Le général, le dormeur et le danseur
"L’intelligence politique n’est pas une intelligence de spectateur", écrivait en 1945 Pierre Hervé dans son livre "La Libération Trahie".
Paris libéré et déjà confisqué. Aujourd’hui, on se demande si la politique et le spectacle ne sont pas des synonymes que le Larousse a oubliés. Certes, il y a de l’intelligence comme dans toute chose qui fonctionne, mais il faut chercher son fantôme aux chiottes quand on voit où elle a mené le monde. Hervé parle de socialistes déshumanisés, de collaborateurs intouchables, de philosophes dormeurs…, d’une débauche d’utopisme appelée libération : "Pareils à la pythie, ils prophétisent en formules éternelles. Montés sur leurs trépieds vacillants, ils dominent ce pauvre peuple voué aux illusions, aux mots d’ordre, aux tactiques. Et d’un air désabusé et vaguement irrité, ils prononcent leurs sentences qu’ils jugent par avance devoir être incomprises…Le monde est absurde, qui ne veut point admettre qu’en 1945 dans quelques salles de rédaction de Paris le sauveur est né." Ferhat Abbas avec son "Indépendance confisquée", n’était pas plus optimiste et pour cause, le Père de l’Indépendance, notre Gandhi national noircissait ses feuilles encerclé par la police de l’Algérie indépendante pendant que le peuple chantait l’Algérie algérienne en dansant sous le drapeau vert blanc rouge.
En cette fin 2014, à Paris comme à Alger, le peuple n’est plus voué aux illusions ni aux désillusions d’ailleurs, c’est l’apathie, le règne du stress. Rassurant, les scientifiques ont découvert qu’il modifie à la longue le cerveau. Pas besoin des techniques de la manipulation ni du culte vaudou pour fabriquer des zombies. Depuis la nuit des temps, les Néron analphabètes savaient qu’en ferrant les pieds aux mains et en pliant le dos à la cravache, le cerveau tombe à leurs pieds en fruit pourri. Mais la rémission était possible car la psychiatrie n’existait pas ainsi que son âme damnée : la chimie. Si les Français sont les premiers consommateurs au monde d’antidépresseurs, les Algériens, qui apprennent les maths pour rien, aucun sondage ne les connaît, leur emboîtent le pas à leur manière. "On ne pourrait sans rire déclarer qu’on ne connaît pas les moyens d’échapper aux guerres, au chômage, à la misère, ni d’organiser la production et les échanges en fonctions des besoins, ni de donner à tous les hommes les moyens de satisfaire leurs aspirations au savoir, à la joie à la dignité. Les solutions sont connues, même des indécis, même des adversaires. Je veux parler de tous ceux qui comptent non comme bétail, mais comme élément actif dans la vie économique, sociale et politique du monde entier…Le malaise est donc que l’on sait, plus ou moins obscurément, qu’il n’y a qu’une seule voie et qu’on cherche soit à y échapper soit à en trouver d’autres…D’où les gémissements et l’amour des gémissements."
Dans le monde du numérique et des cerveaux capteurs, les gémissements ont viré aux applaudissements pour faire valser des corps bourrés aux toxines. Plagiant Hervé, on peut ajouter : on sait sans rire comment venir à bout des drogues, du cancer, de l’obésité, du diabète de tous ces maux qui font que la moitié des bébés viennent au monde amputés de leur santé. On sait comment les enfants deviennent nerveux, les adolescents violents, comment recoudre le tissu familial social qu’on a déchiré, comment stopper le terrorisme mieux le prévenir. Malheureusement tout ce savoir n’est pas rentable pour ceux qui ne comptent pas pour du bétail. Pire, ils ne conçoivent leur éden que sur l’enfer des autres. Ils ont remplacé les classes par des castes. Ils ont assassiné les sages les penseurs les humanistes pour les remplacer par leurs experts leurs élites et leurs stars. Au pays des faucons, de la plus belle Constitution au monde, on a fait un sondage (Reuters/ Ipsos) entre le 23 et le 16 septembre 2014 auprès de 9000 personnes. Seuls 53 % des Américains rejettent toute scission des USA. Un Yankee sur deux à peu près est donc volontaire à la sécession. "L’Empire s’écroule…l’État a perdu son autorité morale, notre gouvernement est aux ordres de Wall Street", explique à l’AFP Thomas Naylor, ancien professeur d’économie, chef de file du mouvement pour la Seconde République du Vermont. C’est traumatisant de prendre Wall Street pour Mère Theresa avant de découvrir dans le tard le faciès du Parrain. Les Américains sont donc fatigués de payer des crises économiques qui rendent les riches super-riches et les pauvres super- SDF, fatigués de l’incompétence de leurs dirigeants, fatigués de se saigner pour des guerres lointaines qui ne les concernent pas. Certains moins démoralisés s’entraînent même à survivre à une Troisième guerre mondiale. Les historiens économistes et politologues réunis pour le centenaire de la Grande Guerre à Belgrade le 15 septembre 2014 ont déclaré que tous les signes d’une "nouvelle catastrophe planétaire" sont là. Le pire c’est qu’elle peut se déclencher sans intervention humaine, il suffit simplement d’une «interaction de drones et de systèmes de réponses automatisées de part et d’autre», affirme le rapport américain du National Defense Panel, un groupe d’anciens hauts responsables civils et militaires "missionnés par le Congrès pour fournir un regard critique sur le calendrier prévisionnel officiel du Pentagone…"(3). Donc le pessimiste est bien partagé par tous : le verre à moitie vide est en train de se vider. Dans la sélection naturelle de Darwin, c’est les animaux plus intelligents qui survivent. Chez les humains, il y a ceux qui se sont fait piéger et les autres. Les salopards et les cons.
En Algérie c’est lumineux depuis l’an 0 : Wall Street c’est la Régence d’Alger et la Régence d’Alger c’est Wall Street. Ben Bella, le fan de Fidel Castro, le sage d’Afrique et l’islamiste éclairé vers la fin, nous a simplifié la vie. Pourquoi devrait-il y avoir quelque chose si le rien est plus commode ? On peut dormir, le Palais veille sur notre sommeil. Ferhat Abbas raconte qu’au moment de son arrestation par les milices de Boumediene, le "Sage" avait dans sa chambre un véritable trésor plus de 2 milliards d’anciens francs en pièces d’or et devises étrangères. Dès le début, le Rais avait tout compris : les milices et les compères on les engraisse. Le pharmacien de Sétif ajoute qu’il n’a jamais été naïf. Celui qui n’a pas su être un Tartuffe était convaincu que le ciel allait le protéger des fourberies du protégé de Nasser. La jeunesse algérienne à qui le livre a été dédié aurait pu dire : "c’est Ferhat Abbas qui m’a tuée pas Ben Bella !", tellement ce dernier était inconnu au bataillon. Benjamin Stora affirme qu’on aurait eu avec Ferhat Abbas une autre Algérie, hélas c’était un dormeur au propre et au figuré. Il se mettait au lit à 21h, l’heure où les loups se réveillent. "Les yeux rivés vers son combat international, homme de champ large, entraineur d’idées, Ferhat Abbas «oublie» la dimension du pouvoir intérieur dans le destin de la révolution algérienne. Le sort tragique d’Abane Ramdane va lui ouvrir les yeux.»(2) Sans espoir. Ferhat Abbas n’avait aucune chance, la France dont il rêvait a dû mourir bien avant la première Guerre pour ne pas dire avec Voltaire. Hervé dénonce la République libérée offerte au président au détriment du peuple. Guillotiner le vrai roi pour le remplacer par un faux. La France de papa n’avait plus que «40 millions de pétainistes et une intelligentsia stalinienne» (4). Grignotée déjà par les trusts à la barbe du Général.
Aujourd’hui, la presse française est encore plus critique en parlant de Fossoyeurs de la République. Certes, la France de 1945 n’est pas l’Algérie d’aujourd’hui encore moins celle de 1830. Pendant que le monde arabo-musulman subissait la loi de la charia sous l’Empire Ottoman, l’Église accouchait des Lumières aux forceps en enterrant définitivement l’Inquisition. Bien sûr on a eu des Ibn Khaldoun des Ibn Sina, des Ibn Rochd… des convertis mal arabisés mal islamisés. Une parenthèse vite gommée par la Mosquée. "Dans 50 ans que sera l’Algérie ? Française ou arabe ?" demanda en 1918 un journaliste à Khaled, petit-fils de l’émir Abdelkader qui répliqua : "ni française, ni arabe, sous une autre domination." Une autre domination où le général veille sur ses puits pendant que le danseur le divertit au rythme des ronflements du dormeur. La sensibilité des musulmans est un terrorisme moral, écrit Youcef Bazzi dans Al-Mustaqbal, avant de conclure qu’il mène rapidement au terrorisme réel. On a connu toutes ces étapes, maintenant c’est l’euphorie. On est bien à condition de faire taire le voleur de Saïd Mekbel, celui qui a survécu à la décapitation et qui n’a pas toute sa tête. D’après le Pouvoir, cet énergumène prend un malin plaisir à "diviser le peuple". À défaut d’avoir des opposants sérieux, le Système à quelques gêneurs qui semblent lui poser de sérieuses migraines : les journalistes.
D’El Watan et d’El Khabar, deux poids "lourds" de la presse algérienne que lisent quelques vieux lecteurs pas trop abimés par l’Alzheimer et quelques jeunes déconnectés. "C’est lui qu’on menace dans le secret d’un cabinet officiel, le témoin qui doit ravaler ce qu’il sait, ce citoyen nu et désemparé…" Et dire que Saïd Mekbel a été assassiné pour avoir écrit ces mots …Le "témoin qui sait", il sait quoi le journaliste algérien soumis à l’hypnose du ronronnement de la voix officielle? Il n’a pas de boule de cristal, il ne peut être dans le secret des dieux que par trois moyens :
- le Système devenu maboul donne l’information.
- il y a une taupe genre Superman à l’intérieur du Système.
- Les puissants médias étrangers lâchent le Système et font leur déballage.
Trop tôt : il y a encore du pétrole du gaz de schiste et Aqmi pour décourager tout "tourisme" à proximité. Les informations livrées de temps en temps saupoudrent «démocratiquement» la vitrine nationale. Tous les scandales révélés ne nous ont rien appris, des noms plus ou moins inconnus, des juges étrangers et la conviction d’un spectacle pour attardés à défaut d’une vraie justice. Et surtout l’impression d’une hiérarchie plus renforcée avec l’éternel spectre de la "main étrangère". Il n’y a qu’à voir ces policiers qui veulent être augmentés pour nous avoir empêchés de marcher en 2011. Pour préserver l’Algérie des trois Pères B : Ben Bella Boumediene Bouteflika. Que peut revendiquer un policier révolté si ce n’est un peu plus de mangeaille comme l’enseignant le toubib le pilote qui sont infiniment plus "célébrés" que lui d’après leurs diplômes. On croyait qu’à force d’entendre parler de Concorde nationale, de Repentance, de Conciliation et Reconciliation, ils auraient pu envahir les rues pour défendre un peu la mémoire de leurs milliers de collègues tombés sous les coups des repentis et des conciliés. Enfin ne rêvons pas, ils sont issus de la populace et payés pour la surveiller. En observant les autres «augmentés», on ne les trouve pas plus heureux qu’avant même au volant d’une voiture neuve. Ces engins en carton mâché, ces stocks d’invendus ailleurs, ces cercueils ambulants pas du tout adaptés à nos routes encore moins à nos autoroutes à notre climat à nos dos d’âne, notre administration, nos lois, nos barrages, nos hôpitaux etc. Au moindre choc illico direction le cimetière. Ce sont des voitures conçues par des Européens pour des Européens, par exemple en Belgique où les autoroutes ressemblent à des tapis en soie, il y a même un ministère de la mobilité. Quand on achète une mécanique au bled avec le dinar, il faut toujours s’en méfier.
El Watan et El Khabar finiront par s’aligner sur El Moudjahid. Aux Maldives, on est allé jusqu’à l’application de la charia pour museler les journalistes rebelles. L’enfer ne tue pas le paradis, il cohabite avec lui. Ainsi les îles paradisiaques touristiques de ce pays s’accommodent merveilleusement bien avec celles des nationaux sous la terreur du drapeau noir. Idem pour le sultan de Brunei qui a réglé le problème des critiques sur sa vie dissolue à coups de fatwas. Aucun risque, que des avantages. La charia c’est avant tout la soumission totale au Guide, pas de syndicats pas d’avocats pas de prison. Sans oublier la "liquidation" totale des femmes, historiquement c’est bien elles qui sont derrière la colère de leurs fils. Sans doute, on y pense à la Régence d’Alger à cette solution "divine". En apparence le pays est prêt aux spectacles sanglants, aux sacrifices humains sur la place centrale. La populace se retournera contre la populace, c’est étudié pour, psychologiquement parlant. A-t-on vu un prince à la main coupée ou une princesse lapidée ?
En conclusion qui dénoncera vivra et qui mourra tranquillisera. On est trop nombreux comme parasites. "Un conte oriental parle d’un très riche magicien qui avait un bon nombre de moutons. Mais ce magicien était très avare, car il ne voulait pas embaucher de bergers, ni ne voulait ériger de barrière autour du pâturage où les moutons paissaient. En conséquence, les moutons vagabondaient souvent dans la forêt, tombaient dans des ravins et ainsi de suite, mais surtout ils s’enfuyaient, parce qu’ils savaient que le magicien voulait leur chair et leur peau et ils n’aimaient pas cela. Alors, le magicien trouva un remède. Il hypnotisa ses moutons et leur suggéra tout d’abord qu’ils étaient immortels et qu’il ne leur serait fait aucun mal lorsqu’on les écorcherait, qu’au contraire, cela leur ferait beaucoup de bien et serait très agréable ; deuxièmement il leur suggéra qu’il était un bon maître qui aimait ses troupeaux tellement qu’il était prêt à faire tout pour eux ; et, en troisième lieu, il leur suggéra que si quoi que ce soit devait arriver, cela n’arriverait pas tout de suite et sûrement pas dans la journée, donc ils n’avaient pas besoin d’y penser. Au-delà de cela, le magicien suggéra à ses moutons qu’ils n’étaient pas du tout des moutons ; il suggéra à certains d’entre eux qu’ils étaient des lions, à d’autres qu’ils étaient des aigles, à d’autres qu’ils étaient des hommes et à d’autres qu’ils étaient même des magiciens. Ainsi tous ses soucis et inquiétudes à propos des moutons prirent fin. Ils ne s’enfuirent plus jamais et attendirent calmement le moment où il aurait besoin de leur chair et de leurs peaux." (5)
Mimi Massiva
References :
(1) La Libération Trahie (Pierre Hervé)
(2) Ferhat Abbas, une Autre Algérie (Benjamin Stora- Zakya Daoud)
(3) Patrick Martin WSWS
(4) Chantal Delsol : Penser le Présent
(5) Gurdjieff cité par P.D. Ouspensky dans Fragments d’un enseignement inconnu
Commentaires (12) | Réagir ?
merci
Mimi Ferhat Abbas etait un grand homme, il n'a tué personne il est mort les mains propres quant à la nation elle n'existe pas dans le monde musulman, elle vient de France et j'ai lu sur le net que c'est Richelieu qui a inventé ce mot donc laisser ce grand heros dormir en paix, l'Algerie ne peut qu'etre fier de lui lorsqu'on voit la merde ou elle est plongée aujourdhui