le moment. En plus tous les pays qui se recherchent actuellement comme la Libye et l’Irak ont besoin d’argent.

Le chaos dans lequel ils se trouvent ne les a pas empêché de produire plus que leur quota, près de 800 000 barils pour la Libye. Donc à court terme, l’Algérie va faire face à une contraction des recettes et sera obligée de revoir sa démarche budgétaire. Le Président de la République a compris cette situation et a exhorté le gouvernement dans son conseil des ministres restreint de ne pas toucher aux grands axes de son programme, quitte à geler certains projets en procédant à un classement par ordre de priorité. En quoi évaluer les réserves récupérables en pétrole et gaz de schiste sont prioritaires ? Ces ressources sont restées des millions d’années dans le ventre de leur mère et elles peuvent encore demeurer quelques années, le temps que les prix se redressent ou est-ce un entêtement ? Et avons-nous besoin de cela ?

Rabah Reghis, Consultant et Economiste Pétrolier

Renvois

(01). Lire le rapport d’ANCRE juillet 2014

(02). Lire l’interview de Mme Hanoune El Watan du jeudi 19/02/2015

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Commentaires (4) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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rabah Benali

Bonjour

Affirmatif. Le gaz de schiste est une top priorité pour la survie de la secte des marocains d'Algérie et de leurs descendances. Le reste de la tragédie est techniquement claire comme de l'eau de roche. Rabah Benali.

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