Quand le Premier ministre français, Manuel Valls, reconnaissait les failles dans les services de renseignements de son pays, il ne faisait que constater les faits. Pour réaliser ces attaques à Paris, les assassins ont dû traverser plusieurs lignes de défense qui auraient dû être imperméables. Les erreurs du renseignement français qui ont mené aux 17 décès dans l’attaque de Charlie Hebdo et ses suites montrent que le dispositif de détection des personnes susceptibles de commettre des attentats est structurellement défaillant en ce pays. Tous ont échoué, que ce soit la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, celles de la Protection et de la Sécurité de Défense, du Renseignement militaire ou la Direction centrale du Renseignement intérieur. C’est donc un euphémisme poli qu’utilise le journal Washington Post quand il décrit la non-prévention de ces attentats comme une défaillance.

Ce n’est pas comme si ces événements n’arrivaient que très sporadiquement en France. Bien que Mohamed Merah ait été mis sur une liste d'interdiction de vol aux États-Unis depuis 2010, il y a tué en 2012 trois soldats, un rabbin et trois écoliers juifs. Il y a quelques mois, Mehdi Nemouche a assassiné froidement quatre personnes dans un musée juif à Bruxelles. De plus, les dossiers des trois assassins sont remplis de lumières rouges. Saïd Kouachi s'était rendue au Yémen en 2011 pour s'entraîner avec Al-Qaïda au maniement des armes. Le plus jeune des deux frères, Chérif, avait été condamné à trois ans de prison en 2008 pour avoir voulu devenir un jihadiste en Irak. C’est là qu’il a rencontré le troisième tueur.

Ce n’est pourtant pas les indicateurs de cette attaque qui manquaient. Le siège de Charlie Hebdo avait été détruit dans un incendie criminel en novembre 2011. Les caricaturistes et les rédacteurs du journal faisaient toujours l'objet de menaces. Malheureusement, la police française est dépassée par les événements et espionne tout le monde et sa mère au lieu de pister les bonnes personnes. Elle est incapable de prédire à quel moment un adepte des idées radicales va devenir un terroriste. Pourtant, quand des individus se promènent en Afghanistan et au Pakistan, ce n’est pas pour aller se faire bronzer sur une plage. La direction centrale du renseignement intérieur a donc beaucoup moins besoin d’ingénieurs dans le domaine des nouvelles technologies de l'information que de psychiatres qui pourront déceler les individus susceptibles de perdre leurs repères sociaux. Il faut pouvoir différencier le salafiste pieux du guerrier. Le premier pratiquera sa religion, le second l’imposera aux autres par des propos, des gestes haineux, l’exclusion, la radicalisation et des comportements discriminatoires.

En ce début de XXIe siècle, il ne suffit plus de savoir qui entre dans un pays. Les frontières n’existent plus pour la propagande. La journaliste Anna Erelle qui a piégé un djihadiste en se faisant passer pour une jeune étourdie de 20 ans a montré comment Internet peut être un outil de recrutement et de radicalisation. Le journaliste français Gurvan Kristanadjaja a même démontré que l’algorithme qui est à la base même du succès de la compagnie américaine Facebook peut transformer en trois jours un profil anodin en réseau djihadiste. L’Union européenne a conscience du problème et a demandé en octobre aux médias sociaux américains du net de lutter contre la propagande des extrémistes.

Il est déjà interdit de tuer des innocents en France. Passer des lois plus liberticides ne nuira qu’aux innocents et à la démocratie. Les nouvelles lois antiterroristes demandées seront des placebos qui ne serviront qu’à rassurer la population. La police ne doit agir que dans le cadre de la loi et ne doit pas arrêter les gens pour leurs opinions, qu’elle soit extrême ou non. Chaque attentat déjoué doit servir à mettre à jour le processus général utilisé. Les failles dans lesquelles se glissent les terroristes doivent servir à moderniser les services de renseignements.

Des données pertinentes peuvent cependant être cachées lors des transferts de renseignements entre les pays. Les espions pullulent dans les mouvements violents et leur règle d’engagement est floue. Dans le passé, des agents de plusieurs services de renseignements ont été dévoilés après avoir perpétré ou aidé des attentats dans des pays étrangers pour aider les intérêts du leur. Quand le chef du MI5, Andrew Parker, dit qu’en Syrie, Al Qaïda prépare des attentats à grande échelle en Occident, il y a fort à parier qu’il dispose d’informations de première main. Rappelons que l’égyptien Abou Hamza, l’imam de la mosquée de Finsbury Parc a Londres, est aujourd’hui aux mains le FBI américain. L’aide que l’Amérique du Nord propose aux enquêteurs français pourrait bien est plus intéressé qu’elle ne le laisse voir. Aucun ne veut voir ses agents exposés même s’ils sont en partie responsables des attentats de Charlie Hebdo. Les renseignements français feraient bien de ne pas trop faire confiance à leurs Alliés. Entre pays, il n’y a pas d’amis, que des intérêts.

Michel Gourd