Slimane Azem : une petite place pour un grand homme !
A dose homéopathique, la France commence à reconnaître les figures marquantes de la culture amazighe grâce à l’opiniâtreté de militants associatifs kabyles qui, depuis des décennies harcèlent les élus pour prendre en compte leur patrimoine largement présent dans le pays mais tellement peu visible.
Des places ou des rues sont baptisées du nom de Matoub Lounès, Taoues Amrouche et de Slimane Azem dans certains coins de l’Hexagone, trois grands noms proscrits par les pouvoirs successifs d’Alger. Ce samedi 11 octobre 2014 en présence de près de 2000 personnes, la Mairie du 14e arrondissement de Paris inaugure une petite place du prestigieux nom de Slimane Azem, monument de la poésie kabyle chantée du XXe siècle. Si la place est petite, nous avons la consolation du grand symbole. La place se trouve, en effet, au cœur de la rue Vercingétorix, roi de France et puissant guerrier du début de l’ère chrétienne, fédérateur des Gaulois, mort à l’étranger (à Rome) comme notre célèbre poète.
En effet, c’est depuis plus de 30 ans que s’éteignit en France notre grand artiste, figure emblématique de la poésie chantée qui a marqué la pensée kabyle du siècle dernier. Enterré à Moissac en Tarn-et-Garonne, il n’avait que 65 ans, autrement dit, juste l’âge de prendre enfin sa retraite après une vie pleine d’épreuves. Une vie marquée directement et indirectement par l’affrontement des puissances européennes dans deux guerres mondiales effroyables, par une atroce guerre d’Algérie suivie par celle non moins douloureuse du maquis FFS en Kabylie contre la dictature boumediéno-benbelliste après la libération du pays du joug colonial.
Très jeune, Slimane Azem a commencé à vivre ces événements épouvantables qui ne l’ont pas laissé indifférent. Toute sa famille restée proche de lui comme la majorité des familles algériennes et particulièrement kabyles ont subi déchirements, tourments multiformes mais aussi espoir (idher-ed wagur- irruption de l’astre lunaire symbole de libération).
Fabuliste (ifker, baba ghayu…), moraliste (ddebza u ddmegh…), géopoliticien (terwi tebberwi…), sociologue (idrimen, idrimen…), Slimane Azem a versifié par milliers de rimes sur la vie politique, sociale, culturelle, économique de l’Algérie, de la France et du monde.
Mais sans doute pouvons-nous nous hasarder à dire que ses thèmes de prédilection sont avant tout l’exil (lgherba) et la kabylité (taqbaylit). Sa carrière de grand artiste chanteur a débuté par «a Muh a Muh…», un magistral texte qui met à nu départ, déracinement et illusion du retour. L’auteur nous montre comment l’exil massif des Kabyles vers la métropole se transforme vite en lieu où surgissent les peurs, les ressentiments, le mépris (lwehc u lemhani..). La France tant rêvée se transforme en machine à produire la violence, à broyer l’immigré sans défense, à l’exclure de la vie sociale pour n’en faire qu’une paire de bras bons à la production de marchandises et à des postes pénibles et sous-qualifiés (lgherba tejreh ul-iw…).
Sa vie durant, Slimane Azem cherche à retrouver son enfance, certes misérable, mais pelotonnée car proche des siens et au milieu d’eux. Pour lui, retrouver le monde c’est regagner sa Kabylie natale (A tamurt-iw aâzizen…). Il rêve d’y revenir pour s’ouvrir enfin paisiblement à la lumière des grands paysages qui s’étalent aux pieds de son village haut perché tel le manoir de ccix Muhend-u-Lhusin (lehsin), s’abandonner à la fascination de la nature (laâzayeb, tuddar, lexla…), se confier aux cœurs des gens aimés (ferhen ukk widak hemmlegh….). Pour Slimane Azem, le mythe fondateur c’est la kabylité (taqbaylit) qui se fonde dans la nature (idurar ukk d sswahel…). L’homme s’enracine dans la terre plus radicalement que les arbres qui n’en extraient que les substances nourricières. Lui, c’est dans ses veines que circule la terre ancestrale, celle qui a façonné son âme, irrigué son esprit.
L’ancrage dans les paysages, l’attachement aux lieux vers lesquels il envoie l’hirondelle (afrux ifilelles) pour en ramener des nouvelles sont autant de substrats sans lesquels l’univers serait fade, terne et insignifiant. Cet attachement viscéral, on le retrouve aussi chez Lounis Aït Menguellet (rruh icudd s akal-im a tamurt-iw…).
L’exil chez les kabyles est certes une quête de la subsistance, une émigration économique. Mais ce n’est pas que cela. Ils ont aussi le sentiment de non appartenance, leur destin leur échappe depuis des siècles mais surtout depuis leur défaite de 1857 face à l’armée coloniale et de celle de 1963 face au tandem radicalement arabiste Ben Bella-Boumediène.
La montagne chez les Kabyles comme le désert chez les Touaregs sont des refuges qui les préservent de la compromission. Leur fuite hors du monde des plaines, leur farouche résistance est une manière de s’opposer à la lâcheté de ceux qui pactisent avec l’ennemi. (wi ibghan nnif yali s adrar…), qui veut préserver l’honneur, gagne les monts escarpés chante Idir.
Pour Slimane Azem, l’émigration est vécue comme un bannissement, une aliénation, une solitude radicale. Le rapport de Slimane Azem à la terre ancestrale prend une dimension quasi mystique, seule force fondatrice de l’identité collective. Même heureux à Moissac auprès de sa fratrie et de ses parents, il considère la terre d’exil comme un asile provisoire, une halte transitoire dans l’errance physique et morale. Alors la nostalgie du pays, le désir obsessionnel des retrouvailles avec les siens, tous les siens, la soif de chanter chez lui ravivent les plaies. A travers tous ses textes, on décèle l’envie folle de l’auteur de voir son peuple vivre comme les autres. S’enraciner chez soi, en paix et maître de son destin. Mais Slimane Azem est condamné à vivre et à mourir hors de ces espaces mais dans le cœur des siens ici et là-bas. Si les liens avec son pays sont brisés du fait d’un pouvoir oppresseur, le poète est pour les Kabyles un grand socle référent.
La masse de celles et de ceux venus ce samedi lui rendre hommage, la masse de celles et de ceux qui, régulièrement, commémorent sa mémoire au pays natal sont les marqueurs forts de l’attachement d’un peuple à un poète dont l’œuvre monumentale est et restera une référence culturelle et spirituelle. Son amour indéfectible pour la Kabylie, son ancrage indéniable en Tarn-et-Garonne doivent conduire les acteurs associatifs, politiques, intellectuels à lui ériger deux Mausolées comme ce fût possible pour un de ses Maître plusieurs fois évoqué dans ses vers, « Sidi-Aberrahmane bu-qebrin ». Alors il irriguera de son aura tous ceux qui l’aiment des deux côtés de la Méditerranée et sera le symbole à titre posthume d’une réconciliation certes symbolique mais fondatrice!
Hacène Hirèche
Universitaire et consultant, Paris
Commentaires (8) | Réagir ?
A moh arwal
La cheville de ton Slimane, dont sa famille est pro-française est enterrée en France, quant à la mienne elle est bien dans mon pays. Concernant Abdelkader el Mali, son patriotisme est bien connu. Continue d'écouter ton Slimane pour te soulager - La vérité blesse !
@aziz Gour
cesse de faire le juge suppreme tu b arrive pas à la cheville de Da slimane. Il est plus patriote que ton parain aldelkader el mali