Burkina Faso: manifestations contre le pouvoir à vie du président Compaore
Des centaines de milliers de Burkinabè sont descendus dans la rue mardi pour dénoncer un projet de révision constitutionnelle permettant le maintien au pouvoir du président Blaise Compaore, une manifestation d'une ampleur historique sur le continent.
Une marche organisée dans la capitale Ouagadougou a rassemblé "un million" de personnes, selon l'opposition, et s'est conclue par des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, qui ont pris fin en milieu d'après-midi. Le gouvernement, par la voix de son porte-parole Alain Edouard Traoré, a salué dans un communiqué la "vitalité" de la démocratie burkinabè, tout en déplorant des "débordements".
Selon un journaliste de l'AFP, la mobilisation était bien supérieure à celle de la marche du 23 août, qui s'étendait sur plusieurs kilomètres et pour laquelle l'opposition avait revendiqué plus de 100.000 participants.
Au son des sifflets et des vuvuzelas, les protestataires ont arboré des milliers de pancartes hostiles au régime, dont les messages étaient: "Judas, libérez les lieux", "Blaise dégage" ou encore "Article 37 intouchable". Une telle mobilisation populaire pour une manifestation politique est rare en Afrique subsaharienne.
A la fin de la marche, les affrontements ont duré plusieurs heures entre des centaines de manifestants munis de pierres et de barres de fer et les forces de l'ordre répliquant avec des gaz lacrymogènes. Dans l'après-midi, la police a fait dégager des barrages de fortune, permettant une reprise progressive du trafic. Des protestataires, qui avaient ensuite décidé d'occuper la place de la Nation, lieu symbolique de la capitale, ont été délogés sans heurt en début de soirée.
Un scénario classique
L'opposition avait appelé à manifester dans tout le pays contre ce qu'elle appelle un "coup d'Etat constitutionnel" du président Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans. L'Assemblée nationale doit examiner jeudi un projet de loi gouvernemental visant à réviser l'article 37 de la Loi fondamentale pour faire passer de deux à trois le nombre maximum de quinquennats présidentiels. Ce changement permettrait à M. Compaoré, qui devait achever en 2015 son dernier mandat, de concourir à nouveau à la présidentielle.
Arrivé au pouvoir en 1987 par un putsch, il terminera l'an prochain son deuxième quinquennat (2005-2015) après avoir effectué deux septennats (1992-2005).
L'opposition craint que ce changement constitutionnel, qui ne devrait pas être rétroactif, conduise le chef de l'Etat, déjà élu quatre fois avec des scores soviétiques, à accomplir non pas un mais trois mandats supplémentaires, lui garantissant 15 années de plus au pouvoir.
Les Etats-Unis ont fait part mardi de leur préoccupation: "les limites du nombre de mandats imposées par une Constitution offrent un mécanisme important qui permet de demander des comptes aux chefs d'Etat, d'assurer des transitions pacifiques et démocratiques, et de donner aux jeunes la possibilité d'être candidats à des postes politiques et d'élire de nouveaux dirigeants", a déclaré la porte-parole du département d'Etat, Jennifer Psaki.
Le scénario est classique en Afrique. Ces dernières années, il a été employé dans au moins huit pays (où certains présidents sont aux affaires depuis plus d'une trentaine d'années): Algérie, Tchad, Cameroun, Togo, Gabon, Guinée équatoriale, Angola, Ouganda, Djibouti.
Alors que l'agenda politique africain s'annonce très chargé en 2015-2016, avec une vingtaine de scrutins présidentiels, au moins quatre pays - en plus du Burkina - préparent ou envisagent des révisions constitutionnelles: Congo Brazzaville, Burundi, République démocratique du Congo (RDC) et Bénin.
Pouvoir à vie
Au Burkina, ce projet suscite l'hostilité de l'opposition, d'une grande partie de la société civile et de nombreux jeunes - plus de 60% des 17 millions d'habitants ont moins de 25 ans et n'ont jamais connu d'autre dirigeant. Le chef de file de la majorité parlementaire, Assimi Kouanda, a dénoncé des agressions de députés par des militants d'opposition, demandant au chef de l'Etat de prendre "toutes les mesures" pour préserver leur "sécurité".
Quant à l'opposition et à la société civile, qui appelaient à la "désobéissance civile", elles lancent désormais "ultimatums" et "mises en garde" au pouvoir, demandant la "démission" du président, accusé de viser le "pouvoir à vie". Et la semaine s'annonce encore chaude.
Les syndicats ont appelé à une journée nationale de grève mercredi et des personnalités d'opposition ont demandé au peuple de bloquer le Parlement jeudi pour empêcher le vote. Blaise Compaoré est un partenaire majeur de la communauté internationale en Afrique, avec un rôle-clé de médiateur dans plusieurs crises, notamment dans la bande sahélienne.
S'il a longtemps eu une image sulfureuse en raison du rôle présumé de son pays dans des crises régionales, notamment en Côte d'Ivoire voisine, le président burkinabè jouit d'une solide réputation à l'étranger, notamment en France, l'ex-puissance coloniale.
Son putsch en 1987 avait été marqué par l'assassinat - jamais élucidé - du président Thomas Sankara, icône du panafricanisme. Blaise Compaoré a déjà modifié à deux reprises l'article 37 de la Constitution, en 1997 puis en 2000, pour pouvoir participer aux élections.
Avec AFP
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