Hocine Aït Ahmed : un nationaliste au destin contrarié (I)
Depuis le dernier congrès du FFS, Hocine Aït Ahmed s’est retiré de toute activité politique. Agé et malade, ce nationaliste de la première heure a traversé depuis les années 1950 l’histoire contemporaine de l’Algérie. Aussi, Le Matindz ouvre son espace à Ramdane Redjala (*), qui propose aux lecteurs une analyse de la trajectoire militante de cet homme sur plusieurs parties. Portrait sans concession.
L’histoire du FFS est jalonnée de crises depuis sa création. Celles-ci reflètent d’une part l’absence d’une ligne politique clairement affirmée, un fonctionnement archaïque qui interdit tout débat démocratique interne et d’autre part un gros malentendu entre une région, la Kabylie, et le zaïm. Pendant longtemps, une large majorité de la population kabyle avait vu, à tort ou à raison, en Hocine Aït Ahmed son porte-parole, l’interprète de ses intérêts spécifiques. Il n’en fut rien. Nationaliste, le chef charismatique du Front des forces socialistes n’a jamais voulu assumer cette responsabilité de crainte d’être catalogué de régionaliste ou pire de berbériste. Conséquence : au fil des années, son parti a perdu l’influence qu’il exerçait sur la Kabylie sans pour autant faire une réelle percée à l’échelle nationale. La dégringolade s’accélère depuis son changement de cap amorcé durant 2011. La désignation d’une nouvelle direction en novembre de la même année et ses différentes participations aux mascarades électorales confirment le revirement stratégique du FFS. Résultat : les trois principales fédérations qui furent son berceau historique, Tizi Ouzou depuis juin 2012, Bejaïa et Bouïra depuis le 31 décembre dernier ont connu de graves déboires. Ebranlés dans leurs convictions, des centaines de militants et de cadres démissionnèrent.
Selon les sources, sa date de naissance varie d’un auteur à l’autre. Historia Magazine n° 200 du 31-11-1974 le fait naître en 1921. Mohammed Harbi donne également cette date (Aux origines du FLN, page 291), Pierre Montagnon la reprend à son tour" La guerre d’Algérie Genèse et engrenage d’une tragédie page 105". Le quotidien Le Monde du 1er octobre 1963 avance quant à lui la date de 1929. En 1981, une biographie officielle mentionne que Hocine Aït Ahmed est né en août 1926. En 1990, le chef du FFS révèle qu’il a vu le jour vendredi 26 août 1926 dans la commune de Michelet aujourd’hui Aïn el Hammam (wilaya de Tizi Ouzou).
Une enfance insouciante
D’origine maraboutique[1], la famille de Hocine Aït Ahmed se trouve à la tête d’une zawiya[2] appartenant à la première et plus importante confrérie religieuse implantée en Kabylie en 1774, celle des Rahmaniya. C’est donc au contact d’un islam populaire, local et berbérisé qu’il grandit. Le jeune Hocine fait partie de ces quelques rares privilégiés qui ont bénéficié précocément d’une double scolarité, en français et en arabe. Dès l’âge de quatre ans, il suit l’enseignement de l’école coranique du village. "On y apprend à lire et réciter le Coran, sans le comprendre, bien sûr. Le cadre et les méthodes, tout y est archaïque". (Mémoires d’un combattant p.24) Il sera toujours mal à l’aise dans cette langue même lorsque devenu adulte, il séjournera pendant cinq ans en Egypte. Après les premières heures de la journée consacrées à l’apprentissage de l’arabe, il rejoint ensuite l’école de Jules Ferry.
Reçu au concours d’entrée au lycée d’Alger, il entreprend ses études secondaires. Durant ses premières années, Hocine Aït Ahmed se considérait comme un "fort en thème" et appréciait les moments consacrés au sport. Jusqu’à sa quinzième année, il n’a milité dans aucun mouvement de jeunesse. En ces temps-là, le choix d’une carrière militaire offrait une meilleure chance d’intégration dans le système colonial. "Cela m’amusait d’apprendre des chansons de marche allemandes, et les impeccables défilés militaires de la Wehrmacht que passaient les actualités cinématographiques m’impressionnaient, sans doute parce que j’ai longtemps couvé secrètement le désir de faire Saint-Cyr". op.cit p.24
En novembre 1942, au moment du débarquement allié d’Alger, le lycée de Ben Aknoun est vidé de ses pensionnaires pour être mis à la disposition des troupes. Le jeune lycéen dut alors quitter la capitale pour rejoindre Tizi Ouzou où il terminera son année scolaire.
Le jeune Hocine Aït Ahmed s'employait toujours à passer entre les gouttes.
Les débuts d’une prise de conscience
C’est son oncle Ouzzine qui le sensibilise au nationalisme donc à la chose politique. En 1943, il adhère au Parti du peuple algérien (PPA) et rejoint la cellule estudiantine à Tizi Ouzou. Après une année scolaire passée à Miliana, il retrouve de nouveau le lycée de Ben Aknoun. Là, il appartient à la même cellule que Sadek Hadjerès qui deviendra plus tard, en 1969, secrétaire général du Parti d’avant-garde socialiste (PAGS) ex-Parti communiste algérien. Sollicité pour prendre part à l’insurrection avortée du 23 mai 1945, il se rend à Tizi Ouzou après s’être fait excuser auprès du surveillant général du lycée. Devant l’échec de cette tentative insurrectionnelle, il retourne au lycée et décroche la première partie du baccalauréat.
En août 1945, il fait office d’agent de liaison entre la Kabylie et la direction d’Alger où il se rend régulièrement une fois par mois. Au cours de l’été 1946, le futur chef du FFS s’oppose pour la première fois à la décision prise par Messali Hadj "le grand zaïm" de retour de Brazzaville où il a été exilé depuis plus d’un an de participer aux législatives du 10 novembre. "De toute évidence, les réalités algériennes n’ont pas été d’un grand poids dans la décision de Messali. Il n’a pas de vision cohérente de l’avenir politique du pays et du parti".op.cit p.83
Le 15 février 1947, il participe au congrès clandestin du PPA à Belcourt. A cette occasion, Hocine Aït Ahmed s’oppose de nouveau au puissant Messali. "En combattant l’idée de lui donner tous les pouvoirs pour constituer le Comité central – ce dont il me gardera rancune - , j’avais dit en passant qu’il n’était pas sain de s’en remettre à un seul homme, quel qu’il fût, mais souligné la nécessité de ménager son rôle d’arbitre au-dessus des querelles". op.cit p.95 Sur ce point comme sur bien d’autres, le patron du FFS n’a-t-il pas reproduit ce qu’il reprochait à Messali ?
Ephémère trésorier du parti, il quitte rapidement cette fonction. En 1948, il remplace Mohammed Belouizdad, affaibli et miné par la tuberculose, à la tête de l’Organisation Spéciale (OS). Cette structure parallèle du parti est chargée de former des militants et des cadres en prévision d’un mouvement insurrectionnel. Considéré comme un "fin stratège" il met au point avec Ahmed Ben Bella, Mohammed Belhadj et Djilali Reguimi le plan de hold-up de la poste d’Oran le 5 avril 1949 sans y prendre part en raison de son appartenance au comité central et au bureau politique.
Au même moment, le parti est secoué par la crise que la direction qualifie abusivement de "berbériste". Pour quelqu’un qui a vécu l’évènement de l’intérieur, son témoignage n’apporte aucun élément nouveau par rapport à la thèse développée par Mohammed Harbi et la chronologie reste approximative. Tout au long de cette crise, il a plutôt essayé de passer à travers les gouttes en adoptant une attitude expectative. Il ne souhaitait sans doute pas compromettre une carrière d’apparatchik qui s’annonçait prometteuse. Il sera cependant écarté de la direction de l’OS au profit de Ben Bella. [3]
Dans ses mémoires, il traite Mohand Cid Ali Yahia dit Rachid de "petit" et "d’irresponsable". Après avoir obtenu son baccalauréat en 1948, Ali Yahia est expédié à Paris pour renforcer la Fédération de France du PPA. Là, il devient rapidement membre du comité fédéral. "Cette ascension, il la doit aux échos provoqués dans l’émigration kabyle à Paris par l’essor prodigieux du patriotisme dans nos montagnes, et non à des qualités ou des prestations personnelles. En effet, il n’a pas appartenu à l’équipe dirigeante du district [Kabylie], ni non plus participé aux grands évènements qui nous avaient propulsés malgré nous à ces responsabilités". Poursuivant sa diatribe, il ajoute : "Quand Ali Yahia est venu nous rejoindre en 1946, j’ai eu du mal à le faire intégrer dans nos structures, d’abord au niveau de son village et ensuite de son douar d’origine, qui est aussi le mien. Et cela pour deux raisons : il est le neveu du caïd dont tout le monde sait qu’il est le bras droit de l’administrateur Dumont, et, en plus, son père est de statut français." op.cit p.178. Hocine Aît Ahmed mêle ici règlements de compte personnels et rivalités familiales. Il ne pardonne pas à Rachid Ali Yahia d’avoir brandi "l’étendard de la dissidence. Il prend l’initiative de faire voter le Comité fédéral sur une motion défendant la thèse de l’Algérie algérienne et dénonçant le mythe d’une Algérie arabo-islamique. Elle est acceptée par une majorité écrasante : 28 voix sur 32. Au sein de la fédération de France du PPA-MTLD, il déclenche une campagne contre l’orientation arabo-islamique". Loin de soutenir les partisans d’une Algérie algérienne, M. Aït Ahmed ne cesse d’accabler celui qu’il considère comme un concurrent potentiel. "A partir de cette épisode, la Kabylie trainera … la casserole du «berbérisme» avec toutes les connotations irrationnelles, négatives et ironiques, attachées à la fonction d’épouvantail. Il y a comme ça des grains de sable, des personnages insignifiants, qui entraînent dans la vie politique des conséquences démesurées." op.cit p.179 De cette époque date son malaise à l’égard de la spécificité Kabyle.
Après plusieurs mois de vie clandestine à Alger où il est recherché, Hocine Aït Ahmed refuse de rejoindre la Kabylie où pourtant il serait en sécurité. Messali Hadj décide alors de l’expédier au Caire afin d’épauler la délégation extérieure. Ahmed Bouda l’informe de cette décision.
A la fin du mois d’octobre 1951, Hocine Aït Ahmed rejoint Le Caire en passant par Paris. Muni d’une fausse carte d’identité établie au nom de Saïd Farhi délivrée par les soins de Moustapha Ben Boulaïd, il débarque à Marseille en tenue "d’officier de marine" avec l’aide des militants du PCF. Après avoir séjourné six mois dans la région parisienne, il franchit fin avril 1952 la frontière franco-suisse en compagnie d’Abdallah Filali, Ahmed Kabba et Zin el Abidine Moundji et rejoint Bâle. Le lendemain, il embarque à l’aéroport de Zurich à bord d’un appareil de la Swissair à destination du Caire. A sa descente d’avion, il est accueilli par son beau-frère Mohammed Khider, Chadli Mekki et Kacem Zidoun.
L’homme d’appareil se fait diplomate
Mai 1952-novembre 1954. Au Caire, il intègre le Comité du Maghreb (Tunisie, Maroc, Algérie) aux côtés de Khider et de Ben Bella. Dans ce cadre, il participe aux différentes conférences régionales des pays du Tiers-Monde faisant ainsi ses premiers pas dans la diplomatie. "Personnellement, j’assurais la permanence au 32, rue Abdel Khader Sarwat, c'est-à-dire que je faisais pratiquement tout le travail de rédaction des mémoires…".
Lors de la conférence de Bandung du 18 au 26 avril 1955, il fait partie de la délégation commune du Comité du Maghreb. "Nous avons soumis un seul et unique mémoire au nom du Maghreb". Cette activité diplomatique sera de courte durée. Le 22 octobre 1956, l’avion dans lequel il a pris place avec les quatre autres dirigeants du FLN (Ahmed Ben Bella, Mohammed Boudiaf, Mostefa Lacheraf et Mohammed Khider) pour se rendre de Rabat à Tunis est intercepté par l'aviation de l'armée française et contraint d’atterrir à Maison Blanche, à Alger. Après avoir été auditionnés pendant cinq jours, Aït Ahmed et ses camarades sont détenus à la prison de la Santé à Paris pendant plus de deux ans. Le 6 mars 1959, ils sont transférés à l’île d’Aix sur la côte de la Charente Maritime.
Au moment où les premières négociations s’engagent entre le FLN et le gouvernement français, ils quittent l’île d’Aix le 20 mai 1961 pour le château de Turquant près de Saumur. A quatre mois du cessez-le-feu, ils séjournent au château d’Aulnoy près de Melun en Seine et Marne. (A suivre)
Ramdane Redjala
(*) Docteur ès Lettres, spécialiste de l'histoire de l'Algérie comptemporaine et auteur de L'opposition en Algérie depuis 1962, éditions Rahma
[1] Appartenant à un Saint de l’Islam (marabout) dont le tombeau est un lieu de pèlerinage.
[2] Centre d’activités religieuses et occasionnellement auberge pour les voyageurs.
[3] Voir Abdennour Ali Yahia : La crise berbère de 1949. Portrait de deux militants : Ouali Bennaï et Amar Ould Hamouda. Quelle identité pour l’Algérie, édit. Barzakh, 2013.
Lire la suite: Hocine Aït Ahmed et la crise de l’été 1962 (II)
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merci
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