En Algérie on va vite en besogne, dès qu'un homme politique, un chanteur, un poète, un cinéaste, un écrivain… ose se démarquer du conformisme politique, culturel et spirituel en usage depuis 1962, aussitôt on s'empresse de l'accabler en l'accusant de tous les noms jusqu'à même lui forcer un exil, Ferhat Mehenni appartient à cette catégorie d'hommes, il a osé !

Quoique je ne partage pas entièrement la ligne politique de M. Ferhat Mehenni, il n'en demeure pas moins que je le respecte beaucoup, tout d'abord en tant qu'artiste dans la chanson engagée et puis en tant qu'homme politique démocrate et fidèle à sa ligne quant à l'autonomie de la Kabylie par rapport à un pouvoir autoritaire, arbitraire, centralisateur, régionaliste, discriminateur, inquisiteur et foncièrement antidémocratique. Il est l'un des rares hommes politiques à rester fidèle à ses principes et à son combat contrairement aux pseudos personnalités et partis qui s'affichent hypocritement comme démocrates et qui aujourd'hui, pour des raisons d'intérêts opportunistes, n'hésitent pas à s'acoquiner avec des partis diamétralement opposés à une Algérie moderne, plurielle et démocratique. Non seulement ces partis qui se prétendent (au nom de la démocratie) dans l'opposition, par rapport au pouvoir, sont au contraire, directement ou indirectement, les parfaits nourriciers politiques et idéologiques du pouvoir dans ses manœuvres dilatoires pour perdurer.

Qu'a-t-il fait de si grave M. Ferhat Mehenni pour mériter non seulement la haine du pouvoir et son interdiction de séjour sur sa terre natale, mais en plus le black-out total des mass-médias algériens à son encontre (presse écrite, TV…) ? Est-il un chef terroriste ? A-t-il formé un maquis ? A-t-il menacé la stabilité du pays ? A-t-il commis des attentats ? S’est-il ligué avec une organisation internationale contre l'Algérie ? A-t-il dilapidé le trésor public ? Non, rien de tout ça, son seul tord (aux yeux du pouvoir) en tant qu'homme politique et défenseur des droits de l'homme est d'avoir créé un mouvement de revendication pacifique pour l'autonomie de la Kabylie (le MAK 24 août 2001) et aussi d'avoir formé un gouvernement provisoire kabyle (1er juin 2010) et en tant qu'artiste de chanter l'amour, la paix et la liberté pour une Kabylie unie, une Algérie pacifiste et plurielle.

Son combat pacifique qu'il a mené depuis sa jeunesse, il l'a chèrement payé, les prisons algériennes, les persécutions policières, l'exil forcé… et pour finir, on assassine son fils aîné Améziane (le 19 juin 2004 à Paris) pour le faire taire.

Il y a une injustice flagrante envers cet homme très meurtri, mais toujours debout et plus radical encore sur les principes qu'il défend. Et pendant ce temps, ceux qui ont mis à feu et à sang le pays circulent librement en toute quiétude et ceux qui ont mis à sac l'économie du pays se la coulent plus douce encore en s'enrichissant davantage sur le dos de l'État et du peuple.

Certes, on peut reprocher à M. Ferhat Mehenni certaines de ses bévues politiques à l'exemple de son déplacement à Israël et son intervention à l'Assemblée nationale française où il a décrit les Kabyles comme étant les nouveaux juifs et entre autres, ces incessants appels à l'intervention étrangère pour renverser le régime politique algérien…Enfin, qu'on attribut ses actions politiques de maladresse ou pas, ça ne justifie aucunement cet ostracisme envers le leader du MAK pour l'empêcher d'activer en toute légalité et en toute liberté dans son propre pays au même titre que tous les partis légaux. Son programme politique concerne tous les Algériens et mérite à plus d'un titre d'être connu et débattu par tous sans à priori et sans préjugé. Le déni culturel et identitaire constitue un grand danger pour l'avenir du pays et l'empêche de s'émanciper au même titre que les nations développées, il est synonyme d'exclusion et de discrimination envers tout un peuple qui a tout le long de son histoire combattu est lutté inlassablement pour recouvrir et se réapproprié son authentique patrimoine culturel et identitaire falsifié et pris en otage par les concepteurs de la pensée unique toujours présents et actifs au cœur du système.

S. Guenifi