Ben Bella : du putsch de 1954 au putsch de 1962 !
52 ans après la prise du pouvoir en 1962 par le tandem Ben Bella-Boumediène, et leur agent de liaison Bouteflika, les algériens s'interrogent toujours sur ce fait accompli : le détournement du combat libérateur de tout un peuple par «le clan d'Oujda», puis des « services spéciaux, MALG, SM et DRS, jusqu'à aujoud'hui en 2014 ! A quelques semaines de l'anniversaire du 1er novembre 1954, il semblait utile de ne pas oublier.
L'ouvrage (*) de Fathi El Dib, publié en 1986, est un témoignage précieux de sa propre implication personnelle dans la guerre de libération nationale algérienne depuis le Caire. Il était délégué du Président Nasser aux affaires d'Afrique du Nord et du monde arabe. Ce livre constitue un document unique pour connaître de l'intérieur les péripéties de la lutte contre le colonialisme français, l'influence égyptienne et les luttes intestines entre les différents acteurs du FLN algérien à l'extérieur.
Cet ouvrage mérite d'être lu et analysé par tout algérien désirant comprendre ce qui s'est passé depuis 1954 jusqu'en 1962 et les conséquences bien après 1962.
La guerre de libération nationale algérienne est perçue et exploitée par le tandem Nasser - Fathi El Dib comme un élément d'un puzzle du panarabisme. Les deux l'expriment ouvertement et leurs actions sont menées continuellement dans cette stratégie, exclusivement.
A travers Fathi El Dib, on comprend que la stratégie de Nasser est d'une remarquable fidélité à la stratégie définie par Muhend Abdelkrim n At Waryaghen (Abdelkrim El Khettabi), le dirigeant principal de la guerre de libération marocaine dans le Rif, de 1920 à 1926. Abdelkrim était déjà réfugié au Caire depuis 1947, avait créé le Mouvement de Libération du Maghreb. Il était consulté par Nasser. La stratégie de Muhend Abdelkrim était basée sur 3 principes :
- Engager la libération simultanée des 3 pays d'Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie)
- Libération par les armes contre le colonialisme français et espagnol par une guerre de guérilla populaire,
- Commandement unifié de l'armée de libération du Maghreb.
Le Président Nasser a été d'une constance exemplaire dans cette stratégie, qui mérite le respect. Bien évidemment, Fathi El Dib ne manquera pas d'attribuer cette stratégie à Nasser et à lui-même !
Pour l'aspect opérationnel de l'aide politique et militaire du Caire à la guerre menée par le FLN/ALN en Algérie, l'action de Fathi El Dib, point de convergence de tous les acteurs de l'extérieur, est une succession de luttes d'influences, de personnes, de tendances pour le contrôle du FLN, le long d'un fil conducteur qui devait être principalement le soutien diplomatique et l'approvisionnement en armes des maquis en Algérie. La réalité est toute autre.
Le putsch de 1954 !
Dès le départ, il y a fausse donne et usurpation de fonction. Mezziani Messaoud, alias Ahmed Ben Bella, qui était déjà au Caire, s'est présenté au couple Fathi El Dib – Nasser comme le responsable politique et militaire de la guerre de libération et qui s'attribua la réussite de la fusion des partis politiques (UDMA et Oulemas) dans le FLN. Nasser et Fathi El Dib ont pris acte de cette position et l'ont maintenue jusqu'en 1962. Ni les mises au point des envoyés FLN de l'intérieur, ni Boudiaf, ni Abane lui-même n'ont pu faire changer de position à Nasser. Un entêtement stratégique jusqu'à l'absurde. Pour les Egyptiens, le CCE n'a pas existé, Ferhat Abbas et Ben Khedda n'étaient pas présidents successifs du GPRA, mais premiers ministres de Ben Bella. Pour les Egyptiens, il n'y a pas eu arrestation des cinq responsables du FLN en 1956, mais de «Ben Bella et ses camarades» et : «Le 23 octobre 1956, le gouvernement français avait organisé une série de réunions à la suite de l'enlèvement de Ben Bella.». Exit Boudiaf, Khider, Aït Ahmed et Lacheraf !
Après l'arrestation des 5 responsables FLN, le couple Fathi El Dib – Nasser voulaient faire venir au Caire un responsable militaire de l'intérieur (qu'ils auraient choisi au préalable avec Ben Bella) pour remplacer celui-ci au Caire (et en sous-entendu pour conduire la guerre... depuis le Caire !).
Le congrès de la Soumam est disqualifié car "Abane.. avait ignoré l'appartenance arabe et islamique (de l'Algérie), ce qui constituait une déviation par rapport aux principes énoncés dans la constitution du 1er novembre 1954".
Nasser a choisi son candidat.
Le témoignage est une suite d'opérations et de jugements expéditifs pour orienter la lutte dans le cadre du panarabisme et disqualifier les concurrents de Ben Bella (" Boudiaf régionaliste", Aït Ahmed "fanatique Kabyle qui éduque ses enfants dans cette voie", Krim "Kabyle borné", Boussouf "criminel", Ferhat Abbas "politicien bourgeois prêt au compromis avec la France" (entendre trahison), Abane, "chef du groupe de militants d'Alger", "… chef de la Kabylie", a "une ambition personnelle démesurée") en y ajoutant une prétention de sélection génétique arabiste pour le tri des acteurs qui pourraient renforcer Ben Bella (un tel est "Arabe d'origine", et Ben M'hidi dénommé "Mahieddine El Arabi").
Le lecteur découvrira l'existence d'un contact permanent entre Nasser, via Fathi El Dib, et Ben Bella depuis le début de la guerre, en prison et pendant les négociations jusqu'aux accords d'Evian. Nasser était consulté par Ben Bella pour toutes les initiatives et décisions et lui avait «demandé un plan pour faire converger les différentes tendances algériennes» à Evian. Nasser était de fait son chef.
A travers le récit de Fathi El Dib, on se rend compte de toutes les tentatives menées pour diriger la guerre de libération nationale à leur profit et s'octroyer les mérites. C'est de bonne guerre dans la stratégie panarabiste revendiquée alors par Nasser, afin, dit-il, "d'éloigner les occidentaux de l'Afrique du Nord". Pour cette stratégie, Nasser et Dib avaient trouvé leur agent : Ben Bella.
Le putsch de 1962 !
Dans cette entreprise, Nasser avait un coup d'avance. Les choix des destinations des armes, qui devaient normalement aboutir chez les maquisards de l'intérieur, étaient des plus curieux. D'énormes quantités étaient dirigées vers «le front d'Oran», mais en fait elles étaient stockées au Maroc ; pour quel objectif ? Le doute est enfin levé lors de cette livraison du 9 avril 1962 pour Boumediène pour la prise du pouvoir : 200 camions, 100 Jeeps, 50 camions-tracteurs pour canons, 12 avions MIG15, 40 voitures blindées. Et dire que la guerre contre la France coloniale était terminée depuis le 19 mars ! Le noyautage de la révolution s'était déjà réalisé lors de l'envoi de la première cargaison d'armes vers le Maroc le 24 mars 1955, par le yacht Dinah. Parmi l'équipage, il y avait plusieurs cadres formés au Caire et programmés pour diriger la révolution algérienne, dont Mohamed Boukharouba (alias Houari Boumediène) !
Les livraisons répétitives d'armes pour ce mystérieux "Front d'Oran" (en réalité : "groupe d'Oujda), mais en fait livrées dans le Rif, au Maroc pour la Wilaya 5 puis l'EMG, n'avaient pas d'autres objectifs que de renforcer ses hommes et d'assurer la mainmise de Nasser sur la révolution algérienne.
Au-delà de l'action politique, le côté agent secret et manipulateur de Fathi El Dib est ramené à plusieurs reprises dans ce témoignage. A propos de l'assassinat de Abane, il tranche : "...Krim Belkacem en était l'instigateur", pour liquider aussitôt ce dernier : "Ainsi finissait l'étape avec Abane alors que commençait avec Krim Belkacem l'étape de conflit et de tentatives de domination personnelle". Et plus loin, lorsqu'il écrit : "j'avais appris que Krim et Boudiaf projetaient d'assassiner Ben Bella lors de son entrée à Alger à la tête de l'Armée de Libération" (comprendre l'armée stationnée au Maroc et en Tunisie), Fathi El Dib ne convainc personne.
L'Egypte nassérienne a certainement aidé l'Algérie dans moment crucial où peu croyaient à la fin de la colonisation française en Afrique du Nord. Mais cette aide n'était pas désintéressée Et cet ouvrage, riche d'enseignements, le montre très bien. Il constitue un modèle précieux d'ingérence panarabiste.
Les jeunes Algériens devraient l'étudier pour que l'Algérie ne devienne plus victime des ingérences actuelles et futures...
Aumer U Lamara
(*) Abdel Nasser et la Révolution algérienne, Fathi Al Dib, éditions L'Harmattan 1986, 443 pages.
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merci
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