On ne tue jamais Voltaire !
"A quoi sert la poésie si ce n’est pour cette nuit où un poignard vous transperce, pour ce jour, pour ce coin brisé où le corps frappé de l'homme se dispose à mourir". Pablo Neruda (1904-1973), poète chilien
Un intellectuel, un homme de pensée ou une plume peuvent-ils mourir ? La plume n'est-elle pas la propriété exclusive de ce oiseau libre qui survole les cieux avec ses ailes et ses rêves ? Est-il possible de tuer les idées d'un homme par l'ignorance, l'intolérance et la violence ? Pourquoi régresse-t-on à ce rythme inquiétant en Algérie au point de condamner les lumières pour une impardonnable apostasie dès qu'elles osent apporter un éclairage sur le nœud de nos égarements, nos perditions, nos renoncements, nos erreurs et nos échecs ? Il serait peut-être vain de se poser autant de questions pour comprendre le misérable traquenard dont on est victimes car les dégâts sont déjà faits et planifiés de longue date et la blessure est si profonde qu'elle empeste tout notre corps. On regarde l'espoir se faner dans les vapeurs de la nuit, on prend la liberté en aversion, on oppose un déni à la réalité, on falsifie les statistiques, on dénigre la raison, on détruit l'école, on assassine la culture, on se range du côté du conformisme mi-religieux, mi-matérialiste, on gratte la vérole et l'eczéma sans jamais penser à soigner notre peau. Bref, on se berce de l'hypocrisie à toutes les échelles, bernés par le flou social, économique, religieux, identitaire.
Notre maison est un capharnaüm poussiéreux, miteux, glauque et délabré dans laquelle des araignées se nichent partout pour tisser les toiles de nos contradictions. On ne sait rien faire chez nous, on importe tout de ceux qui nous ont jadis colonisés et que, par un sursaut de dignité, on a dégagés. Puis, pour nous nourrir, on leur tend aujourd'hui la perche, les bras croisés et les cerveaux en panne. Et par un concours de circonstances kafkaïen, on attend la baraka divine, serments et versets à l'appui, les yeux rivés vers la mosquée d'Alger, la plus grande du monde, sponsorisée par la république mais construite par les Chinois, les Canadiens et les Allemands ! Triste est ce pays qui fait fuir sa jeunesse, au péril de sa vie, par des embarcations de fortune vers l'eldorado européen, où les âmes sont emplies de haine, aguerries au double-je, double-jeu et double-discours. Cette Algérie qui en ce 2014 s'est fait railler par les burkinabés à cause de sa rentrée printanière dans le Guiness des insolites planétaires!
Mais revenons-en à l'essentiel, une plume peut-elle être mise en cercueil ? Non et mille non. Amateur de la gymnastique historique, j'en invoque un événement d'une rare pertinence. En 1961, la guerre d'Algérie fut à son paroxysme, Jean-Paul Sartre (1905-1980), le philosophe juif, athée, et libertin prend fait et cause pour les algériens musulmans, ces indigènes pouilleux, va-nu-pieds, déclassés, et damnés de la terre en soutenant le réseau Jeanson et "le Manifeste des 121" des fameux porteurs de valises contre "l'establishment" militaro-médiatique de toute la Ve république. Son courage légendaire lui attira les foudres de l'armée qui voulait l'emprisonner et l'assassiner. A ce moment-là, le général de Gaulle (1890-1970), celui qui a sauvé la France et le monde libre du nazisme hitlérien et du fascisme Mussolinien, intervint, en lançant sa célèbre phrase, : "On n'arrête pas Voltaire". Voltaire ! Le pourfendeur de l'intolérance religieuse dont le nom est associé à l’affaire Calas, fameuse dans l'histoire, un symbole parmi d'autre de la conciliation entre le libre-arbitre et la foi. Autrement dit, on ne tue pas la pensée, et la liberté de conscience de ces belles âmes auxquelles, de nos jours, un homme de la trempe du chroniquer Kamel Daoud appartient. Celui-ci aura porté outre-mer par son sens de la formule, son audace, sa lucidité, l'originalité de ses analyses et son engagement auprès de la jeunesse, les couleurs de notre pays au moment où le désespoir et le fatalisme semblent être le credo privilégié de ceux qui nous gouvernent. A mon tour, je dirais de vive voix : "On ne tue jamais notre Voltaire algérien".
Kamal Guerroua
Commentaires (4) | Réagir ?
on tue tous les jours Voltaire dans les bleds arabes et musulmans
Un fantasme de phallocrates, tout ce qu'ils ne possédent pas en puissance réelle ils le déposent en hauteur de minaret que des Chinois viendront leur construire. Tout ce qu'ils ne possédent pas en grandeur réelle ils l'exhibent en phallus de béton que les Chinois viendront leur planter contre un milliard de Dollars pour cacher leur handicap millénaire. Ce n'est pas dénué de sens lorsque Kateb Yacine avait déclaré : Je me demande à quoi servent ces fusées qui ne décolleront jamais.