Les exilés algériens d’hier et d’aujourd’hui: à l’aune de regards croisés
Produit de quatorze contributeurs de différentes spécialités en sciences sociales et humaines, cet ouvrage porte, comme son titre l’annonce d’emblée, sur les mouvements migratoires au cours des 150 ans écoulées, et surtout sur la répression et les déportations des révoltés "indigènes" des colonies françaises au cours du XIXe siècle et leurs enfermement dans les bagnes de la Nouvelle Calédonie et de la Guyane.
Par Ahmed Rouadjia (*)
L’ouvrage s’ouvre sur un article de Mélica Ouennoughi, docteur en anthropologie, qui a réuni et présenté les textes des contributeurs, et qui porte sur la greffe de la culture arabo- berbère en Nouvelle Calédonie. Intitulé «Cultures et traditions arabo-berbères en Océanie. Implication dans la gestion coutumière kanak des conflits interethniques», cet article nous fait voir que la culture du palmier-dattier, importé et acclimaté dans le contexte kanak par les déportés algériens de 1870, 1871, suite aux révoltes d’El Haddad, et d’El Moqrani, etc., représente pour ces derniers le souvenir gestuel par lequel ils reproduisent et perpétuent la tradition du pays d’origine. Le palmier-dattier n’est pas seulement cet arbre «nourricier» que les Ancêtres de là bas cultivaient avec tant de soin et d’amour, mais il est l’arbre qui est devenu pour les bannis et les transplantés dans cette terre étrange et inhospitalière le symbole d’une identité déracinée, mais jamais oublieuse de ses racines. On y apprend que ces déportés d’origine algérienne et qui sont devenus par la force des choses des kanaks, les dattes, puis leur culture tout comme la symbolique à laquelle ils se rattachent, y ont pris avec le temps une signification quasi sacrée, puisque les dattes y servent d’offrandes et de viatiques pour les pèlerinages locaux des marabouts et des saints de l’Islam.
Déportations et déplacements forcés
Plus émouvant est le témoignage rétrospectif reproduit en annexe, de la fameuse insurgée de la Commune de Paris ( 18 mars 1871) Louise Michel (1830-1905) et qui raconte sa rencontre avec les insurgés algériens déportés comme elle en Nouvelle Calédonie : "L’insurrection canaque [ 1878], écrit-elle, fut noyée dans le sang, les tribus rebelles décimées ; elles sont en train de s’éteindre, sans que la colonie en soit plus prospère .Un matin, dans les premiers temps de la déportation, nous vîmes arriver, dans leurs grands burnous blancs, des Arabes déportés pour s’être, eux aussi, soulevés contre l’oppression. Ces Orientaux, emprisonnés, étaient simples et bons et d’une grande justice ; aussi ne –comprenaient-ils rien à la façon dont on avait agi envers eux. Bauër, tout en ne partageant pas mon affection pour les Canaques, la partageait pour les Arabes, et je crois que tous nous les reverrions avec grand plaisir. Ils avaient gardé une affection enthousiaste pour Rochefort. Hélàs, il en est qui sont toujours en Calédonie et n’en sortiront probablement jamais !L’un ses rares qui sont revenus, El Mokrani, étant venu à l’enterrement de Victor Hugo, vint à Saint-Lazare, où j’étais alors, et croyait pouvoir me parler ; mais ne s’étant muni d’une permission, cela fut impossible"[1].
Des déportations, on passe aux migrations "économiques" relativement récentes, notamment celles des Algériens vers la France, et aux études qui lui ont été consacrées. Comme en hommage à Abdelmalek Sayad, Mélica Ouennoughi reproduit un texte qui résultait à l’origine d’un entretien entre le sociologue français, Pierre Bourdieu, et de son homologue nord américain, Loïc Wacquant, et intitulé : "L’ethnologue organique de la migration algérienne", dialogue où il est question de l’immigration algérienne telle qu’elle fut étudiée sous presque toutes les coutures par Sayad, et la manière avec laquelle celui-ci avait mis en relief les rapports historiques du colonisateur/colonisé et qui ont abouti à l’exploitation de ce dernier par le premier et la déshumanisation de celui-ci par celui-là. Aussi, les deux sociologues peuvent-ils déclarer en chœur ce qui suit : "En tant qu’ethnologue organique de la migration algérienne, observateur témoin du drame silencieux de l’exode massif des paysans berbères de Kabylie vers les bas-fonds industriels de leur ancien maître colonial, Abdelmalek Sayad nous offre la figure exemplaire du sociologue “en écrivain public” qui enregistre et diffuse la parole de ceux qui en sont le plus cruellement dépossédés par le poids écrasant de la subordination impérialiste et de la domination de classe, sans jamais s’instituer en porte-parole, sans jamais s’autoriser de la parole donnée pour donner des leçons, si ce n’est des leçons d’intégrité ethnologique, de rigueur scientifique et et de courage civique".
Emigration économique
Michel Renard, quant à lui, aborde l’immigration algérienne sous divers aspects, notamment économique, politique et religieux et d’où l’intitulé révélateur de son article : "Migrations algéro-berbères en France Le politique et le religieux, années 1910-1940". Il y retrace les motifs de l’émigration algérienne vers la France depuis le début du XXe siècle, qui "sont indéniablement économiques", souligne-t-il. Comme pour étayer sa démonstration, il cite longuement le rapport de 1914 établi par Octave Depont, alors administrateur général des communes mixtes en Algérie, lequel ramenait les mobiles de la migration algérienne, notamment berbère, à : "la pléthore de population et la rareté, doublée souvent de l’infécondité du sol". Pléthore et ingratitude de la terre ayant eu pour conséquence d’accroître le nombre de candidats à l’émigration vers la France qui, de temporaire à l’origine, devenait au file des ans, durable. D’où l’acculturation relative qui s’ensuit de nos émigrés, acculturation qui se faisait par le biais de la fréquentation de beaucoup d’entre eux des syndicats, des associations et des amicales, voire même des partis politiques, notamment de gauche. Mais, note l’auteur, qui met surtout l’accent sur l’émigré berbère, cette "acculturation modulée" ne conduisait nullement "les immigrés de Kabylie" à une "une déculturation oublieuse." (p.175). Nulle part, en France, cette "déculturation mutilante" n’a été observée. Au contraire, le rapport d’Octave Depont de 1914, signalait que les immigrés algériens de Marseille, par exemple, qui se sentaient en proximité géographique avec l’Algérie, étaient encore bien moins portés qu’ailleurs à l’oubli et à la déculturation. Cette proximité aurait joué en faveur d’un attachement plus important qu’ailleurs aux coutumes du pays d’origine. Et Renard de citer Depont qui écrit qu’au : "Au point de vue religieux, ils se préoccupent davantage de réaliser les conditions extérieures qui doivent accompagner l’accomplissement de leurs rites. C’est ainsi qu’ils ont manifesté le désir d’obtenir un emplacement réservé au cimetière et d’avoir un local pour leur culte avec un imam, qui servirait en même temps d’interprète". (p.176).
L’immigration algérienne au Canada n’est pas oubliée et bénéficie d’un article fort éclairant de la part de Marion Camarasa, qui fait remonter la présence de cette émigration/ immigration à un demi siècle en arrière. Intitulé : "L’immigration algérienne au Canada : 50 ans d’une histoire atypique", l’auteur rappelle que "Les mémoires font remonter la présence algérienne au Canada et notamment au Québec dès avant la Seconde Guerre mondiale. Une petite communauté était venue travailler peut-être pour palier au départ des conscrits québécois… sans doute davantage pour trouver des débouchés que la France en guerre et occupée ne pouvait offrir." (p.346). Mais ce n’est qu’à partir de 1962, date de l’indépendance de l’Algérie, que l’on peut suivre statistiquement l’évolution quantitative de nos émigrés. A cette date, ils n’étaient, d’après les statistiques québécoises, que 400 personnes, constitués en majorité d’hommes jeunes célibataires, et de quelques étudiants. En 1988, l’on constate une nette augmentation du nombre d’algériens parvenus au canada : 236 y ont obtenu la résidence permanente. En 1989, leur nombre est presque doublé. Cette tendance à la hausse ne faiblira pas, et s’amplifiera avec la décennie noire : «Cette émigration était constituée pour une grande part des étudiants, venus étudier grâce aux ententes, et disposant ainsi de facilité pour obtenir le certificat de sélection du Québec. Lorsque la crise institutionnelle et politique éclate en 1991-1992 et que le pays plonge dans l’horreur des attentats islamistes, le Québec et le Canada apparaissent comme une fenêtre vers la liberté et la paix. Après un premier moment d’hésitation, le Canada ne fera pas défaut à son image de pays ouvert aux réfugiés. En l’espace de 5 ans, entre 1991 et 1995, le Canada reçoit presque autant d’Algériens qu’en 30 ans d’immigration. La quasi-totalité des installations se fait au Québec où cette émigration est implantée.» (p.349)
Exil contraint des compétences algériennes et leur captation par l’Occident imaginatif
La particularité de cette émigration récente de nos compatriotes au Canada réside dans la haute qualification de ses membres, qui sont pour la plupart des diplômés de l’enseignement supérieur et qui ont été dès leur arrivée recrutés sur cette base. L’autre caractéristique de cette cohorte de migrants fraichement débarqués sur le continent canadien tient dans l’importance quantitative de jeunes filles dont le nombre s’est accru, surtout durant la décennie noire (1990-2000). Entre ces deux dates, en effet, plus de 12 000 jeunes sont entrés au Québec dont une majorité de femmes. Ces chiffres ne prennent en considération que «les légaux», et non ceux dont la situation irrégulière les place dans la rubrique des «Sans-statuts». Ces derniers sont arrivés au début de 1997 dans un contexte politique et économique peu favorable à la régularisation des «sans papiers». Abstraction faite de ces «irréguliers» dont la situation a été ultérieurement régularisée, au cas par cas, il ressort des données croisées que, d’immigration individuelle, l’immigration algérienne au Québec, tend à devenir de plus en plus familiale, à l’image du «regroupement familial» expérimentée en France. Car les familles algériennes transplantées «souhaitent offrir une chance supplémentaire de réussite à leurs enfants. Le gouvernement provincial trouve dans cette émigration francophone, éduquée une chance supplémentaire pour asseoir son développement démographique. Il ouvre donc les frontières à hauteur de 3 000 à 4 000 personnes par an et l’Algérie devient l’un des pays sources les plus importants, dépassant désormais le Maroc au cours de la décennie 2000. Elle compte parmi les 5 pays les plus pourvoyeurs à l’image de la France, de la Chine ou d’Haïti. Au niveau de la fédération canadienne, l’Algérie ne représente pas un enjeu aussi important, comparée à des pays comme le Pakistan, la Chine, ou l’Inde. Elle se situe toutefois autour des 20 premiers pays fournisseurs» (p.349).
A l’exil, aux déportations forcées et aux migrations purement économiques, succède désormais une migration volontaire ou quasi d’ Algériens, composée non de main- d’œuvre taillable et serviable à merci comme jadis, mais de gens éduqués et d’un haut niveau de compétences, mais qui n’ont pas trouvé-hélas- dans leur propre pays la reconnaissance et l’usage adéquat de leur savoir-faire. D’où la désaffection à l’égard non pas du pays auquel ils vouent une affection maternelle ou quasi, mais envers les dirigeants politiques dont le discours démagogique sur leur soit- disant patriotisme incite de manière implicite à l’exil de tous les porteurs du savoir-faire. C’est cette désaffection de nos meilleurs cadres, désaffection qui prend sa source dans l’indifférence des dirigeants politiques envers la valorisation des ressources humaines du pays qui explique la déperdition des «matières grises» et leur captation par des pays étrangers qui savent apprécier à leur juste valeur l’usage rationnel qu’ils peuvent en tirer.
Quand les pays étrangers tirent profit des cadres chèrement formés par l’Algérie
Marion Camarasa nous suggère, sans le formuler explicitement, que les Algériens réussissent mieux à l’étranger que chez eux. Alors que chez eux, ils sont empêchés par toutes sortes d’obstacles à faire valoir leur savoir-faire, à mettre en valeur leurs compétences au service de la collectivité nationale, ils sont au contraire, à l’étranger, sollicités, encouragés et incités à mettre leurs compétences en action, dans les domaines relevant de leur spécialité. Lorsque ceux d’entre eux rencontrent des difficultés d’intégration dans une contré donnée de l’Occident, ils n’hésitent pas à tenter l’aventure ailleurs. Ainsi apprend-t-on que les algériens nantis de diplômes et que le contexte québécois rebute pour y vivre et travailler, n’hésitent-ils point à se diriger vers d’autres pays, telle «la Colombie Britannique et Vancouver, mais aussi la région d’Ottawa et Toronto, ou encore l’Alberta. Le savoir-faire algérien dans le domaine des hydrocarbures est connu et recherché et la communauté algérienne autour d’Edmonton est en pleine expansion. Le gouvernement provincial albertain a bien compris cette richesse de l’immigration algérienne et facilite sa venue dans le cadre de prospectives en Algérie, mais aussi de partenariats dans le monde éducatif. Depuis les années 2000 une timide émigration en provenance directe d’Algérie se développe vers l’Alberta venant enrichir cette petite communauté en pleine structuration sociale. Des liens se créent avec les Algéro québécois, mais la distance et les solitudes canadiennes imposent une réalité parfois difficile à surmonter.» (p. 350). Alors que souvent les algériens porteurs de savoir-faire et de compétences peinent dans leur propre pays à les faire-valoir, ils y réussissent cependant dans les pays étrangers où ils se voient considérés comme une valeur ajoutée.
D’après Camarasa, la première vague migratoire d’algériens, qui s’étale de 1962 à 1988, s’est caractérisée «par la réussite de personnalités remarquables de niveau mondial pour certaines. De nombreux domaines scientifiques sont représentés à l’image des sciences physiques, de l’astronomie, de la chimie, des nouvelles technologies ou de la biomédicale. Scientifique majeur du Canada, comme il en a reçu le titre, Mustapha Ishak-Boushaki, arrivé en 1987 à Montréal, est l’un des chercheurs les plus reconnus et respectés dans sa discipline, la cosmologie. Ayant débuté ses études en Algérie, il obtient au Canada un double doctorat sur les modèles cosmologiques inhomogènes et enseigne aujourd’hui à l’Université de Princeton. Il avait pour rêve de travailler dans les étoiles, l’Algérie et le Canada lui ont permis de le réaliser. Tahar Touam, quand à lui a obtenu de nombreux prix scientifiques pour ces découvertes sur le Sol Gel (le procédé Sol Gel regroupe les techniques permettant par simple polymérisation de précurseurs moléculaire en solution d’obtenir des matériaux vitreux sans passer par l’étape de fusion) et les puces photoniques. Arrivé en 1986, il a poursuivi sa formation en physique à l’Université Laval puis à l’Université McGill et a enseigné à l’École Polytechnique. L’une des figures les plus marquantes de l’École Polytechnique de Montréal est L’Hocine Yahia. Chercheur et professeur, il est notamment directeur du Laboratoire d’innovation et d’analyse de la bio performance des dispositifs médicaux. Il participe à plusieurs projets internationaux dont un projet de développement de muscles artificiels qui doivent être intégrés dans la deuxième génération des prothèses bioniques. Spécialiste des nanomatériaux en médecine, il est arrivé au début des années 1980 à Montréal après avoir réalisé des études en Algérie et en France. Il est aujourd’hui l’un des symboles de ces chercheurs algériens de la première vague migratoire ayant réussi leur intégration dans le monde scientifique canadien. L’économie est un domaine où les scientifiques algériens excellent et l’École des Hautes Études Commerciales dispose de deux professeurs éminents en la personne de Taïeb Hafsi et d’Omar Aktouf. Taïeb Hafsi était directeur général de la division raffinage et pétrochimie de Sonatrach lorsqu’il émigre à Paris où il a enseigné à l’ESSEC. En 1984 il est nommé professeur à HEC à Montréal et débute ainsi une carrière brillante. Salué par ses pairs, il reçoit de nombreux prix pour ses ouvrages et ses recherches et devient titulaire de la Chaire de management stratégique international Walter-J.-Somers. Personnalité reconnue du monde économique canadien, il s’est spécialisé dans le management. Son collègue Omar Aktouf a un parcours plus atypique encore. Il est arrivé au début des années 1980 à Montréal après avoir réalisé des études en économie et en psychologie en Algérie. Ces réussites individuelles parfois peu connues du monde de l’émigration reflètent les particularités de cette première vague migratoire." (352)
Le colonialisme français est-il responsable de nos tragédies post- indépendance ?
Toutes ces réussites individuelles tout comme l’exil volontaire ou forcé de milliers, voire de millions d’Algériens, sont une perte "sèche" pour le pays dont les responsables qui ont succédé depuis l’indépendance en assument seuls la responsabilité devant l’histoire. La tragédie même de la décennie noire, qui a rendu le pays exsangue, leur est imputable tant ils avaient joué, tels des apprentis sorciers, avec le feu qui a failli dévoré le pays tout entier. Vidé de sa substance essentielle (compétences et ressources matérielles), durant cette période rouge, le pays a été en outre la proie d’une maffia multiforme qui n’avait pas lésiné sur les moyens pour s’accaparer terres, usines et biens divers . Terrorisme et groupes maffieux surgis à la faveur de la confusion et du désordre politique, suscités par l’interruption brutale des élections législatives, sont inséparables comme l’endroit et l’envers de la médaille. Tous deux sont responsables, entre autres, de cette déperdition des énergies, des richesses et des compétences de la nation. Si les pionniers de la Révolution de Novembre 54, morts pour la plupart dans les champs de bataille, savaient que l’indépendance sur l’autel de laquelle ils s’étaient sacrifier, avait été confisquée par une poignée de dirigeants qui ont achevé de rééditer la pratique coloniale de migration et d’exil, ils seraient à coup sûr saisis d’indignation et de frissons d’horreurs rétrospectifs….
On a coutume d’imputer nos difficultés, nos malheurs et nos tragédies à la France coloniale ; plus d’ un demi siècle après l’indépendance, on continue encore de charger la France de tous les maux dont souffrent l’Algérie, y compris ceux liés à l’exil, à l’analphabétisme "résiduel", et au sous-développement économique. Sans dédouaner celle-ci de tous ses forfaits antérieurs, ne faut-il pas s’interroger sur la part de nos responsabilités dans ce qui nous arrive, étant donné que nous sommes devenus autonomes, et indépendants par rapport à l’ordre colonial ?Faut-il caviarder les pages noires de nos actes post- indépendance : exil politique et économique, assassinat d’opposants et d’intellectuels, guerre fratricide, terrorisme et contre terrorisme, «dégâts collatéraux», massacre collective, fosse commune qui rappelle l’époque coloniale…
Nul n’ignore qu’il eut la guerre contre la France pour lui soustraire le pays qu’elle tenait d’une main de fer. Mais peu savent qu’il eut plusieurs petites et grandes guerres algéro-algériennes, ou guerres entre frères, après celle conduite contre la France. Mais la plus meurtrière de toutes est celle du début des années 1990. Comme l’écrit la chercheuse Marie Virole : "La fin du XXème siècle a été tragique pour l’Algérie. Une guerre civile l’a endeuillée, de près de 200 000 morts dit-on. Des élites, des créateurs, ont quitté le pays en grand nombre, trouvant dans un exil non choisi - mais qui fut parfois réversible à moyen terme – des conditions de vie et de travail précaires. Ces «réfugiés» venaient ainsi rejoindre celles et ceux qui étaient partis dans les années 60, 70 et 80 par lassitude des voies ingrates de la création et du travail intellectuel en Algérie. Une floraison littéraire sans précédent a jailli de ce drame et de cet exil, très majoritairement publiée en français et en France. Si, au milieu des années 90, un certain opportunisme commercial du témoignage à sensation a prévalu, petit à petit ce sont de vraies œuvres et de vrais écrivains qui ont trouvé leur place dans le paysage éditorial français."
Une maison d’édition spécialisée, Marsa ("Le havre" en arabe), a vu le jour dès 1996 — alors qu’aucun nouvel auteur ne s’était encore réellement fait connaître — et, par son biais, les Lettres et les Arts d’Algérie, d’origine algérienne et de la migration se sont dotés, dans l’épreuve, d’une revue : Algérie Littérature/Action (avec ses suppléments et hors-série). Pour soutenir les créateurs, elle a rassemblé et fait dialoguer les genres (roman, nouvelle, récit, poésie, théâtre, arts plastiques) et a sédimenté avec constance — depuis 17 ans maintenant — la mémoire littéraire contemporaine d’une Algérie plurielle de la création qui traverse les frontières" [2]
En dépit de toutes ces réussites scientifique, intellectuelle, littéraire et artistique, de nos compatriotes à l’étranger, il n’empêche que le pays en est privé. Les séquelles de la décennie noire continuent encore de faire sentir leurs effets désastreux sur les esprits et les imaginaires sociaux, tandis que l’exil des compétences nationales ainsi que la force de travail « musculaire », sans qualification, jointe au phénomène des harragas, pourraient rendre à plus ou moins longue échéance le pays exsangue comme l’avaient laissé la France en 1962.
Il ressort de la lecture de cet ouvrage, riche en renseignement historique, une diversité de thèmes allant des déportations, de la migration économique, de l’éducation des enfants issus de l’immigration en France (Alain Monlouis & Mélica Ouennoughi) de l’éducation en milieu kanak selon une perspective anthropologique (Eddy Wadrawane), des chansons algériennes d’exil (Lynda Choutten) en passant par des études consacrées à la dépossession des fellahs algériens par la colonisation (Mohamed Chabane), l’impact de la colonisation sur «la fabrique de la ville » (Salah Chaouche), la lecture de l’espace oasien tel qu’il se déploie dans Ouargla et dans la vallée du M’zab (Abdelhakim Senoussi, Bachir Khène & Slimane Hannachi), jusqu’à l’étude des coutumes Oasienne en matière d’aliment et d’usage de médicament (Souad Babahani & A.H. Senoussi). Paula Sombra, quant à elle, nous fait voir l’influence exercée par l’idéologie révolutionnaire algérienne sur l’Argentine des années 60-70, et comment cette influence : «a été notable dans la formation du militantisme révolutionnaire de l’Argentine de l’époque.»
Tous ces thèmes se recoupent et se croisent en dépit de leurs objets spécifiques, Chacun de ces auteurs nous apporte un éclairage nouveau sur un aspect particulier de la réalité historique algérienne, et ce croisement de regards sur des objets différents, mais liés entre eux de manière logique, se révèle à la lecture fort instructif.
Le lecteur francophone épris de savoir et de connaissances utiles pour les besoins de sa recherche ou de sa culture personnelle ne manquera pas de trouver dans cet ouvrage, œuvre collective, de quoi alimenter sa réflexion sur le devenir de la société algérienne qui se trouve comme suspendue à des incertitudes quasi absolues….
A. R.
(*) Université de M'sila
Mémoires, Histoire des Déplacements forcés
Héritages et legs (XIXe - XXIe siècles)
Textes réunis par Mélica Ouennoughi
Editions l’Harmattan, Paris, 2014
406 pages dont 12 documents photos
Renvois
[1] Lire également Gérard Dittamar, Louise Michel 1830-1905, Paris, éditions Dittamar, 2004
[2] Marie Virolle «Création littéraire de la migration algérienne (1996-2013) dans la revue Algérie Littérature /Action», pp. 294-295
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merci bien pour les informations
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