Faut-il participer aux prochaines "Assises de la Culture" ? (III)
Dans le prolongement des deux premiers proverbes-viatiques «La poule dit au poussin, cherche ta pâture, je n’ai point de sein» et «L’escargot était libre, il s’est encombré d’une coquille. », nous investissons maintenant la problématique, faut-il participer au prochaines "Assises de la Culture" ?, via le troisième (et dernier) aphorisme : «Quand le garde-champêtre veut péter, il tape plus fort sur son tambour».
Par Saadi-Leray Farid
Le garde-champêtre en question, n’est autre que la prétendue "Famille révolutionnaire" qui, après s’être donc ingéniée à instrumentaliser politiquement la mémoire et l’histoire d’une Guerre de libération mise sous scellés ou embargo, actionnera, par sbires interposés, la gâchette des meurtres d’auteurs et créateurs supposés défendre «(...) une tendance nationale qui trouve intérêt à l'assimilation avec l'ancien dominateur.» (Mostefa Boutefnouchet). En troisième acte, elle approchera, via les forces de sécurité, les djihadistes de l’Armée islamique du salut (AIS) ou de la Ligue islamique pour la da’wa et le djihad (LIDD), négociera avec des émirs rétifs aux sciences sociales et humaines, à la philosophie et aux arts, une amnistie (gratifiée par le décret présidentiel du 10 janvier 2000) puis une "moussalaha el wataniya" ("réconciliation nationale") adoptée par référendum et bientôt transformée en constante nationale. Ce transfert pernicieux empêchera les victimes du terrorisme de recourir à la justice pour demander vérité ou réparation, de remettre en cause l’article 02 de la Loi fondamentale constitutionalisant une "concorde civile" réduite à sa dimension sécuritaire. Elle consacre en définitive l’impunité, car n’autorise pas de parler de la "Décennie tombale" (Les dessins des journalistes Tahar Djaout ou Saïd Mekbel, assassinés à Alger et intégrés en octobre-novembre 2003 à l’installation que le plasticien Denis Martinez avait agencée à la Friche "Belle de mai" de Marseille, ne pourraient pas être montrés en Algérie si l'on se réfère à l’arrêté du 28 février 2006 stipulant que «(…) toute déclaration écrite, ou autre acte, utilisant ou instrumentalisant les blessures de la tragédie nationale°» est déclarée illégale). L’épisode étant considéré comme clos, la modification procédurale stipule la grâce pour les criminels, le blanchiment du casier judiciaire de repentis (ayant pourtant psalmodié les oraisons funèbres conduisant à l’élimination physique de pseudo-mécréants), l’indemnisation à hauteur d’une somme allant de 1,3 à 1,7 million dinars (entre 12.000 et 16.000 euros) des parents ou femmes de maquisards abattus. Après des rancunes tenaces ruminées envers une population plébéienne plus ou moins crédule, mais délaissée pour avoir consenti ses bulletins au Front islamique du salut (FİS) lors du premier tour des législatives de décembre 1991, s’en suivra une panoplie de renoncements, tolérances et avantages. De ces points de vue, le "Pacte de l’oubli" retardera plus encore la floraison de la société en tirant vers le bas une école et université délivrant des diplômes obtenus moins sur le mérite que sur le principe des passe-droits, de commodités tacites enclines à protéger la médiocrité, à ne pas fâcher une mouvance certes disloquée mais dont le message religieux a impacté la psychologie environnante au point que le journal Jeune Afrique du 28 mai 2014 révélait qu’à l’approche des épreuves du baccalauréat des mères pensaient favoriser la réussite de leur progéniture en recourant à une roqya (exorcisme) pratiquée par des imams eux-mêmes persuadés de pouvoir «Exorciser les démons de la peur et du stress». Dans une mosquée de Blida, Cheikh Mohamed Ziani exerce ainsi son emprise sur des foules de fidèles cherchant à "calmer leur esprit". Ce charlatan prospère à l'ombre de l'ignorance que nourrissent à leur façon des salafistes remâchant le secret espoir de renverser la donne sur le compost de l’injustice, du chômage et de la pauvreté. Cependant, leur actuel percussion mentale sur la jeunesse est à l’image de la fragile influence d’une opposition politique ne disposant pas de canaux appropriés pour s’exprimer utilement, de sorte que ces groupes d’intérêts aux attributs de puissance politico-publique que sont les militaires (ANP, un instrument au service du Président), les services secrets (DRS), les fonctionnaires (ministères fourmillant des auxiliaires du FLN et du RND) et le syndicat majoritaire et exclusif (UGTA) considèrent qu’ils peuvent allègrement se passer de voix discordantes. Lorsque ces cercles hautains et mythomanes (avec les organismes affiliés au ministère des Moudjahidine, ils composent la "Famille révolutionnaire") feignent de les entendre, c’est pour calmer les ardeurs et frustrations, contenir la grogne populaire en versant des subsides compensatoires, et de la sorte mieux accaparer les leviers de l’économie informelle. Le système de la mamelle et de la ristourne maintien un certain consensus sur le leadership, coopte des pions stratégiques dans la gestion institutionnelle de façon à ce que les rivalités et avidités des divers clans ne s’opèrent pas au grand jour. Sa dévotion tenace d’élargir le champ de la prédation est de ce fait constitutive d’une foi exhaustive laissant penser que sans lui un peuple aux fortes concentrations régionales ou ethniques éclaterait. Il s’adosse sur ce type de présupposé pour (dépêchait le 19 août 2014 le périodique El Watan) neutraliser les contradicteurs de la vie associative, écraser des confédérations indépendantes dans l’étau répressif d’une campagne ciblant les présidents du Syndicat national autonome des travailleurs de l’électricité et du gaz de Sonelgaz (SNATEG), Boukhalfa Abdellah, du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (SNAPAP), Rachid Maloui, du Syndicat national autonome des travailleurs de la poste (SNAP), Mourad Nekkach, ainsi que son chargé de la communication, Tarek Amar Khodja. Leur suspension puis licenciement procèdent d’entraves à l’encontre de ceux qui, refusant d’abdiquer, réactivent des mœurs contestataires oubliées ou enterrées, remettent en cause des privilèges, le gaspillage ou la dilapidation de deniers publics et, plus encore, les prévarications. Pour enrayer les enquêtes que le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) poursuivait au niveau des "embrouilles économiques", Abdelaziz Bouteflika (ou son proche entourage) a commencé par dissoudre le décret du 09 février 2008 (il concentrait la police militaire au sein d’une seule structure placée au plus haut niveau de la hiérarchie du ministère de la Défense). Puis il a signé le 11 juin 2014 le décret 14-183 du 14 juin 2014 (J.O) portant création, en fait le retour, du service d’investigation judiciaire au sein de la Direction de la sécurité intérieure (DSI), partie intégrante d’un DRS aux compétences escamotées car désormais sous la surveillance de la justice, entre autres du procureur général (magistrat civil), et le contrôle de la chambre d’accusation. Ses officiers ne peuvent plus investiguer sur la corruption, donc inquiéter les protégés du Président, en sortant les dossiers litigieux qui croupissent dans les bureaux des juges depuis plusieurs années. Leurs tâches s’arrêtent aux aptitudes sécuritaires, se résument à la finalisation « (…) des procédures judiciaires indispensables au recueil des preuves morales et matérielles inhérentes aux crimes et délits en relation avec la sécurité du territoire, le terrorisme, la subversion, le crime organisé », à constater les infractions à la loi pénale et au code de justice militaire, à rassembler les preuves et à rechercher les incriminés tant qu’une information n’est pas ouverte. Parmi les 13 articles de la nouvelle ordonnance, le numéro 10 prohibe toute intervention initiée en dehors des «(…) attributions conférées » au général Toufik Mediene, ce qui veut dire que ce taulier (toujours indéboulonnable) exécute les instructions et défèrent les mandats juridictionnels à leurs réquisitions sans fouiner de façons approfondies (comme il avait jusque là l’habitude de faire en service commandé), et encore moins soulever le voile noir de la torture.
L’avocat et ex-député Mustapha Bouchachi soutien que les violations de l’intégrité physique génèrent « (…) toujours des victimes » en Algérie, cela en raison du non amendement du code pénal, de sous-mécanismes de vérification des bureaux de la police procédurière, et surtout « Parce que la justice algérienne n’est pas indépendante». Présumé responsable d’un film montrant pendant les émeutes de novembre 2013 des agents de maintien de l’ordre en train de piller un magasin de Guerrara, Youcef Ouled Dada (informaticien de formation), sera arrêté puis écroué à la prison de Chaâbet Ennichène de Ghardaïa après sa condamnation à deux ans ferme par le tribunal de cette ville du Sud. İl y est incarcéré en vertu de la publication et du partage d’une vidéo (soumise au laboratoire scientifique de Châteauneuf qui a conclu à un montage touchant à l’intérêt national), du délit d’outrage au corps constitué d’un Pouvoir dont la feuille de route est de proroger le statu quo. Ce régime autocrate bloque un processus de transition que réfutera à son tour, « Dans le fond et la forme », Abdelmalek Sellal face à des députés auxquels il confiait le jeudi 05 juin 2014 que l’alternance « (…) est derrière nous » puisque la "Réconciliation nationale" corrobore « (…) un projet civilisationnel (qui) concerne tous les Algériens depuis l’indépendance. ». Pour faire valoir une transvaluation démocratique et pacifique, certains prennent pour exemple le Portugal ou encore le Brésil, pays qui, bien que sous l’emprise d’une dictature militaire, a su négocier un bouleversement paisible en échange d’une entière impunité de l’Armée, un casus belli inscrit dans la Constitution. Pour le politologue Rachid Grim, celle en pourparlers en Algérie est déjà ficelée et les consultations en cours «(…) serviront d’alibi pour crédibiliser une démarche» à laquelle collabore quelques dits démocrates. Si d’autres s’associent à des partis d’obédience islamiste pour provoquer le fameux changement de rapport de forces, capter l’éveil des citoyens, l’avocat Mokrane Aït Larbi demeure de son côté tout autant persuadé que les amendements contenus dans le correctif constitutionnel conforteront la logique de non-capitulation du président de la République, témoigneront qu’il «(…) n’existe point de proposition montrant sa volonté de séparer les pouvoirs», que le candidat des militaires et des baltaguia (nervis) se maintiendra au poste de «(…) président du Conseil supérieur de la magistrature », continuera à légiférer «(…) sans limite par ordonnance.». Conforté dans son emploi de chef de l’Exécutif, Abdelaziz Bouteflika peut «(…) dissoudre le Parlement et désigner un tiers du Sénat sans qu’il soit politiquement responsable devant aucune instance», une situation équivalente à celle qui prédomine dans l’univers biscornu de la presse où des journaux se retrouvent, du jour au lendemain, subrepticement sans «(…) publicité publique (…) répartie selon l’allégeance et non pas en fonction du tirage».
Maître de cette publicité et des médias pendant plusieurs années, le colonel Fawzi, ex-officier du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), se trouvait au début de l’été 2014 sous le coup d’une interdiction de sortie du territoire national (ISTN). İl lui était justement reproché une gestion opaque de ce véritable ministère de l’information qu’est le Centre de la communication et de la diffusion (CCD). Augurant des batailles claniques et d’influence au sein du Régime, son éviction marquera également le début de la mise à l’écart des généraux Djebbar M’henna (le patron de la Direction de la sécurité de l’Armée) et Chafik (chargé de la corruption). La reprise des hostilités entre les clans et sous-clans à l’intersection des segments décisionnels et centraux du Pouvoir n’épargnera pas Mohamed Meguedem, limogé de son poste de conseiller à la Présidence. Connu pour ses manigances au cœur des réseaux transversaux et des milieux d’affaires politico-militaires ou militaro-industriels, ce chef du département communication (en 1987) lancera à partir du journal L’Hebdo libéré des bombes incendiaires contre les tentatives de rénovation-mutation de Mouloud Hamrouche, et s’emploiera à briser la dynamique discursive de quotidiens ou hebdomadaires critiques à l’égard de la politique de Bouteflika, comme par exemple Le Matin, un pilonnage que quelques observateurs avertis croient être maintenant dévolu à Hamid Grine.
Invité le samedi 05 octobre 2013 au nouveau Salon littéraire algérois "Ikhwan Al Safa" du directeur de publication d'El Djazaïr News, H’mida Layachi (ou Hamida Ayachi), l’ancien journaliste sportif, et dorénavant chargé des relations avec la presse chez "Djezzy" (une filiale algérienne d’"Orascom Telecom Holding", entreprise de l’Égyptien Naguib Sawiris), y avouera que ses influences romanesques n’étaient «(…) pas algériennes», d’autant moins d’ailleurs que malgré ses relectures de Nedjma, la déconstruction spatio-temporelle de l’œuvre lui échappait encore. Adepte des sommaires dichotomies culturelles, l’écrivain (son autre casquette) accoucheur de Camus dans le Narguilé fera remarquer qu’il «(…) est tabou de critiquer Kateb Yacine» et plus commode « (d’)assassiner Tahar Ouettar », alors qu’un auteur moyen maîtrisant la graphie ou la langue de Voltaire a pignon sur rue, contrairement au « (…) meilleur écrivain arabophone ». Pour lui, Rachid Boudjedra a complexé beaucoup d’Algériens, et reste à ce titre «(…) un provocateur qu'il ne faut pas prendre au sérieux», d’autant plus qu’il n’aurait, selon lui, aucun droit de juger «la jeune littérature francophone algérienne», certes talentueuse, mais qui «(…) veut tuer les aînés». Ces nouveaux nés sont-ils réellement sincères et «Algériens dans leur écriture ?», questionnera un homme mis en 2013 à l'écart des conférences et ateliers du Salon international du livre d'Alger (SILA décidé du 30 octobre au 9 novembre 2013 au Palais des expositions des Pins Maritimes). Il sera néanmoins quelques mois plus tard nommé donc au poste de ministre de la Communication et osera en tant que tel se déplacer le 26 mai 2014 chez la veuve de Tahar Djaout après avoir fait paraître dans le périodique Liberté un papier dithyrambique sur Tahar Ouettar, celui-là même qui avançait ne pouvoir «(…) tolérer un Djaout ou un Mimouni parce qu'ils ne se revendiquent d'aucun pays (...), ne sont pas pour moi des Algériens», parce que l’assassinat en 1993 du premier était «(...) une perte pour la France». En disant publiquement vivre «(…) une relation apaisée avec les écrivains arabophones », Hamid Grine pensait sans doute pouvoir se poster comme l’entremetteur conciliant entre les entités littéraires conflictuelles. Aussi, s’improvisera-t-il finalement redresseur de torts en décrétant la création d’un prix (de la presse écrite) portant le nom de l’ex-chroniqueur de l’hebdomadaire Ruptures (Djaout), «(…) afin que son exemple (…) devienne l’idéal à suivre pour les jeunes journalistes». Après avoir distribué la réclame de l’opérateur de téléphonie mobile "Djezzy", Hamid Grine gère maintenant celle officielle de l’Agence (ou Entreprise) nationale d’édition et de publicité (ANEP), c’est-à-dire une manne mensuelle de plusieurs milliards de centimes, une corbeille gigantesque ne répondant à aucun gage commercial et grâce à laquelle le Pouvoir renfloue des quotidiens chancelants, achète la paix médiatique. L’octroi des insertions publicitaires permettant d’inspecter l’imprimatur, de bâillonner les journaux, de garder une mainmise sur leurs colonnes, de donner en cela un crédit sonnant et trébuchant à la devenue sacro-sainte stabilité, il empêche la naissance d’une «(…) presse objective et une concurrence loyale», avancera Amine Naït Djoudi, dans le quotidien El Watan du 18 août. 2014.
Chargé de faire le ménage, de donner un coup de ballet en direction des périodiques désapprouvant le quatrième mandat de Bouteflika, l’ordonnateur en chef (Hamid Grine) se donne aussi pour mission de serrer les rangs d’une profession où l'insulte et la diffamation seraient supprimées, de parvenir à une nouvelle configuration du paysage médiatique. Dans cette perspective, il a fait valider le 22 juillet 2014, au siège de l'Agence presse service (APS) d’Alger, la commission provisoire (supposée devenir ensuite permanente) de délivrance de la carte nationale de journaliste professionnel, une instance dont la principale fonction sera d’autoriser les recensés à exercer. S'en suivra la prégnance d’une autorité de régulation (de la presse écrite, du conseil supérieur de l'éthique et de la déontologie) qui visera à séparer le bon grain de l'ivraie et à connaître qui est journaliste et qui ne l'est pas ? L’appétence à statuer sur ce qui est un "Vrai" professionnel relève d’une espèce de paranoïa inhérente au droit d'accès aux sources informatives. Également relative à un cercle prétendument angélique, elle se confond avec une phobie maladive consistant à révéler de l’authentique, de la chasteté ou de la virginité. Dans ce contexte, Hamid Grine a appelé les annonceurs à confier leur réclame aux journaux "vertueux" alors qu’au sommet de l’État ne règnent que mensonges, duperies et leurres en tous genres, alors que la plupart des titres de la presse écrite appartiennent à des cellules ou rouages proches du Pouvoir, alors que ceux aux tons inquisiteurs ont été bureaucratiquement et judiciairement harcelés suite à des intimidations économiques qui s’expriment donc à travers un pactole publicitaire servant là aussi à enfumer par intoxications ou à arroser les plates-bandes pour que germent les nœuds gordiens de l’étranglement des chroniqueurs critiques ou francs-tireurs. L’établissement de leur carte professionnelle est ressenti comme une preuve supplémentaire du ragréage de l’ordre établi, une manière de focaliser l’attention sur un sésame plus facilement adressé à «(…) un magnat de la finance ou à un homme politique», qu’à un professionnel «(…) ayant une grande expérience dans le domaine » (Amine Naït Djoudi). Occulter une véritable communication pour que celle-ci demeure déficitaire et principalement exogène, miser sur le quantitatif au détriment du qualitatif (on retrouve ici l’antinomie éthique de communauté-éthique de singularité), connecter le droit à l’information au Droit pénal, voilà qui démontre bien le désir de saboter la distribution, de cadenasser la couverture ou la mobilité de tirages à la tonalité agissante et fructueuse. Auteur de Le Pouvoir, la presse et les intellectuels en Algérie, Brahim Brahimi condamnera la reconduction anachronique du ministère de la Communication et rappellera que, à l’image d’El Watan et d’El Khabar «(…) qui sont de véritables SPA avec comme actionnaires des journalistes », certains journaux ont réussi depuis juin 2001, «(…) à échapper à ces pressions en se dotant de sociétés d’impression».
Attaché à son indépendance éditoriale et économique, Le Quotidien d’Oran possède désormais sa propre imprimerie, échappe ainsi au chantage de gouvernants cherchant à embrigader les médias. Malgré les engagements de réforme d’avril 2011 laissant croire à leur ouverture audiovisuelle, la loi organique du 12 janvier 2012 verrouillera le champ en question, comme le démontrera l’écran flouté de la chaîne "Al Atlas TV", interdite d’émission depuis six mois. Son directeur général, Hichem Bouallouche, aura fait les frais d’une fermeture arbitraire conduisant à la mise sous scellés de ses studios, de la confiscation de tout son matériel, cela sans motifs justificatifs, sans le respect des procédures judiciaires légales, simplement parce qu’il traduisait verbalement les maux qui minent une société otage des turpitudes de dirigeants incrédules. Ils persécutent ceux excluant de servir de simple caisse de résonnance, menacent les récalcitrants, frappent dans le silence des cachots et tapent pendant ce temps là plus fort sur leur tambour.
Obnubilés par la gestion équilibrée des forces contraires en présence, ces gardes-champêtres s’apprêtent par ailleurs à acheter leur tranquillité avec un nouveau plan quinquennal d’un montant de 21.000 milliards de dinars (262,5 milliards de dollars) ébauché le 26 août 2014 en Conseil des ministres. Malgré le déclin annoncé des exportations d’hydrocarbures, les dépenses d’équipement et de fonctionnement (prévues en 2015 pour le projet de loi de finances) prorogent une folie dépensière qui sape la réelle rupture dont ne veulent pas davantage Benflis, Hamrouche et Zeroual, tous enclins au retour du même sous la fausse apparence du nouveau. Souhaitant améliorer le visage écorné d’un système dont il est la pure émanation, le trio ressemble en la circonstance au positionnement jusqu’au-boutiste de Mikhaïl Gorbatchev. Dernière figure de la République socialiste fédérale soviétique, cet ancien Premier secrétaire du Parti communiste disparaîtra avec une URSS dissoute par le Soviet suprême parce que, et malgré sa pérestroïka, resté hostile au changement évolutif qui débouche sur une réelle démocratisation de la vie politique et associative, une libéralisation des médias, de la culture et de l’art sincèrement souhaitée par Yasmina Kadra (de son vrai nom Mohammed Moulessehoul). Pour avoir osé dénoncer un enfumage électoral, il se fera éjecter de la direction du Centre culturel algérien (CCA) de Paris (dès le 30 avril 2014). Que des doutes persistent sur la véracité du personnage, que l’on raille au plaisir sa mégalomanie (comme aime le faire Rachid Boudjedra), il n’empêche, qu’après avoir mis les pieds dans le bourbier anti-islamiste ou anti-djihadiste, l’écrivain a touillé sans réserve le couscoussier algérien, remuant à l’occasion sa sauce piquante, celle qui cuisinera d’autres intellectuels modernistes trop prudents, car cherchant à épargner leurs appuis institutionnels.
Conclusion
Nouria Benghebrit Remaoun, l’ex-responsable du Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC), du conseil d'administration de l'Agence nationale de valorisation des résultats de la recherche et du développement technologique (ANVREDET), du comité exécutif du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA), et dorénavant ministre de l’Éducation, a commencé à opérer l’éviction de quelques défenses "d’y-voir", elle a donc débuté le dépoussiérage du "Grand mammouth". Voulant aussi peut-être surseoir aux dichotomies globales enfermant les sciences humaines dans une logique simpliste de la contradiction, elle a apporté une coloration politique au débat et pris conscience de l’utilité de choisir un personnel d'encadrement plus prompt à réagir, à montrer de la détermination dans l’engagement moderniste. Responsabilisant un entourage sans doute prêt à faire "bouger le cocotier" « Tout en gardant le fond, qui est l’algérianité», les convergences, réorientations et réajustements de Nouria Benghebrit Remaoun parviendront-ils à réformer en profondeur le champ de la connaissance et de l’éveil ?
Cette interrogation est tout aussi valable pour Nadia Cherabi-Labidi, laquelle a de son côté terrassé le 07 août 2014 Mustapha Orif de son poste de directeur général de l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC). Le limogeage interviendra en résonnance aux vives critiques formulées le 17 juillet par les cinéastes et à la mise au point intempestive, voire malencontreuse, publiée dans le journal arabophone El Khabar par l’ex-agent économique ou ex-gérant de la galerie d’art "Issiakhem" (débaptisée et renommée "İsma" ou "Esma"). Prévisible et espéré par ses détracteurs directs, son congédiement ravira pareillement "l’aile gauche de la poule", celle sous laquelle couvent les vieilles rengaines des années de plomb ou des utopistes qui auront insufflé à Nadia Cherabi-Labidi la problématique, désormais obsolète, de savoir comment amener le théâtre, et avec lui l’art en général, «(…), à l’usine, à l’université ? ».
L’interrogation de l’heure est plutôt de répondre à la meilleure manière d’entraîner les publics algériens au sein des actuels espaces culturels, notamment au Musée national public d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA). Il nous faut sans doute encore répéter, que le choix de transformer les anciennes galeries algériennes de la rue Larbi Ben-M’hidi en une institution vouée aux expressions du sensible, ne résulte pas d’une logique interne à leur propre développement, d’une évolution intrinsèque au processus créateur des plasticiens. Sa genèse orbitale ressort de l’ambition d’achalander en 2007 les étales d’Alger, capitale de la culture arabe, d’honorer du cérémonial à l’instar de l’image positive que les peintres, sculpteurs, vidéastes, installateurs ou performeurs doivent transmettre du pays, cela en conformité avec ce qui leur avait été suggéré en 2003 au moment de l’Année de l’Algérie en France. Mohammed Djehiche pouvait donc à loisir asserter dans le journal El Moudjahid du 16 décembre 2013 que «franchement nous n’avons pas de grands artistes d’art contemporain en Algérie», puisque les gardiens des armoiries nationales (et garants de leurs éblouissements) soumettent continument à l’ensemble des auteurs d’avant-garde non pas du choc visuel et émotionnel, ou de la profanation esthétique, mais de la bienséance comportementale inadaptée à la charge provocatrice et subversive qui leur sied. De là, une suite d’interrogations sur les "Faux" et "Vrais" artistes (touchant tous les secteurs, le doute concerne également les journalistes depuis qu’il est question de leur attribuer une carte professionnelle) et le projet d’exposition Drapeau ostentatoire fomenté de manière à, d’une part contredire le directeur du Musée national public d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA), et d’autre part démontrer que, intact, le génie des artistes algériens regorge de fantaisies, pour peu qu’on leur accorde du crédit, donc de la considération, que les meilleures dispositions soient adaptées à leurs désidératas et non pas aux perquisitions des émissaires du ministère des Moudjahidine ou celui des Affaires religieuses et des wakfs. Si ces missi dominici interfèrent dans l’organigramme du Musée national public d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA), cela veut donc dire que celui-ci demeure sous l’influence de références symbolico-mnémoniques alignées à deux reprises sur ses cimaises. Plus en accointance avec le cachet emblématique du Musée de l’Armée, les monstrations Les photographes de guerre: Djounoud en noir et blanc et El Moudjahidate, nos héroïnes ne convenaient, selon nous, pas à l’esprit frondeur en principe dévolu à un Musée d’art contemporain. Pour que celui d’Alger s’adapte à l’imaginaire des créateurs, il faut qu’il devienne la "Maison des avant-corps", et pour cela que les "envoyés spéciaux" des ministères des Moudjahidine et des Affaires religieuses sortent de son Conseil d’orientation, que la première locataire du Palais Moufdi-Zakaria légifère en ce sens. Ce n’est qu’à partir de là qu’il nous sera possible d’entrevoir chez elle une envie de césures, que germera un satisfecit que lui octroiera, à notre goût trop rapidement, l’homme de théâtre Slimane Benaïssa, cela parce que le 20 juillet 2014 «(…) elle prenait des notes », avancera-t-il béatement après les journées préliminaires aux futures "Assises de la Culture". Nous avons d’autant moins d’approbation à claironner vis-à-vis d’elle, que son prévisionnel se base sur une politique budgétaire en baisse alors que le gouvernement Sellal maintenait le 26 août la même boulimie dilapidatrice des deniers publics, un train de fonctionnement qui alimentera les convoitises tout en dévoyant les énergies porteuses de catharsis et de réels changements. D’autre part, la liste des individus habilités à préparer les conférences du secteur des arts plastiques et visuels ne nous pas été envoyée alors qu’elle fut réclamée à la mi-juillet 2014 auprès du Cabinet de Nadia Cherabi-Labidi, laquelle révéla le 05 juillet qu’une partie des voûtes de la place des Martyrs d’Alger serait désormais consacrée aux arts car «(…) il faut donner à la culture tous les lieux qu’elle mérite et ne pas se focaliser sur un seul espace. », en l’occurrence les "Abattoirs d’Alger". À la lecture du périodique La Tribune du 07 juillet 2014, reprenant ses propos, nous notions (dans l’article "Au sujet des prochaines Assises de la Culture") son peu d’entrain, la soupçonnions en quelque sorte de vouloir discrètement faire l’impasse sur un vaste site brigué par les artistes, une juste suspicion puisqu’elle avait donc signé le jour précédent (soit le 06 juillet 2014) une prescription ministérielle actant de manière laconique que « Les dispositions de l’arrêté du 23 Rabie Ethani 1434 correspondant au 06 mars 2013 portant ouverture d’instance de classement des "Abattoirs d’Alger", sont abrogées » (Article 01). Bien que notre texte d’octobre 2014, "À propos de la pétition les Abattoirs d’Alger, une aubaine pour l’art : impressions, avis et suggestions d’un sociologue dubitatif", prévenait déjà les prétendants d’un probable retournement, aucune satisfaction ne sera chez nous mise en exergue, bien au contraire.
Fondée sur une bonne connaissance de la vie politique et culturelle en Algérie, notre perplexité avait d’emblée pour charge de désamorcer l’exaltation des postulants, de dégonfler le sublime et de leur remettre les pieds sur terre, une déréalisation qu’un journaliste de La Tribune du 07 août 2014 traduisait ainsi : «(…) quelle naïveté de la part du chroniqueur qui (…) avait fait preuve d’enthousiasme romantique ». İl se méprendra plus loin en arguant que Khalida Toumi (l’ex-ministre de la Culture) aurait « (…) joué sur un effet d’annonce en répondant favorablement à un souhait émis par de nombreux acteurs de la culture. », puisque, et si on reprend le fil des événements, certains de ces derniers intéressés furent très tôt au parfum d’une note conservatoire circonscrite au sein du Journal officiel du 23 mars 2014, mais en réalité paraphée le 06 mars 2013, soit une année plus tôt. Hors, si le plaidoyer (en faveur de la récupération des "Abattoirs d’Alger") a émergé sur la toile sept mois avant la publication officielle du décret, c’est que l’ancienne militante du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) avait informé des gens de son ministère, lesquels auraient en retour interpellé quelques artistes. La concordance des faits laisse supposer un indulgent "partage des sources" que l’on nomme dans le secteur bancaire ou boursier un délit d’initié. Chacun des avertis pu en effet aisément affuter ses armes et dessiner ses plans de carrière pour prendre, au moment venu, possession d’un local, l’affectation initiale n’évoquant pas explicitement l’interdiction de le réaffecter, point que s’empressera de corriger Nadia Cherabi-Labidi. La fin de la séquence "Abattoirs d’Alger" ayant plombé les espoirs d’élargissement du microcosme algérois, il lui incombe maintenant de justifier de sa décision, soit en épiloguant, c’est-à-dire en faisant comprendre qu’une assiette foncière donne priorité à un projet de restructuration incluant une cité administrative, qu’elle se trouve ainsi démunie face aux puissants lobbies, ou bien en insistant sur un dernier arbitrage afin que la décision finale penche vers une réhabilitation architecturale intégrant des show-rooms, des espaces de libres expression (utilisables au moment d’une biennale d’art contemporain) et une école supérieure des Arts décoratifs. Quant à celle des Beaux-Arts (domiciliée au sein du quartier algérois du Télemly), les ateliers doivent s’ouvrir à des plasticiens algériens, algéro-européens et étrangers invités pour des temps courts de manière à renouveler les approches esthétiques, à ventiler de l’avant-gardisme. Des professeurs européens de sociologie, d’anthropologie, de philosophie et d’histoire de l’art deviendraient tout autant profitables au décollage d’une institution à entièrement restructurer (puisqu’elle n’a de supérieur que le nom) et où les étudiants méritent de bénéficier de conditions idéales, ne serait-ce que pour activer leur présence au monde de la culture. Traçage neuronal de cette dernière, le corps reste à fortiori la mémoire de l’éducation, d’une délicatesse ontologique à canaliser contre la violence patente et assomptive. La désamorcer par la parole alternative semble être le meilleur des remèdes, d’où l’urgente nécessité d’ouvrir le champ médiatique afin que des chaînes de télévision irradient les cerveaux de thématiques désinhibées des oukases. La prostitution, la drogue, la religion, l’écologie, les harraga (jeunes fuyant leur pays sur des embarcations précaires) et le terrorisme sont des sujets que les artistes ont à traiter librement en tenant tête à leur encadrement mental et aux "décideurs hypnotiques" qui n’ont de suprématie que leurs fourberies et dénégations. Abdiquer en usant de petites convenances personnelles auprès des bourreaux de l’exégèse, c’est se contenter de petites bassesses, brosser dans le sens du poil, flatter à la cour des pique-assiettes et rejoindre le banquet des larbins ou aplaventristes. C’est à fortiori se rendre aux "Assises de la Culture" pour téter aux mamelles de la poule nourricière, entendre au plus près d’elle les roulements de tambours du garde-champêtre et charrier le fardeau de sa croix comme l’escargot porte sa coquille. Compte tenu des correctifs tronqués hypothéquant la fusion introspective des journalistes de la presse écrite et audiovisuelle, du flou entourant la révision de la Constitution et de la probable reconduction de ses "Constantes" inaptes à la sécularisation politico-culturelle, du texte bâclé sur les problématiques du commerce ou marché du livre (les objectifs de sa promotion ou distribution dans la chaîne économique et industrielle), et enfin du retour de bâton brandi contre les syndicats autonomes, se rendre aux "États-généraux" pour y prescrire une sorte de thérapie de groupe équivaudrait à cautionner un système en phase terminale. Plutôt donc de lui servir d’antidépresseur, le Groupe autonome de réflexions sur l’art et la culture en Algérie (GARACA) s’abstiendra de tout entrisme. Sa préoccupation n’étant pas d’imposer un quelconque boycott, mais plutôt de susciter des réactions constructives, il laisse à chacun le soin d’éprouver les "Stabilités sous-jacentes".
S.-L F.
(*) Docteur en sociologie et Secrétaire du Groupe autonome de réflexions sur l’art et la culture en Algérie (GARACA).
Lire la 1re Partie : Faut-il participer aux prochaines "Assises de la Culture" ? (I)
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