Manifestations d’Alger : tout ça pour une caricature ? Allons donc…
Les manifestations d’Alger et ailleurs, excepté Constantine (moins d’une centaine de personnes), ont surpris par au moins cinq choses.
Par Hassane Zerrouky
Un, elles ont rassemblé plusieurs milliers de personnes. Deux, les mots d’ordre scandés comme le fameux "Alayha nahya oua aleyha na mout wa alayha nalqa Allah" (Pour l’islam je vivrai pour l’islam je mourrai et je rencontrerai Dieu), rappellent un autre temps (ils nous ont ramené 15 ans en arrière). Trois – cela frappe l’observateur averti – il ne s’agissait pas d’une simple réaction de colère, spontanée, comme certains cherchent à le faire croire, mais d’un mouvement organisé : les manifestants convergeaient de plusieurs mosquées squattées par les salafistes, dont une dans le quartier de Belouizdad où prêche le repenti Abdelfatah Hamadache (l’homme qui a demandé la peine de mort contre Kamel Daoud), vers le centre-ville d’Alger. Quatre : ces manifestations ont bénéficié d’une couverture médiatique presqu’en direct par Ennahar-tv. Cinq, les autorités ont laissé faire : on a même assisté à un remake de la fameuse marche d’octobre 1988, partie de la mosquée Kaboul de Belcourt : arrivés à la place du 1er Mai, les forces de police ont laissé passer les protestataires, exactement comme en octobre 1988 avant que cela ne se termine, à l’époque, dans un bain de sang devant le siège de la direction de la police nationale à Bab El Oued !
On notera que la manifestation organisée par les salafistes n’a pas été formellement interdite comme cela avait été le cas pour les forces démocrates en février 2012. A l’époque - j’y étais – le pouvoir politique n’avait pas hésité à mobiliser 30 000 policiers (sans compter les provocations des "baltaguias") pour empêcher la marche des démocrates et progressistes (un peu plus de 3000 personnes) réclamant des changements démocratiques : une interdiction qui avait dissuadé de nombreux Algériens de répondre aux appels des partis démocrates et de la société civile. Même cas de figure, en février-mars 2014, pour empêcher le mouvement Barakat d’exprimer son refus d’un quatrième mandat.
Face à cette situation, on ne peut être qu’interpellés par l’indulgence et la tolérance coupables dont ont fait montre vendredi dernier les autorités envers les salafistes. Certes, rétorquera-t-on, la police a fini par disperser à coups de matraque et de gaz lacrymogène les barbus. Mais, elle ne l’a fait que parce qu’ils se dirigeaient vers le siège de l’APN (Parlement), avant de tenter de rallier Bab El Oued, comme en octobre 88.
En résumé, tout s’est déroulé comme si les dizaines de milliers d’Algériens morts durant les années 1990 des tueries revendiquées par les islamistes – les fatwas, les documents écrits, visuels (vidéos) et sonores existent – n’avaient servi à rien. Il faut ajouter que la promulgation de la loi sur la paix et la réconciliation nationale a institué une véritable culture de l’oubli en interdisant formellement, sous peine de poursuites judiciaires, d’évoquer les crimes innommables dont se sont rendus coupables les dijhadistes ayant accepté de déposer les armes et qui sont de faux repentis : il ne leur était pas fait obligation de se repentir et encore moins de demander pardon à leurs victimes. Qui plus est, les autorités ont fermé les yeux – sans doute selon un accord non écrit – sur la possibilité de réoccuper les espaces et les mosquées. L’interdiction de la prière dans la rue a été levée ainsi que la liberté de prêche. Qui plus est, alors qu’on interdit de parole les porteurs de progrès et de modernité, les Hamadache, Chemseddine et consorts s’expriment librement, appellent à fermer les débits de boisson alcoolisées, à interdire les spectacles, à faire la chasse aux femmes qui ne portent pas le voile et à interdire le bikini sur les plages comme si la côte algéroise (ou oranaise) était comparable à la Costa del Sol espagnole !
En tout cas, le message délivré vendredi à Alger est clair : ce mouvement, qui est en train de se reconstituer sur les décombres de l’ex-FIS, n’a pas renoncé à l’Etat islamique.
H.Z.
N. B. Parenthèse : pourquoi les Hamadache, Chemseddine et consorts, n’ont-ils jamais lancé d’appels à interdire la chasse à l’outarde et aux gazelles (espèces protégées, menacées de disparition) pratiquée par les émirs des pétromonarchies du Golfe dans le sud algérien ?
Commentaires (16) | Réagir ?
Quelques boisseaux de journalistes parlent insolemment, au nom de la liberté et de la démocratie.
A vrai dire, tout comme ces salafistes, ils sont au service de l’état policier.
Il y a un Kouachi qui sommeille en vous, surtout avec un nom binational comme le votre. Faites-vous psychanaliser avant de passer à l'acte.
Je suis tès attentif à vos remarques et je suis réconforté de vos propos.
Ce qui s'est passé en France est quelque chose de nouveau et porteur d'avenir.
Les tentatives de détournement qui y font suite, surtout dans la presse et à la télé n'y changeront rien : nous avons vécu un moment aussi fort que spontané qui laissera des traces indélibiles.
J'espère que c'est là le début d'une prise de conscience de notre peuple. µUne question centrale se pose à ceux qui veulent un prolongement à ce mouvement : l'éducation populaire, car ce qui caractérise aussi bien ces jeunes qui sombrent dans l'extrémisme que ceux qui reprennent les propos racistes de "Marine La Haine" ont un point commun qui est le manque de culture et de connaissances.
Le combat de Jaurès n'est pas terminé, le quotidien l'Humanité existe encore mais il n'est pas beaucoup lu. Il nous faut cultiver, éduquer le peuple d'une éducation populaire, celle qui avait été lancée par nos aînés après la guerre et qui malheureusement a été peu à peu perdue.
Comprendre le monde dans lesquel nous vivons, pour intervenir dans le cours de nos vies.
Fraternelles salutations à tous.
Jean-Claude, fils d'un "Français" né à Oran en 1927.
La laicité plus que jamais si l'on veut concrétiser le "vivre ensemble".