Bigeard reconnaît à son tour l'exécution de Larbi Ben M'hidi
Dans une interview au quotidien suisse la Liberté le général Marcel Bigeard, chargé de conduire, sous les ordres de Massu, la bataille d'Alger (1957), lorsqu'il était colonel, a reconnu que le chef du réseau algérois du FLN (Front de libération national), Larbi Ben M'Hidi (en photo) a été exécuté.
Selon la version officielle française, Ben M'Hidi s'est suicidé. Cette version avait déjà volé en éclat lorsqu'en 2001 le général Aussaresses a raconté au Monde, dans ses moindres détails, l'exécution par pendaison de Ben M'Hidi, qui avait refusé de parler sous la torture.
Cet aveu de Bigeard est donc le second après celui d’Aussaresses. "Après l'avoir arrêté et interrogé durant huit jours, on lui a présenté les armes quand il a quitté mon poste de commandement. J'en avais fait un ami. Mes prisonniers étaient vivants quand ils quittaient mon quartier général. Et j'ai toujours trouvé dégueulasse de les tuer. Mais c'était la guerre et on devait trouver les bombes qui tuaient des civils."
Voici le texte intégral de l’interview :
Comment Bigeard le militaire devient-il, en 1957, Bigeard le flic?
L'intervention des parachutistes a été demandée par le commandement affolé. Les bombes sautaient tous les jours. Il y avait des morts, des blessés. Je dis alors à mes gars qu'ils étaient des superflics. J'ai aussi dit à mes hommes de se faire aimer de la population musulmane, de montrer leur force tranquille. Ça nous a permis de gagner. Les attentats ont stoppé et on a arrêté la majorité des terroristes.
Mais la France a perdu la guerre et a dû quitter l'Algérie.
De Gaulle a décidé de couper les ponts. En chef d'Etat. Reste qu'il a «déconné». On a laissé nos harkis1 se faire massacrer. Les pieds-noirs qui ont fait ce pays ont dû se sauver avec une valise à la main. C'est «dégueulasse».
Et vous, vous étiez pour ou contre l'indépendance de l'Algérie?
J'étais pour une Algérie nouvelle où nous aurions mis en place des élites musulmanes. Ma solution pour sortir de la crise aurait été de traiter avec nos ennemis. La paix des braves, quoi! Après la France aurait pu partir la tête haute. Moi, je les aimais bien les Algériens.
N'empêche, eux vous considèrent dans leurs livres d'histoire comme un tortionnaire qui a fait tuer des milliers d'entre eux.
(Il se braque sur sa chaise, les yeux en larmes) Vous voulez parler de torture. C'est un mot que je déteste...
Peut-être, mais c'est tout de même vous qui avez écrit le manuel de l'officier de renseignement, qui encourage l'emploi de la torture pour obtenir des informations...
(En colère) Evitez ce mot-là! En plus, ceux qui m'accusaient d'avoir torturé se sont rétractés.
Mais on vous accuse d'avoir eu recours à des interrogatoires musclés?
Ça oui. Je l'écris d'ailleurs dans mes livres. Vous savez, nous avions affaire à des ennemis motivés, des fellaghas, et les interrogatoires musclés, c'était un moyen de récolter des infos. Mais ces interrogatoires étaient très rares et surtout je n'y participais pas. Je n'aimais pas ça. Pour moi, la gégène2 était le dernier truc à utiliser. L'affection marchait beaucoup mieux.
Par exemple?
Larbi Ben M'Hidi, le chef de réseau du FLN à Alger. Après l'avoir arrêté et interrogé durant huit jours, on lui a présenté les armes quand il a quitté mon poste de commandement. J'en avais fait un ami. Je lui ai dit: «Si j'étais Algérien, j'aurais agi comme vous. Mais je suis Français, para et le gouvernement m'a chargé de vous arrêter.» Moi, j'étais prêt à organiser un truc avec lui pour éviter de faire verser plus de sang. Il aurait sûrement accepté parce qu'en fait, il voulait vivre libre. On aurait pu s'entendre.
Et le Gouvernement français l'a fait tuer?
Mes prisonniers étaient vivants quand ils quittaient mon quartier général. Et j'ai toujours trouvé «dégueulasse» de les tuer. Mais c'était la guerre et on devait trouver les bombes qui tuaient des civils.
Que pensez-vous du général Paul Aussaresses3 qui a avoué avoir procédé à des exécutions sommaires?
Aussaresses était un gars sans scrupule. Il était payé pour cela. Mais c'est aussi un con. Il aurait dû se taire.
Pourquoi? Il n'a pas dit la vérité?
Ce n'est pas ce que j'ai dit. Moi, tuer un type sans arme, comme Aussaresses, je ne pouvais pas. Lui, il pouvait.
Le général Massu a regretté la torture. Et vous?
Je ne regrette rien! Nous avons fait face à une situation impossible. On a fait notre boulot. Larbi Ben M'Hidi m'a dit que sans moi, Alger aurait été un nouveau Diên Biên Phu pour la France. Les gens qui jugent n'étaient pas sur le terrain.
1- Supplétifs algériens engagés de 1957 à 1962 aux côtés des Français.
2- Dynamo électrique manuelle utilisée pour torturer des personnes en leur appliquant les électrodes afin de faire circuler du courant dans le corps.
3- Coordinateur des services de renseignements de l'armée à Alger en 1957.
PROPOS RECUEILLIS PAR SID AHMED HAMMOUCHE ET PATRICK VALLELIAN
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merci bien
merci