La pomme de terre : pilier de la sécurité alimentaire (II)
La semence est le tendon d’Achille de toute activité agricole dans le cas de la pomme de terre son importance est plus que vitale pour plusieurs raisons. Dans ce qui suit, avec le souci de transmettre en termes simples des éléments de réflexion qui permettent d’apprécier les principes de la problématique et sa complexité, il est nécessaire de donner une dimension du problème, et de vous soumettre involontairement à une lecture fastidieuse, mais utile.
3)- La moitié du prix de revient va au locataire
Nous savons que la semence de pomme de terre n’est pas une graine, mais un tubercule (tetrapoïde) issu d’un tubercule mère. En quelque sorte c’est un clone, donc génétiquement identique au parent. Sauf que c’est un grand couloir de transmission de maladies, qu’il faut éviter de propager en les replantant. La question qualité (pureté variétale) est tout de suite mêlée l’état sanitaire de la semence. L’Algérie en importe la quasi-totalité de première saison (plus de 120.000 tonnes en 2012), que nous n’avons pratiquement pas les moyens de contrôler. Le pays produit la totalité pour l’arrière saison, par des privés sensés être contrôlés par l’Etat. Autrement dit nous ne savons pas avec quoi nous sommes entrain de contaminer les sols. Si on s’arrête ici, on apprend qu’une industrie semencière s’était mise en place dès 1940, lorsqu’à cause de la 2em Guerre Mondiale, le territoire algérien s’est vu refusé l’importation de semences de la métropole. En quelques années, dès 1946 la production se réalisait avec de la semence à 100% locale, évidemment totalement contrôlée !
Et c’est à ce moment que l’on s’est rendu compte que les semences récoltées sur les Hauts-Plateaux à des altitudes supérieures à 800 ou 900 mètres pouvaient êtres utilisées pour les plantations des plaines littorales et y donner des résultats intéressants, égaux, voire supérieurs à ceux obtenus avec des tubercules d'importation de même variétés !!
Nous ne pouvons pas parler de ce qui nous tient par le ventre sans oublier cette maladie qui l’accompagne depuis 1844, lorsque le mildiou fut importé du Mexique. Ce redoutable champignon s'adapte au bout de trois à cinq ans au traitement, avec le temps il est loin de faiblir, il se montre de plus en plus agressif. Il infecte la chair du tubercule et l'année suivante, la contamination repart de tubercules infectés utilisés comme semence, restés dans le sol. Aujourd'hui encore, dans les pays producteurs on traite beaucoup, de 15 à 20 fois par an. Malgré cela, si les conditions sont favorables, le mildiou a souvent le dernier mot. Face à de tels échecs, certains pays ont opté pour les OGM, en parlant non pas de transgenèse mais de "cisgenèse", pour contourner la réglementation. A titre illustratif ses dégâts (plus de 50% de perte sur récolte) coûtent de nos jours 120 millions d'euros par an en temps, en pesticides et en machines, et 25 millions de pertes, aux hollandais. Pour mesurer l’envergure de potentiel de destruction, l’histoire nous parlera de l’Irlande, lorsque la pomme de terre y occupait une position prépondérante donc stratégique dans l’alimentation. Dans ce pays, cette plante était devenue la nourriture presque exclusive, trois mauvaises récoltes de suite (de 1846 à 1849) provoquèrent l’effroyable famine, de 1 million de morts (Hiroshima 70 000 morts), et d’un autre million d’exilés. Ou encore «la révolution des pommes de terre», à Berlin (1847) lorsque le prix du tubercule atteint la moitié du salaire quotidien d'un ouvrier.
Tout ce ci ne nous laisse pas douter des capacités de nuisance de ce redoutable parasite contre lequel nous n’avons adopté aucune stratégie de lutte, cause chaque année d’énormes pertes sur les rendements. Il renforce la nécessité de développer après 50 ans une industrie locale de production de semences. Surtout qu’il faut savoir qu’une variété peut regrouper des qualités dans un écosystème pour lequel elle a été sélectionnée, et les perdre dans un autre milieu. Si nous voulons gagner notre sécurité alimentaire de façon durable, ces réalités techniques nous condamnent à produire notre propre semence comme ça a été fait en 1946.
Les rendements sont directement liés à la qualité de la semence choisie, et des degrés de technicité intégrée au processus de production, ou de la qualité des techniques culturales appliquées par l’agriculteur qui est au bout de la chaîne. En Algérie, l’hectare produirait une moyenne de 210qt, le faible rendement fait que l’on produise au plus fort coût. L’écart montre le caractère d’une économie de production artificielle (Tab-2) dépourvue de tout bon sens. Des résultats pareils sanctionnent tout le circuit de production, surtout si on apprend, tenez vous bien, qu’en 1910, les rendements atteints étaient de l’ordre de 452qt, c'est-à-dire plus que le double de ceux d’aujourd’hui, avec des moyens incomparables !!
Pourtant nous sommes tous témoins que le colon en quittant l’Algérie n’a pas emmené les terres agricoles avec lui !
Question: ce serait quoi le rôle de ces institutions d’appui à la production ?
Le stockage et la conservation
Le ministère de l’Agriculture a mis en place en 2008 le Système de régulation des produits agricoles à large consommation (Syrpalac). Il intervient donc en aval de la production. Les performances sont celles d’un d’organe administratif qui fonctionne avec des réflexes bureaucratiques, dans un contexte national sont trop connues pour en parler. La gestion d’un système biologique qui ne tient pas compte des jours fériés, du ramadhan, des congés…, complique d’autant plus la tâche. Les pôles de production, de consommation, les zones de stockages, les périodes de production,…, sont tous étalés dans le temps et l’espace. Tous ces facteurs obéissent aussi à des fluctuations parfois imprévisibles. La régulation des prix commence par la synchronisation entre tous ces paramètres (production, transport, stockage….) avec une efficacité optimale pour répondre à tout moment et en tout lieu aux besoins de la consommation. L’idéale serait que le Syrpalac, fasse tout ce travail en flux tendu, c'est-à-dire quasiment sans avoir à stocker.
Est-ce possible, en théorie oui, puisque comme on l’a cité plus haut, en Algérie les zones climatiques nous permettent une production tout au long de l’année, un atout non valorisé pour un pays en manque de terres agricoles. Pour cela il faut qu’il y ait des interlocuteurs crédibles de part et d’autre de la chaîne de production, et ce n’est le cas pour aucun des acteurs. Le Syrpalac ne peut exercer de pression sur les animateurs des circuits de production, de stockage et de distribution, encore moins sur les prix. Même animé par la meilleure des volontés, avec des moyens de stockage dérisoires, en périodes critiques il s’avère d’une inefficacité évidente, remettant sérieusement en cause son utilité. A titre indicatif, Boumerdes placée première à l’échelle nationale en matière de stockage de la pomme de terre ses capacités n’ont pas dépassé quelques jours de consommation (14 000 tonnes/jours) nationale. Pour couronner le tout ; comme on le sait tous, le stockage en chambres froides répond à des règles particulières, mais celles ci ne sont quasiment jamais respectées. Il arrive souvent de rentrer dans des chambres dépourvues de thermomètre, où la ventilation…, sont aléatoires, le poulet peut côtoyer la pomme, la poire, la patate… Selon des membres du Cnif, en Algérie, il n’existerait que deux vrais conditionneurs de pomme de terre, avec ça il arrive qu’au moins 30% de la production soit carrément jeté! Quand on réalise que ces 30%, sont arrivés au stade de produit fini, ont consommé de l’argent sur tout le circuit. Ils ont été achetés à l’état de semence, sur lesquels on a dépensé, engrais, préparation du sol, pesticides, eau, main d’œuvre…, pour finir dans une décharge. Il n’est pas possible de prétendre gérer, quand sur une mesure de 100 on réalise une erreur de 30. Que faut-il de plus pour être convaincu qu’il est inadmissible que ce là puisse continuer à fonctionner ainsi ?
Il faut absolument arrêter ce massacre. Comme on le sait, toute la filière vit dans l’informel, depuis la semence jusqu’à la conservation, c’est le secteur privé qui détient les rênes. Séparément, ni le producteur ni l’Etat (Syrpalac) ne sont actuellement capables de gérer la demande nationale, dans les conditions actuelles (absence de professionnalisme, faiblesse des institutions étatiques…), il leur est tout simplement impossible de travailler ensemble. Enfin on ne peut pas parler de l’agroalimentaire puisqu’il n’existe pas. Même si ce secteur n’est pas à notre portée, il faut tout de même savoir que l’Egypte a exporté en 2004, plus de 18 000 tonnes de produits dérivés congelés, et que depuis 1995 ce pays a multiplié ses exportations par 13 !
Au début de cet exposé, nous avons voulu montrer comment la pomme de terre s’est imposée dans l’alimentation humaine ces deux derniers siècles. Comment elle a soutenu les croissances démographiques et économiques. Pour l’algérien c’est le deuxième aliment après les céréales qui sont quasiment entièrement contrôlées par des institutions étatiques. Si les structures de régulation des céréales sont en partie le bénéfice d’un héritage colonial, nous nous rendons compte qu’à ce jour pour la pomme de terre aucune structure fiable n’a été conçue. La gestion de cette culture, montre qu’il y a confusion entre le maintien de la paix sociale, et une politique de développement agricole.
En Algérie la pomme de terre n’a pas dit son dernier mot, il ne faut pas oublier que nous sommes en phase ascendante de consommation. Vu le retard que nous avons pris en terme de développement agricole, elle devient l’élément sans lequel on ne peut accéder à la sécurité alimentaire.
Sofiane Benadjila
Ingénieur agronome et militant des droits de l’homme
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- Maghrebemergent : En pleine saison, le prix de la pomme de terre atteint des sommets en Algérie. A.Bouziane 27/05/2014.
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- L’Expression : La pomme de terre sous les feux de la rampe. Comme une star !
M.TOUATI : Sacrée patate! Devenue une arme de destruction massive entre les mains d’une mafia- 28/10/ 2014.
- El Watan : Envolée des prix de la pomme de terre. Des groupes de spéculateurs dictent leur loi ! 20 /10/2014.
- El Watan : Mostaganem; perspectives pour la transformation de la pomme de terre. 11/12/2013.
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- El Watan : La mafia de la pomme de terre sévit en toute impunité. 28/03/2012.
- El Watan : la pomme de terre s’invite aux législatives. 15/03/2012.
- Le Courrier d’Algérie : Où est donc l’Etat? 16/01/2010.
- Le Quotidien d’Oran : les prix à 100 DA le kilo est déjà dépassé dans les marchés d’Oran. 13/03/2012.
- El Watan : La pomme de terre est devenue un luxe…15.03.2012.
Lire 1e partie : La pomme de terre : pilier de la sécurité alimentaire (I)
Commentaires (2) | Réagir ?
merci
Les historiens vous diront que trois aliments ont sauvé l'humanité de la famine à travers les temps : la pomme de terre, le riz et la viande de cochon.