Quelles perspectives pour le sommet Afrique-Turquie ?
Suite à la résolution de l’Union africaine (UA) en 2008, où la Turquie était devenue le partenaire officiel, l’Afrique étant devenue un centre attractif d’investissement étranger IDE avec un taux de croissance de 5% au cours des dernières années. le deuxième sommet Afrique-Turquie se déroulera à Malabo (Guinée Equatoriale) afin de renforcer le partenariat gagnant-gagnant entre la Turquie et l’Afrique.
Selon les données officielles, le volume des échanges commerciaux avec l’Afrique a atteint 23 milliards de dollars en 2013, contre 9 milliards de dollars en 2005. A titre de rappel, le volume des échanges entre l’Algérie et la Turquie est de 5 milliards de dollars (2 milliards d’exportation pour la Turquie et 3 milliards d’exportations pour l’Algérie, l’ambition étant d’arriver à 10 milliards de dollars horizon 2017. Mais alors quelles sont les perspectives du sommet Turquie/Afrique et plus généralement du développement de l’Afrique ?
1.- Quelques indicateurs de l’économie turque
La Turquie recouvre 780 576 km², sa population étant estimée à 75,6 millions d’habitants en 2013, le FMI avec comme capitale Ankara, plus de 4 millions d’habitants. Son produit intérieur brut est pour 2013 d’environ 820 milliards de dollars (projection 841 pour 2014) soit presque deux fois celui de l’ensemble des pays du Maghreb dont la population voisine 90 millions d’habitants. Le stock de dette externe (dette brute) représentant 47,3% du PIB en 2013 (contre 43% du PIB en 2012) majoritairement détenu par le secteur privé, et sa dette publique selon le FMI est passée de 42,92% en 2011 à 36,3% en 2013, le taux de chômage avoisine 9% et l’inflation à 7%. Les exportations turques ont atteint 151,8 milliards de dollars en 2013 et les importations ont été de 251,6 milliards de dollars en 2013, le déficit du commerce extérieur de la Turquie ayant augmenté de 18,7% par rapport à 2012, s'élevant à 99,8 milliards USD, sous l'effet de des l’accroissement importations qui ont bondi de plus de 150% au cours de l'année (destinées à l'Iran pour régler les importations de pétrole et gaz sans passer par les circuits bancaires). Le tourisme représente 4% du PIB avec environ 31 millions de touristes par an, et près de 22 milliards USD de bénéfices, constituant ainsi l'une des plus importantes sources de devises pour le pays ainsi que le secteur automobile avec une augmentation de l’exportation de voitures de 11,8% en glissement annuel à 21,305 milliards de dollars. Les exportations de la Turquie vers les pays de l’Union européenne ont augmenté de 7% à 61,9 milliards de dollars et les exportations vers le Moyen-Orient sont également en hausse de 2% à 27,5 milliards de dollars, selon les derniers chiffres. Concernant les investissements directs étrangers, les flux ont ralenti depuis 2012 dans le contexte de la crise de la zone euro. En 2013, ils se sont élevés à 12,866 milliards USD, contre 13,224 milliards de dollars en 2012 selon le rapport de la CNUCED, 2007 ayant été l’année du pic avec 22,047. De 2002 à 2012, le PIB par habitant a été multiplié par deux et s’établit en 2013 à environ 11.000 dollars existant encore bon nombre d’entraves administratives mais les réformes structurelles sont engagées. Selon la banque mondiale les démarches administratives pour ouvrir une société ont été réduites, faisant passer le processus de création de 19 à 6 jours (contre une moyenne de 12 dans l’OCDE).
Parallèlement, une ouverture massive des frontières a été entreprise, réduisant le nombre de pays nécessitant un visa, et simplifiant grandement l’obtention de ceux-ci. L’entrepreneur est un héros national, magnifié par les publicités et choyé par les politiques. Les privatisations des ports, aéroports et compagnies aériennes ont permis l’émergence de conglomérats puissants et compétitifs qui gagnent de nombreux contrats à l’étranger. Bien que diversifiant ses échanges (proche et Moyen Orient 23,4%, l’Union Européenne représente 41,5% de ses exportations en 2013, rendue possible par la dévaluation de la livre turque (entre janvier 2013 et janvier 2014 de 30%, mais avec des tensions inflationnistes au niveau intérieur. Ses principaux clients sont l’ Allemagne (9%), l’Irak (7,9%), le Royaume-Uni (5,8%), la Russie ( 4,6%) ; l’Italie (4,4%)et la France (4,2%) et ses principaux fournisseurs pour la même période la Russie (10%) ; la Chine (9,8%) ; l’Allemagne (9,6%) ; les Etats-Unis (5%), l’Italie (5,1%) ; l’Iran (4,1%) et France (3,2%). L’agriculture contribue à 9,4% du PIB, l’industrie 25% et les services 65,6%. Actuellement le volume des échanges est estimé à 23 milliards de dollars. La Turquie espère porter son volume d'échange commercial avec l'Afrique à 50 milliards $ d'ici 2018. La Turquie est la 17e puissance mondiale et affiche l’ambition de se hisser à la 10e place en 2023, année du centenaire de la République, ce qui suppose un taux de croissance de plus de 10% chaque année entre 2015/2020. Mais n’oublions pas les rivalités USA-Chine pour contrôler l’Afrique n’existant pas de divergences stratégiques pour cette domination entre les USA et l’Europe.
En 2013, les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine ont totalisé 210 milliards de dollars, plus du double de ceux entre les Etats-Unis et le continent (85 milliards). Il y a vingt ans, 80% du commerce de l'Afrique subsaharienne se faisait avec ses partenaires traditionnels en Europe et aux États-Unis. Aujourd'hui, c'est moins de 50% et l'autre 50%, avec les marchés émergents en Chine, au Brésil, en Inde. Les Etats-Unis, première économie du monde, sont le troisième partenaire économique de l’Afrique, après l’Union européenne.
2. L’Afrique, continent à fortes potentialités, enjeu du XXIe siècle
L’Afrique couvre 30,353 millions de km2. La population est passée de 966 millions d’habitants en 2009 à 1 075 millions, mais sept pays regroupent 51% de la population. En 2020, la population africaine devrait passer à 1,3 milliard et à 2 milliards en 2040. Il existe non pas une Afrique mais des Afriques. Certains pays notamment le Nigeria, le Gabon, le Tchad, la République démocratique du Congo, l’Algérie, la Libye sont spécialisés dans le pétrole, le gaz et les matières premières, qui connaissent une forte demande et un prix élevé sur le marché mondial leur permettant une relative aisance financière mais artificielle en fonction des cours mondiaux et donc de la croissance de l’économie mondiale notamment des pays développés et émergents.
Certes, le taux de croissance ces dernières années en Afrique noire dépasse les 5% et existe un avenir promoteur comme l’atteste le rapport de COE-REXEcode. Le PIB en milliards de dollars PPA estimée à 2712 serait d’environ 19.287 milliards de dollars US (10,4% du PIB mondial) approchant le PIB de l’Europe estimée horizon 2035 à 21.911 milliards de dollars devançant toutes les économies de l’ex bloc soviétique y compris la Russie. Pour l’instant, selon l’IRES de Paris, l’Afrique représente seulement 1,5% du PIB mondial, 2% du commerce mondial et 2% à 3% des investissements directs étrangers. Selon un rapport de la Banque africaine de développement (BAD-2013), le commerce interafricain n’est que de 15% sur tout le continent, les échanges intermaghrébins représentant également moins de 3%. Les raisons sont multiples : manque de capitaux, d’infrastructures et mauvaise gouvernance. Sans compter les taxes douanières qui coûtent très cher. Tous ces problèmes de logistiques associés "au manque de compétence des ressources humaines constituent un sérieux frein à la fluidité des échanges alors qu’une entreprise a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée". Certes, des organisations telles que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ou la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (Ceeac) existent. Mais plusieurs dissensions entravent leur bon fonctionnement. Se pose essentiellement le problème de la sécurité et de la stabilité des Etats qui doivent se fonder sur des valeurs démocratiques. Et là se pose la problématique des tensions au Sahel. Nous avons assisté dans la région à de profondes mutations de la géopolitique saharienne après l’effondrement du régime libyen, avec des conséquences pour la région. Il existe par ailleurs la barrière de la langue et de la culture entre les pays de la zone francophone et anglophone qui ne facilite pas le développement de l’intégration régionale. Et surtout l’importance du poids de l’informel en Afrique, variant selon les pays, mais dépassant d’une manière générale 50% à 60% de la superficie économique pour certains pays employant plus de 70% de la main-d’œuvre. Selon le Bureau international du travail (BIT), ce secteur fournit ainsi 72% des emplois en Afrique subsaharienne, dont 93% des nouveaux emplois créés, en comparaison du secteur formel qui n’emploie que près de 10% des actifs sur le continent. Au Maghreb (voir notre étude réalisée sous ma direction pour l’Institut français des relations internationales, Paris -IFI décembre 2013), elle dépasse les 50% de la superficie économique. Rappelons que déjà, le 23 octobre 2001, au sommet de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) qui s’est tenu à Abuja, trois chefs d’Etat africains, constatant l’échec de tous les efforts fournis en matière de développement en Afrique, ont pris l’initiative de proposer une nouvelle approche dans le traitement des problèmes que vit le continent. Cette initiative a été une synthèse entre deux plans : celui de l’Algérie et de l’Afrique du Sud appelé «Millenium African Plan» (MAP) et celui du Sénégal (permettant à la France de se positionner) dénommé plan Omega. Ces deux plans sont fusionnés pour donner la «Nouvelle initiative africaine» (NIA). La NIA prendra plus tard le nom de «Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique» ou Nepad (de l’anglais «New Partnership for African Developpment»). Le Nepad avait été conçu pour faire face aux difficultés que connaît le continent africain actuellement. L’objectif au départ du Nepad était par exemple de traduire en actes concrets notamment le problème de l’eau et de l’énergie. L’enjeu du développement de l’agriculture qui devait reposer plus sur les cultures vivrières est un enjeu majeur du continent. Force est de constater que le bilan est très mitigé. Force est de constater que le bilan du NEPAD est mitigé.
3. Une nouvelle gouvernance s’impose pour l’Afrique
Pour analyser les blocages en Afrique, on ne peut isoler les facteurs économiques des facteurs politiques. Le rapport conjoint BAD-GFI diffusé le 29 mai 2013 met en relief le fait que l’Afrique a pâti de sorties nettes de fonds de l’ordre de 597 milliards de dollars à 1 400 milliards de dollars, entre 1980 et 2009, après ajustement des transferts nets enregistrés pour les flux financiers sortants frauduleux, et que la fuite des ressources hors de l’Afrique au cours des trente dernières années – l’équivalent du PIB actuel de l’Afrique – freine le décollage du continent. Ainsi, les dirigeants africains portent une lourde responsabilité devant leur population et doivent favoriser l’Etat de droit, la bonne gouvernance, donc, la lutte contre la corruption et les mentalités tribales, la protection des droits de l’Homme et s’engager résolument dans la réforme globale, donc la démocratisation de leur société tenant compte de l’anthropologie culturelle évitant de plaquer des schémas déconnectés des réalités sociales. Le développement de l’Afrique sera profitable à l’ensemble des autres espaces économiques évitant cette migration clandestine avec des milliers de morts. Dans le cas contraire, il est à craindre des crises politiques à répétition. Bon nombre de citoyens africains traversent une crise morale du fait du manque de valeurs au niveau du leadership avec le danger d’une polarisation de la société. Le fossé entre les riches et les pauvres devient de plus en plus grand. L’écart de revenus renforce les inégalités en matière de richesse, d’éducation, de santé et de mobilité sociale. Je mets en garde contre les conséquences pernicieuses du chômage. Cependant, évitons la sinistrose, malgré des conflits, nous enregistrons récemment une prise de conscience des citoyens africains et de certains dirigeants de l’urgence d’une nouvelle gouvernance. C’est ce qui explique que parallèlement au sommet des chefs d’Etat, se sont tenus entre 2009 et 2014 plusieurs forums économiques regroupant plusieurs centaines de personnalités africaines et des deux rives de la Méditerranée, afin de dynamiser le développement de l’Afrique dans le cadre de co-partenariats et des co-localisations. La nouvelle réunion qui se tient avec la Turquie en ce mois de novembre 2014 n’en est que le prolongement, et doit tenir compte de la rivalité du couple Etats-Unis/Europe –Chine pour le contrôle économique de ce continent vital. L’erreur fatale serait d’opposer en ce XXIe siècle les Etats-Unis et l’Europe qui ont le même objectif stratégique, bien qu’existant certaines rivalités tactiques de court terme, la stratégie des firmes transnationales tendant à atténuer les divergences et uniformiser les relations internationales.
Ainsi, l’Afrique, pour peu que les dirigeants dépassent leurs visions étroites d’une autre époque, a toutes les potentialités pour devenir un grand continent avec une influence économique dans la mesure où en ce XXIe siècle l’ère des micro-Etats est révolue et que la puissance militaire est déterminée par la puissance économique. Pour cela, des stratégies d’adaptation au nouveau monde sont nécessaires pour l’Afrique, étant multiples, nationales, régionales ou globales, mettant en compétition/confrontation des acteurs de dimensions et de puissances différentes et inégales. En conclusion, le continent Afrique est un enjeu géostratégique majeur au XXIe siècle avec plus de 25% de la population mondiale à l’horizon 2030/2040, avec d’importantes ressources non exploitées, sous réserve d’une meilleure gouvernance et d’intégrations sous-régionales. La réunion initiée par la Turquie est louable et les responsabilités partagées en levant les obstacles à la mise en œuvre d’affaires communes, notamment la lutte contre la bureaucratie qui engendre le fléau de la corruption et l’adaptation du système socio-éducatif, la ressource humaine étant le pilier de tout processus de développement. Or, une enquête menée en 2012 par l'UA/Nepad dans 19 pays africains montre que seuls le Malawi, l'Ouganda et l'Afrique du Sud investissent plus de 1% de leur PIB dans la Recherche-développement (R-D), contre de 0,2% à 0,5% pour les autres. Le rapport précité de l'Unesco souligne que l’Afrique ne consacre que 0,3% du PIB en moyenne à la R-D. C'est sept fois moins que l'investissement réalisé dans les pays industrialisés. Les facteurs fondamentaux renvoient tant à l’urgence d’une autre gouvernance tant mondiale que locale. La situation géo politique actuelle impose d’analyser les grandes questions stratégiques donc du devenir de l'Afrique du Nord au sein duquel s’insère le Maghreb surtout après les événements du monde arabe notamment en Tunisie, Libye, Egypte sans oublier les tensions au niveau du Sahel, au Moyen Orient, notamment la situation en Palestine, en Syrie et en Iran. La mondialisation est un bienfait pour l’humanité à condition d’intégrer les rapports sociaux et ne pas la circonscrire uniquement aux rapports marchands en synchronisant la sphère réelle et la sphère monétaire, la dynamique économique et la dynamique sociale.
En résumé, l’Afrique, dont le Maghreb sous-segment de l’Afrique du Nord devant servir de pont entre l’Europe et l’Afrique a besoin de plus d’Etat de Droit, de Démocratie tenant compte de son anthropologie culturelle et donc plus d’espaces de libertés, de concilier l’efficacité économique avec une très profonde justice sociale renvoyant à la moralité de ses dirigeants, si elle veut s’arrimer aux nouvelles mutations mondiales et elle en a les moyens. Les Africains doivent être conscients que dans les relations internationales actuelles n’existent plus des micros-Etats, que leurs intérêts est de favoriser des co-partenariats au sein d’intégrations sous régionales, pour une prospérité partagée, loin des anciens préjugés de domination. Face aux bouleversements géostratégiques, l’Afrique est appelée à se déterminer par rapport à des questions cruciales et de relever des défis dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils dépassent en importance et en ampleur les défis qu’elle a eus à relever jusqu’à présent. Mais avant tout, l’Afrique sera ce que les Africains voudront qu’elle soit.
Dr Abderrahmane Mebtoul, expert international, Professeur des Universités en management stratégique
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