Le politique optimiste, le peuple pessimiste et le pétrole alarmiste !

Abdelmalek Sellal et son chef, Bouteflika n'ont aucune vision stratégique pour l'Algérie.
Abdelmalek Sellal et son chef, Bouteflika n'ont aucune vision stratégique pour l'Algérie.

"L'optimiste est, en politique, un homme inconstant ou même dangereux, parce qu'il ne se rend pas compte des grandes difficultés que présentent ses projets ; ceux-ci lui semblent posséder une force propre conduisant à leur réalisation d'autant plus facilement qu'ils sont destinés, dans son esprit, à produire plus d'heureux". Georges Sorel

J’ai voulu commencer cet article par la citation de Georges Sorel parce qu’elle résume parfaitement l’Etat d’esprit de nos gouvernants, avec le chef de l’Etat à leur tête. La situation actuelle semble ordinaire à leurs yeux au point de ne voir, dans la situation économique mondiale, qu’un petit épisode sans aucune apparente signification. Ils pensent et disent qu’il s’agit tout simplement "de la routine des marchés financiers internationaux" !

Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, nous a informés que l’Algérie peut "tenir" facilement quatre ans même avec cette baisse des prix du pétrole ! Encore une fois, un politique qui a fait du mensonge et du paternalisme primaire un métier. Dans leur façon de concevoir l’économie, il y a tout simplement un déni de la réalité. On peut dire que leur cynisme dans la gestion économique n’a d’égal que leur avidité et leur soif de pouvoir.

Au fait, la baisse des prix du pétrole, qui dure depuis plusieurs mois, est devenue inquiétante en touchant un seuil très critique, notamment pour l’économie algérienne. Les "spécialistes" tabulaient sur un baril à 70 dollars US pour assurer l’équilibre budgétaire. Cela veut dire, selon cette "nouvelle sagesse", qui consiste à adopter un seuil rigide, qu’au-dessus de ces 70 dollars l’Algérie peut jouir de l’abondance de ses ressources, à l’abri du manque, et surtout qu’elle peut en gaspiller.

On se demande, d’ailleurs, comment peuvent-ils fixer un seuil en prenant l’économie nationale comme un élément endogène, c’est-à-dire sous d’autres facteurs influents qu’ils ne peuvent calculer en amont ? Mesurent-ils les changements relevant d’un contexte externe : variation des taux de change du dollar, baisse de la demande mondiale sur les hydrocarbures… ? Sinon en interne, prennent-ils en compte: la variation de l’inflation-déflation, le risque politique…? Impossible, pour résumer. Mais ces questions "techniques" nous intéressent peu ici ! Et nous allons prendre ce seuil comme une "évidence".

Cela veut dire, comme l’expliquent ces "spécialistes", qu’en dessous de ce seuil, l’Algérie va devoir faire appel à ses réserves de changes pour remédier à un manque de recettes. Dans ce cadre, on trouve le Fonds de Régulation des Recettes (FRR), qui a été le recours des autorités pour combler les déficits budgétaires de ces dernières années. Doté de 55 milliards de dollars, il peut encore "assurer" une couverture, du moins pour une période assez limitée. Mais les revenus qui l’alimentent vont automatiquement cesser si cette baisse des prix devient structurelle et non pas conjoncturelle. Chose forte probable, bien sûr !

Je tiens à rappeler que le FRR, depuis sa création en 2000, est mandaté pour réaliser deux principaux objectifs : 1) couvrir l’économie algérienne des variations des cours du pétrole et du gaz ; 2) financer des investissements nationaux de long terme. De ce fait, le FRR, qu’on peut considérer comme un fonds souverain, n’a pas un mandat l’autorisant à investir à l’étranger, ce qui le rend totalement différent des autres fonds souverains pétroliers de la région MENA.

Je précise, chemin faisant, qu’on ne peut savoir si cette baisse des prix du pétrole est conjoncturelle ou elle va durer longtemps, car ce genre de prédiction relève, avant tout, de la fiction. D’ailleurs, les meilleurs modèles économétriques restent inopérants sur ce genre d’évènement, du moins à court terme, vu l’absence quasi-totale d’informations ! Cela dit, par le simple fait qu’on n’a pas accès à la "cause des causes" de cette chute des prix, alors on ne peut y prédire sans tomber dans le jeu du hasard. Néanmoins, les quelques pistes dont nous disposons actuellement nous informent que les Américains sont très contents de cette chute des prix du pétrole. Chose que le sénateur républicain John McCain (un va-t-en-guerre, faut le rappeler), n’a pas pu garder longtemps en secret. Il va même féliciter le Royaume des Al-Saoud, qui produit 40% du pétrole mondial, pour son rôle dans ces récents évènements qui ont failli mettre à terre l’économie russe, dont la complication était la spéculation sur le rouble. Faut-il voir un lien ? Bien évidemment. D’ailleurs le ministre du Pétrole a affirmé récemment que le royaume saoudien ne va pas baisser sa production même pour un bail à 20 dollars !

Cependant, certains vont contester avec une autre hypothèse selon laquelle cette baisse va pénaliser aussi les producteurs américains de schistes. Très plausible comme hypothèse. Mais il ne faut oublier que l’administration américaine n’hésitera pas un instant pour soutenir et subventionner ces producteurs à tour de bras, si cela est nécessaire. J’ajoute à cela le fait que ces industriels forment des lobbys très puissants, que ne peut ignorer ni le Président ni les deux chambres des représentants. A supposer qu’il y ait une pénalisation réelle, on peut se demander si elle ne va pas faciliter la création d’un cartel plus puissant dans ce secteur, suite à la faillite des petits producteurs ?

Revenons à notre sujet, l’Algérie

Il faut signaler, quand même, que la moyenne des prix du baril de pétrole pour l’année 2014 est au tour de 81 dollars, d’après les calculs du Pr Abderrahmane Mabtoul. Ce dernier a tracé – à juste titre – un tableau alarmant de la situation budgétaire en Algérie. Mais on n’arrive pas trop à suivre ses analyses avec tous ces chiffres qui s’insèrent partout!

En tout cas, cette moyenne de 81 dollars veut dire, pour le gouvernement actuel, que l’économie algérienne n’a pas encore touché le fond de l’abîme. Il y a encore des marges de manœuvres, disent-ils. Cependant, permettez-moi de faire un saut dans la récente histoire de notre pays ; allons 30 ans en arrière : "En 1984, la baisse du prix des hydrocarbures grevant les recettes de l’Etat, les arbitrages gouvernementaux se sont régulièrement orientés vers la compression des grandes masse, facile à manipuler de façon autoritaire, des dépenses courantes des administrations […] et des subventions à la santé et à l’éducation. Ces économies sur la qualité et sur l’efficacité du service public évitaient de prendre des mesures qui touchent aux privilèges." (L’Algérie, la libération inachevée, Ghazi Hidouci, p.210)

On voit bien que la situation politico-économique de l’Algérie n’a pas trop changé depuis tout ce temps. Mais pour enfoncer un peu plus le clou, regardons l’Algérie de 1986 et faisant une simple projection pour 2016 :

"Lorsque, en 1986 [2016], le pouvoir, surpris par la baisse des prix du pétrole, a été forcé de s’engager dans le débat sur la réforme de la gestion et de l’économie, les marges de manœuvres étaient importantes. Les projets, les compétences à tous les niveaux existaient qui auraient permis à l’Algérie de s’en sortir. Mais, géré directement par le président, son cabinet et leurs clientèles dans le parti, le syndicat et le secteur économique, l’appareil de contrôle politique faisait barrage à toute évolution structurelle." (Ibid., p. 265)

En arrivant là, je peux anticiper la question de mes lecteurs, à savoir : Et quoi faire ? Voilà ce qui hérite de plus la majorité des intellectuels algériens. J’en parlais ailleurs de ce qu’on doit faire, mais je ne vais pas trop tarder sur cette question que traitent largement nos spécialistes et disponible sur internet.

Cependant, parmi les solutions qu’on peut préconiser il y a notamment l’importance de l’Homme vivant. Il ne faut jamais perdre de vue que c’est juste l’Homme et uniquement l’homme qui est la force motrice de toute économie. Werner Sombart disait : "Ce sont les Américains qui conçoivent de la manière la plus adéquate l’essence du capitalisme. [...] Ce ne sont ni la firme, ni la famille, ni le capital, mais c’est, en dernière analyse, l’individu qui est considéré comme la force motrice de l’économie". Le véritable problème est que les instances qui gouvernent le pays ne veulent pas mettre l’économie sur les rails de développements comme l’ont fait d’autres nations. Le meilleur exemple qu’on peut citer est la fuite de nos "cerveaux" où l’Etat ne fait rien pour en remédier à ce fléau. Au contraire, il fait tout pour les décourager, parce qu’un éventuel retour de ces compétences peut menacer sa position actuelle.

Une économie nationale forte est un risque pour cette élite corrompue, car elle est la seule à gagner avec ces importations qui inondent le marché Algérien. Les importateurs, souvent des pantins qui cachent des généraux, ne peuvent accepter un partage loyal et équitable de profits. Ils ne vont pas hésiter à mettre tous les entraves possibles pour empêcher l’essor de l’économie nationale. Pour illustrer mes propos: la première entreprise privée algérienne, Cevital en l’occurrence, ne trouve pas vraiment un fort appui de la part de l’Etat Algérien. Même si elle est une des grandes multinationales africaines, mais sans l’intervention et l’aide du gouvernement, elle aura du mal à trouver des marchés extérieurs. Or l’Etat doit soutenir les entreprises privées dans leur quête des marchés internationaux.

L’Algérie, vu sa position économique actuelle, est devant un carrefour dangereux qui ne lui laisse pas beaucoup de choix. Soit elle crée son propre modèle économique, chose très difficile mais pas impossible, soit elle suit un modèle déjà établi. Elle possède les capacités et les moyens nécessaires pour créer son propre modèle de développement loin de toute tendance extrême. Loin du libéralisme anglo-saxon et loin du communisme soviétique.

A cet effet, je pense que les économistes institutionnalistes vont nous être utiles dans la prochaine phase de transition, inévitable. Il serait plus raisonnable de faire appel à eux et non pas aux libéraux qui ne savent recommander que la libéralisation sauvage de l’économie pour en faire une jungle économique. Alors, plutôt que de penser au marché, pensons à la société et à la place des bénéfices individuels, concrétisons la solidarité entre les individus …

Pour en finir. Au lieu de chercher un personnage politique sur lequel on peut facilement cracher, comme le chef de l’Etat, nous devrions regarder plus loin que ça. C’est trop facile de résumer tous les problèmes de l’Algérie à une seule personne ! Cependant, le problème de l’économie algérienne réside, comme l’explique fort bien l’ancien ministre de l’économie, Ghazi Hidouci, dans les institutions de l’Etat. Le problème est institutionnel. Les solutions que nous devons chercher relèvent plus du politique que de l’économique. Et comme disait J.K. Galbraith: "On ne peut faire de l'économie en la séparant de la politique".

Nabil de S’Biha

Universitaire

Plus d'articles de : Politique

Commentaires (3) | Réagir ?

avatar
DSP djaidjaa

merci

avatar
klouzazna klouzazna

Un pessimiste n'est qu'un optimiste qui a de l'expérience !!!... souvent amère !!!

visualisation: 2 / 3