La fronde de la police nationale : reflet d’un malaise profond ?
Faut-il la condamner ou la soutenir ? Avant d’y répondre, il convient de noter d’emblée que les motifs pour lesquels une bonne partie de la police nationale s’est révoltée ne concerne pas uniquement cette institution, mais concerne l’ensemble des corps constitués de l’Etat ainsi que la quasi-totalité des membres de la société civile. Elle traduit un ras-le-bol général et dénote le sentiment collectif du ressenti de l’arbitraire, du viol quasi systématique du droit et du mépris dans lequel les hommes du pouvoir politique et les puissants de la finance enveloppent l’ensemble des administrés traités en troupeau de mouton.
Par Ahmed Rouadjia (*)
Au-delà des revendications corporatistes, au demeurant légitimes, et qui se rapportent aux conditions de travail, souvent difficiles, aux augmentations de salaires et aux levées des contraintes qui pèsent sur les épaules de ce corps appelé à accomplir des missions quasi impossibles, comme c’est le cas dans la vallée du Mzab où il est demandé à la police de rétablir l’ordre sans pouvoir user pour autant de la coercition légitime qu’imposent le droit et les circonstances, c’est à la dignité et au respect de soi et du droit que vise la contestation policière en cours. Autrement dit, la fronde de la police nationale à laquelle nous assistons en ce moment et qui ne sera certainement pas la dernière tant les causes qui l’ont suscitée n’ont pas été éliminées à la racine, se révèle être une réaction dirigée essentiellement contre la Hogra, cette forme suprême du mépris qu’appelle le diktat des puissants du moment. Contrairement aux idées reçues, et aux analyses superficielles, la Hogra est depuis bien longtemps une pratique instituée de manière informelle, tolérée, voire encouragée même de manière tacite par les hautes instances politiques du pays. Nul n’y échappe. Les corps constitués, comme la police, l’armée, la gendarmerie, la justice, les fonctionnaires de l’administration, soufrent également, comme les civils, de ce fléaux que constitue la Hogra. Seuls y échappent en effet ceux dont les grades ou les charges institutionnelles et politiques sont si élevées qu’elles les mettent momentanément à l’abri de ce mal récurrent, de cette hydre tentaculaire. Nous disons "momentanément", car une fois tombés du haut de leur piédestal, ces hauts gradés, ces caciques du régime et ces gros bonnets de l’import/export pourraient être à leur tour les "victimes" désignées de la Hogra réactivée par les éventuels nouveaux maîtres de l’heure, qui auront éclipsé leurs devanciers de l’arène politique… et commerciale... pour s’y installer en lieu et place.
Le règne de la loi du plus fort
Tout le monde sait, en effet, et depuis belle lurette, que sous le baptême de la République algérienne démocratique et populaire se dissimule une monarchie régalienne dans laquelle le respect du droit, de la dignité de l’homme et du citoyen n’ont pas droit de cité. Ils s’effacent devant l’arbitraire et la force brute incarnés par le monarque et sa suite princière. République en théorie, monarchie de facto, l’Algérie politique semble s’inscrire en faux contre l’Etat de droit. Elle en est, pratiquement, la négation vivante. Tout en faisant un usage inflationniste du droit, un recours abusif et désincarné des notions juridiques, tant au niveau des textes élaborés qu’au niveau des discours politiques produits, elle demeure une nation tristement captive d’un personnel politique allergique à l’application stricte du droit, et complètement imperméable à la culture juridique qui confère, dans les nations civilisées, aux hommes politiques la dignité et la stature de véritables commis d’Etat. Or les nôtres sont l’exact contraire de ce profil d’hommes respectables et respectueux du droit dans la mesure où ils passent pour être non pas des hommes d’Etat, mais des "décideurs" d’un "système" qui semble préférer l’ombre à la lumière, l’opacité à la transparence. Le qualificatif de "décideurs" que se donnent nos dirigeants est lui-même problématique et renvoie à l’idée de l’informel, et donc à l’absence d’un Etat de droit digne de ce nom.
Le mécontentement et l’indignation des divers corps de la police (URS, CRS…), qui se sont traduits par la levée de l’étendard de la révolte, prennent leur source justement dans ce vécu profondément ressenti d’une injustice subie au quotidien par des milliers d’agents auxquels "les décideurs" ou les chefs "hauts gradés" vouent peu de respect et d’égards.
Les propos livrés par les policiers en révolte, lors de leur sit-in aussi bien devant le Palais présidentiel d’El Mouradia qu’ailleurs, sont le témoignage vrai et indéniable de l’existence d’une hogra érigée en un système de gouvernement. Qui dit hogra dit en effet un mode de gouvernance des hommes et des choses fondé d’après la loi du plus fort. Leurs mots d’ordres revendicatifs tout comme leurs pathétiques témoignages attestent du triomphe de la loi de la jungle, situation qui n’est pas faite pour rassurer le citoyen qui aspire à vivre en paix et en sécurité dans son propre pays. L’impression qui se dégage de tels témoignages est que l’Etat n’est plus désormais en état de garantir la protection et la sécurité de ses citoyens contre le diktat des puissants. L’axiome selon lequel nul n’est au-dessus de la loi n’y est point de mise et s’inverse au profit des seuls détenteurs de hautes charges politiques et administratives pour lesquels la force qui en dérive constitue à elle seule un substitut au droit proprement dit. Nos "décideurs" politiques n’ont donc que faire du droit et s’en passent volontiers tant que la force qu’ils tirent de leur statut leur permet de gérer comme bon leur semble les affaires de la nation.
Imbus de leurs personnes et grisés par l’image «prestigieuse» qu’ils se font de leurs charges, certains de nos «décideurs» ou de nos «hauts gradés» éprouvent en effet un grand penchant pour la force et son usage contre tous ceux qui se mettraient en travers de leurs chemins. C’est pourquoi ils se dispensent de se plier au droit qu’ils bafouent allègrement au mépris de la raison et de la dignité humaine. La conduite de leur progéniture s’en ressent, comme en témoignent les nombreux exemples qui vont suivre.
La protestation des URS et CRS renseigne sur l'absence d'un Etat de droit.
Quand les membres de la nomenklatura bafouent le droit
Le grand mérite de la fronde policière aura été d’avoir corroboré ce que tout le monde sait, voit et ressent depuis bien longtemps : le viol du droit et de la dignité de l’homme et du citoyen par ceux qui nous gouvernent et qui prétendent être les garants de l’Etat et de ses institutions. Le slogan de la police révoltée, affiché dans tous les commissariats du pays, qui rappelle que «L’Etat de droit commence dans les rangs de la police», signifie que cet Etat de droit n’est pas appliqué et pour qu’il le soit effectivement, il faudrait que l’on accorde «aux agents de police toutes les prérogatives dans l’exercice de leurs fonctions pour faire face aux pressions et humiliations subies de la part des hauts responsables de l’Etat ainsi que certains hommes d’affaires». Ces propos sont contenus dans la plateforme revendicative remise par les policiers contestataires aux autorités auxquels il est rappelé par ailleurs qu’ils n’en peuvent plus de supporter les vexations, les humiliations et les abus d’autorité de leurs chefs hiérarchiques, explicitement accusés, de se comporter comme s’ils étaient des propriétaires d’esclaves, et non les gestionnaires respectueux de l’Etat de droit : «Ils ont privatisé, disent les policiers, l’institution à laquelle nous avons prêtée serment. Des agents sont assujettis au service de hauts responsables au lieu d’être au service des citoyens. Il est courant que des chefs privent des agents de leur congé ou d’une permission pour leur assigner des missions qui relèvent de leurs affaires privées»[1].
La démission de l’Etat face aux lobby ?
Ce comportement traduit la démission de l’Etat, pour ne pas dire son impuissance face aux agissements néfastes des groupes de pression et des lobbys économiques, lesquels tendent à triompher de plus en plus sur les principes du droit et de l’éthique qui régissent les grands Etats modernes. En arriver à se servir de l’Etat comme d’un instrument privé, comme cela se pratique chez nous de manière ostentatoire, sans honte ni gêne, c’est reconnaître le caractère maffieux qui préside à la gestion de notre Etat…
Comment peut-on prétendre construire un Etat de droit, et réaliser une démocratie politique, fondée sur la représentation, et l’existence des contre-pouvoirs, quand des chefs se placent au dessus du droit, et violent allègrement toutes les normes juridiques et les règles éthiques sur quoi se fondent les Etats modernes appelés à survivre aux hommes et aux siècles ? tous les discours politiques en effet, et toutes les pratiques de la plupart de nos dirigeants s’inscrivent en faux contre l’Etat de droit et la démocratie, deux concepts auxquels ils n’entendent pas grand’ chose. Les exemples fournis, entre autres, par les policiers protestataires sur le comportement de leur chef en la personne d’Abdelghani Hamel, en sont la démonstration éclatante. Celui-ci comme la plupart de ses pairs qui semblent vouer un culte quasi sacré à la force au détriment du droit et de l’intelligence du monde des phénomènes, n’ont cure du droit et n’éprouvent aucun scrupule à instrumentaliser les sources de l’Etat à des fins personnels.
Que l’on lise, pour s’en convaincre, les témoignages qui fusent de partout et dont voici un échantillon : Dans les propos des policiers, recueillis par les journalistes, reviennent comme un leitmotiv les circonstances qui ont entouré «le mariage du fils du patron de la police». Prenant à témoins les journalistes qui se pressent autour d’eux, un des officiers de police lâche ces terribles mots : «Il faut que vous sachiez que cet événement n’est pas passé inaperçu. Nos collègues d’Oran se sont plaints ce jour-là auprès de leur chef, ils n’avaient pas apprécié d’être mobilisés pour assurer la sécurité des invités d’une fête de mariage, fut-elle celle du fils du grand patron». Et d’ajouter subséquemment :«Dorénavant, ce genre d’agissements doivent cesser et aux responsables de comprendre que nous sommes au service du pays, que nous ne sommes pas leurs domestiques ! La création d’un syndicat est plus qu’urgente pour veiller au respect de nos droits. Ça sera notre rempart contre ce genre de dépassements.»[2]
Ces témoignages disent combien certains de nos dirigeants sont indignes des fonctions qu’ils occupent au sein de l’Etat, et combien ils déshonorent par leurs inconduites notoires la nation et l’Etat aux yeux du monde civilisé. Leurs subordonnés qui sont, en l’occurrence, les fonctionnaires de tous les corps de l’Etat et qu’ils appellent par mépris "les inférieurs" se révèlent, dans les grands moments du péril qui menacent l’existence de l’Etat et de la nation, à la hauteur des défis. Ce sont les simples soldats, gendarmes, policiers et fonctionnaires de l’administration, locale et centrale, qui ont pu éviter, durant la décennie noire, l’effondrement de l’Etat. Sans leur engagement et sacrifice, celui-ci se serait écrouler comme un château de cartes…Certes, il y avait des chefs militaires probes, intègres et résolus qui avaient su combattre les menées séditieuses et faire échec aux tentatives de destruction de l’Etat que nous avions reconstruit, après une longue et douloureuse lutte, sur les décombres de la colonisation française, mais il y en avait d’autres, cependant, qui n’avaient en vue que le chaos pour parvenir à des fins inavoués… Ce sont ceux-là même qui continuent de faire bien des obstacles encore à la construction et au triomphe de l’Etat de droit et dont ils redoutent les retombées négatives sur leur rente de situation.
Ces petits et ces grands voyous du pouvoir qui défient l’Etat et ses agents
Ce ne sont plus désormais les policiers, agents du maintien de l’ordre, qui inspirent la crainte et le respect de l’Etat ; ce sont au contraire les voyous du pouvoir qui font la loi et qui inspirent chez les policiers et les citoyens ordinaires la terreur et l’insécurité. Comment peut-on se sentir en paix et en sécurité dans la rue ou "chez soi" quand l’Etat se montre impuissant à se faire obéir par ces fauteurs de désordre que sont les délinquants de tout acabits et de tous "calibres" ? Imbus du sentiment qu’ils ont d’être les protégés du pouvoir, ces voyous, petits et grands, se sentent d’autant plus forts qu’ils font peu de cas des agents de l’ordre, policiers et gendarmes qu’ils narguent et bafouent à l’occasion. Les faits relevés par les policiers sont d’une exceptionnelle gravité et témoignent, à n’en plus douter, de la déliquescence de l’Etat. Ce ne sont pas seulement les hauts responsables, disent-ils, qui usent à leur égard de l’intimidation, mais "leurs enfants" qui font bien "pire encore ! Ils poussent encore plus loin les humiliations" à l’endroit des policiers qui les interpellent en flagrant délit d’infraction à la loi. Au policier de la circulation qui fait son boulot selon le droit en sanctionnant l’automobiliste fautif, il s’entend dire arrogamment par ce dernier : "Vous osez m’enlever mon permis de conduire, vous allez me le rendre et me le ramener chez moi !’’ Quel suprême défi et quel affront infligés au bougre policier ! Quand les symboles de l’Etat, comme le policier, et le gendarme, sont défiés par des délinquants, que reste-t-il de l’autorité de celui-ci et de la crainte qu’il doit forcément inspirer ?
L’Etat algérien victime du pouvoir politique ?
Tous les propos recueillis de la bouche des différents agents de l’ordre se recoupent et se confortent : les hauts responsables de l’Etat ou certains d’entre eux piétinent le droit, et pour ne pas laisser la moindre trace de leur forfaiture, ils recourent aux ordres oraux, et surtout aux coups de fil : "Les coups de fil d’en haut, assure un des agents interrogés, harcèlent nos supérieurs qui nous ordonnent à leur tour de restituer les documents saisis et de nous excuser pour le désagrément. A défaut, bien évidemment, nous sommes sanctionnés, mutés ou tout simplement révoqués pour une entorse que nous n’avons jamais commise…". Les "hauts placés", comme on dit chez nous, et leurs progénitures pétries de sentiment de puissance et de supériorité, ne sont pas les seuls à manier les armes de l’intimidation dont la hogra en est la forme suprême ; les nouveaux riches et tous ces parvenus dépourvus d’instruction, de culture et d’éthique morale en usent et abusent également comme bon leur semble ; ils traiteraient les agents de l’Etat et tous les citoyens de l’échelle "inférieure" comme des insectes ou des larves…
Les policiers désignent nommément les affairistes et les importateurs qui exercent, selon eux, un fort ascendant sur les institutions de l’Etat au point qu’ils ne se gênent guère pour "nous insulter et nous humilier en public ; ils refusent de se soumettre aux lois de la République et, dans ce genre de situation aussi, par radio ou par téléphone, ordre est donné pour relâcher l’individu immédiatement. La vue des voitures rutilantes de ces nouveaux riches insolents est la hantise pour nous autres." Ces propos qu’aurait tenu un policier en service au centre d’Alger sont confortés par le témoignage d’un autre agent de la circulation interviewé sur les hauteurs d’Alger par un journaliste d’El Watan : "Un jour, j’ai arrêté une voiture pour vérification, dit le jeune policier de 26 ans. Le conducteur refusait de collaborer, j’ai dû alors utiliser la méthode forte pour l’amener à obtempérer, dans les limites de la loi. Le conducteur a tenté de me gifler, j’ai dû alors procéder à son arrestation. L’individu demande alors à parler à mon supérieur, qui l’a laissé user de son téléphone portable. Quelques minutes après, le commissaire s’est déplacé personnellement et m’a demandé de l’accompagner au commissariat […] Le commissaire m’a lancé : "Vous savez pas qui est ce gars ? C’est un importateur très connu et il a le bras très long. Vous voulez me causer des problèmes ? C’est la dernière fois que vous faites ça, je ne veux plus entendre parler de ce genre de chose, dorénavant faites attention !". Un autre agent surenchérit : "Une fois, un importateur connu au square Port-Saïd m’a renversé avec sa voiture, j’ai procédé à son arrestation et confisqué son portable. Il a passé la nuit en garde à vue. Mais quand il m’a revu, il a osé me frapper, après avoir commis l’outrage de m’agresser physiquement. J’ai porté plainte. Le lendemain, il a été relâché par le procureur de la République. Le jour du procès, il a obtenu gain de cause et a été acquitté." [3]
Tous les témoignages recueillis auprès des divers agents de l’Etat interrogés à la suite de cette fronde policière, se recoupent et se confortent, à savoir que l’Etat algérien est l’otage ou presque des puissances de l’argent, de la finance et de l’économie de l’informelle. Cette situation de non-droit n’est, assurément, pas faite pour rassurer le citoyen qui aime son pays et qui aspire vivre en paix et en sécurité chez soi plutôt qu’ailleurs, en exil, fût-il doré. Ces hommes d’affaires semblent disposer d’un pouvoir exorbitant au point d’instrumentaliser l’Etat et de s’en servir à leur seul profit. Ils en arrivent même à réquisitionner les agents de l’Etat pour les mettre à leur service, et dans le cas de la police, ce sont les chefs ou plutôt certains chefs de ce corps constitué qui obéissent de manière moutonnière aux injonctions de ces hommes d’affaires repus et arrogants : "our leurs propres affaires, dit un policier, le chef nous demande, sans ordre de mission, d’assurer la sécurité d’un convoi, d’escorter des camions transportant des marchandises ou des conteneurs, ou tout simplement de patrouiller à proximité des entrepôts et magasins appartenant à ces importateurs ou hommes d’affaires." [4]
Les hauts fonctionnaires qui enfreignent la loi
Certains hauts responsables- ceux-là même qui sont censés faire respecter la loi-, se comportent comme ces affairistes arrogants et incultes. Ainsi : "Lors des contrôles routiers, il est fréquent de constater de infractions commises par de hauts fonctionnaires de l’Etat, mais lorsque ces derniers sont interpellés, ils sévissent systématiquement à coups de menaces et jusqu’aux insultes les plus ordurières. Souvent, ils mettent leurs menaces à exécution. Je connais beaucoup de collègues qui ont subi ce genre de mésaventure." [5]
Toutes les déclarations des policiers, entendues sur les ondes ou lues dans la presse durant ces journées de protestation, sont marquées au coin du bon sens et dénotent un grand sens de la responsabilité civique. Ce sont ces policiers, et tous ces humbles fonctionnaires de l’Etat, tous statuts par ailleurs confondus, qui constituent le socle sur lequel repose l’édifice étatique, et non sur ces groupes de parasites et de profiteurs que sont les affairistes véreux et les hommes politiques dépourvus d’âme, de culture et de conscience patriotique et citoyenne. Les policiers, mais aussi les soldats, les gendarmes, les fonctionnaires honnêtes, et tous ces citoyens ordinaires qui aiment leurs pays et qui rêvent de justice et d’équité, l’ont bien compris : Un Etat n’est fiable, légitime et pérenne que fondé sur le droit, et non sur la loi de la jungle. On ne peut pas construire un Etat fondé sur le droit, qui survit aux hommes, en avilissant ses serviteurs, et en les empêchant d’accomplir leurs missions selon le droit. Un agent dit à juste titre que "le travail d’un policier est de garantir l’ordre." Or, dit-il, "il n’a pas les moyens de le faire. Comment je vais protéger un citoyen alors que je ne le suis pas, puisque je n’ai pas le droit d’utiliser mon arme (dans les manifestations, ndlr) ? Comment travailler alors qu’un repris de justice peut avoir raison contre vous. D’ailleurs, il connaît la loi mieux que vous et moi. Une fois, j’ai arrêté un ministre pour stationnement interdit. Je ne le connaissais pas. Je lui ai expliqué et il m’a dit : tu ne vois pas la télévision ? Nous demandons que le policier puisse travailler sans pressions. Qu’il puisse appliquer la loi sur les enfants des dirigeants comme sur le simple citoyen. Moi, je travaille au centre-ville, quand j’applique la loi sur un citoyen, c’est normal. Quand je l’applique sur un enfant de dirigeant, j’ai des problèmes ! Maintenant, beaucoup de policiers hésitent à arrêter des gens à bord d’une Audi par exemple ! Les hauts cadres sont responsables du peu de considération des gens pour les policiers." [6]
L’arrogance de nos chefs et la conduite morveuse de leurs enfants
Les chefs et les enfants de nos chefs se conduisent comme s’ils étaient au-dessus de la loi. C’est ce qui soulève l’indignation d’une bonne partie de la police, et choque profondément l’opinion publique algérienne qui ne comprend pas qu’un fils d’un dignitaire du régime se conduise d’une manière bien pire que le fils du colon de jadis. C’est pourquoi parmi les exigences des policiers, figure leur chef dont on demande le départ : "Pourquoi demander le départ du général-major Abdelghani Hamel ? On en a marre de sa répression. Certes, il n’est pas à l’origine des problèmes de la police, mais il les nourrit. Pourquoi son fils vient retirer la carte professionnelle à un agent de police par exemple ? Cela s’est déjà passé et quand on retire la carte, cela veut dire que vous êtes révoqué. On demande son départ à cause de sa répression, l’influence de sa famille, sa fille, son fils et sa belle-famille qui gouvernent. On veut un policier à la DGSN ! Un enfant de l’institution, comme M. Afani, par exemple. Il a été marginalisé parce qu’il était un génie. Il a fini par déposer une demande pour partir à la retraite. !"[7]
La plupart des policiers mécontents semblent unanimes pour faire figurer en tête de leur revendication "…le départ du directeur général…", à savoir le chef de la DGSN, Abdelghani Hamel.[8] Comme les citoyens ordinaires, les policiers sont donc eux aussi victimes de la hogra de leurs chefs hiérarchiques, et leurs chefs hiérarchiques immédiats, sont eux-mêmes victimes de la hogra de la part des plus hauts gradés qu’eux et ainsi de suite. Les révocations et les licenciements arbitraires dont seraient victimes maints fonctionnaires de la police seraient légion, et les témoignages rapportés par la presse sont à ce propos nombreux et concordants. Cela sans parler de ceux qui ont été injustement licenciés avant d’être envoyés en prison. Ainsi en est-il de cet inspecteur des RG, nommé Ahmed, qui a été placé en l'an 2000 en détention "sans motifs durant deux ans". Son témoignage que l’on peut entendre sur une vidéo filmée par la journaliste d’El Watan, Fella Bouredji, montre la banalisation de la hogra au sein même de la police. Ces policiers victimes des révocations arbitraires ont organisé un sit-in le 18 octobre 2014 devant le siège de la DGSN à Alger pour stigmatiser la hogra au sein de la police[9].
Que conclure de ce qui précède ? Deux phrases suffisent : si les mêmes pratiques que l’ont vient de dénoncer continuent d’être tolérées, les risques d’anarchie et de désordre ne sont pas à écarter à l’avenir et le pays risquerait bien fort de renouer avec les démons de la décennie noire…
A.R.
(*) Université de Msila
Renvois
[1] Propos attribué à un policier de l’unité républicaine de la police nationale d’El Hamiz, «rencontré lors du rassemblement tenu mardi soir devant le Palais du gouvernement». Lire : «Les dépassements soulevés par les policiers» in El Watan du 16 octobre 2014.
[2] Cité par El Watan, 16 octobre 2014
[3] Cité par Zouheir Aït Mouhoub, EL Watan, 16 octobre 2014
[4] Cité par Zouheir Aït Mouhoub, ibid.
[5] Propos attribué à un agent de la circulation présent à la manif, El Watan, ibid.
[6] Lire : Pourquoi les policiers manifestent-ils ? Témoignages de trois manifestants
[7] Propos d’un policier recueilli par TSA, op.cit.
[8] Lire : Les policiers contestataires se retirent et persistent:"Nous voulons le départ de Hamel!"(VIDÉOS)
[9] Lire El Watan 18 octobre 2014
Commentaires (9) | Réagir ?
il faut les demasque rparce qu'ils nous lisent ça leur fera des pieds ils se verront dans le miroir du peuple
les lunettes c est pour jouer au scotland yard choufouni ya nas