Mohamed Boudia, une oeuvre inachevée (II et fin)
En remontant l’histoire de cette pratique militante, aux plans artistiques et politiques, mais dans le sens opposé de la grande horloge du temps, nous pourrions, peut-être, déceler le mécanisme par lequel fonctionne le combat idéologique – toujours d’actualité et ne cessera d’exister - mené contre toute l’œuvre révolutionnaire d’un individu soumis à l’œuvre collective.
C’est une guerre politique et psychologique qui a été et qui continue à l’être de nos jours, basée sur la calomnie, l’intoxication, la provocation, l’exacerbation des contradictions, l’exploitation des contradictions, l’exploitation de divergences et la diabolisation de l’adversaire que mène l’impérialisme «démocratique» depuis 1945.
Au cœur de ce système de la guerre politico-psychologique, une branche à part et extrêmement importante de la guerre totale moderne, on perpétue les crimes mis sur le dos de l’adversaire, à commencer par cette biographie de Mohamed Boudia parue en 2007 sous la signature d’une organisation de sujets français «non citoyens», les «Indigènes de la République», appellation qui cache une déroute idéologique et une instrumentation portant atteinte à l’intégrité d’une œuvre de combat contre l’exploitation et la servilité des hommes par le capital. Le site web en question que dirige la "beurette" Houria Bouteldja (Collectif féministe les Blédardes), s’est orienté vers une formation politique proche du Parti Socialiste français.
En Algérie, c’est tout notre intérêt, le nom de Boudia n’apparaît dans la presse officielle qu’en 1984, sur les colonnes d’El Moudjahid du 27 novembre 1984 et à l’occasion de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien. L’article publié sur deux numéros est intitulés : «Martyrs algériens de la cause palestinienne : Mohamed Boudia, la dimension d’un combat», reprend sans la nommée, une ancienne présentation du martyr élaborée, elle, par la direction du parti de Rassemblement Unitaire des Révolutionnaires- FLN Clandestin (RUR-FLN Clandestin), auquel Boudia appartenait comme opposant au coup de force du colonel Boumédiene. Cette initiative nullement innocente, intervient un mois après la décision de Chadli Bendjédid et du parti FLN, totalement déboumédieniser, de réhabiliter à titre posthume 21 dirigeants du FLN historique dont Abane Ramdane, Krim Belkacem, colonel Chaabani, Mohamed Khider et d’autres. Un acte qui tend à discréditer le régime des «colonels» tout en veillant sur la ligne idéologique de la pérennité du système oligarchique. Dans cet article, repris de l’APS (agence officielle), nous pouvons lire quelques aberrations dans la présentation de l’itinéraire du fondateur du théâtre national algérien.
Pour le régime oligarchique de l’Infitah (ouverture à l’impérialisme français), le 28 juin 1973 est une journée qui «devait être pour lui [Mohamed Boudia] le prélude à une année sabbatique à Damas», plus loin encore nous lisons encore, qu’"après avoir assumé les fonctions de directeur du journal Alger-Ce soir, Boudia abandonne ce poste pour se consacrer au théâtre, son domaine préféré. En 1965, il émigre en France". En finalité, le ridicule des propos ne tue pas mais déterre les martyrs pour les assassinés une seconde fois.
La dépêche de la pensée officielle de l’Etat compradore intervient en pleine période de décomposition de la Résistance palestinienne, une opération qu’a léguée l’impérialisme américain aux régimes de la réaction arabe. L’Algérie soumise au diktat de l’impérialisme français devait faire allégeance au nouveau partage politique du Monde arabe. Une année auparavant, Alger accueillit le 16e Conseil National Palestinien (CNP) (14 février 1983) afin de promouvoir le Plan politique du social-impérialisme soviétique (le Plan Brejnev), chose qui ne dura que les heures de quelques rencontres entre organisations palestiniennes aux horizons tactiques radicalement divergeant.
En 1984, l’OLP est devenue une organisation vidée de sa stratégie combattante et acquise aux thèses du processus de paix qui mènera sa direction féodale (les Al Koudwa, tribu de Yasser Arafat) vers de nouvelles compromissions jusqu'à la liquidation de l’organisation avec les pourparlers de Dayton (USA). Les coups démobilisateurs qu’a reçus l’organisation palestinienne, depuis sa Charte de 1964 à la veille du 17e CNP d’Amman (Jordanie), ont fait d’elle une manifestation des pouvoirs arabes en place avec un dirigisme beaucoup plus personnalisé en la personne d’un leader concentrant tous les pouvoirs décisionnels entre ses seules mains.
Boudia et l’héritage révolutionnaire
Sans aucune extrapolation, de notre part, sur l’apport de l’individu sur un fait collectif, il y a lieu de noter fortement que la rencontre des Forces marxistes-léninistes (FML) palestiniennes et des organisations combattantes internationalistes s’est faite sur la base d’une expérience révolutionnaire qui apparaîtra aussi clairement et au grand jour entre 1985 et 1973.
Fondamentalement, il faut situer cet effort organique autour d’un seul organisme attractif : le MNA-FPLP. Une unicité qui devrait être mis en évidence après tant d’années d’évolutions politiques et programmatiques au sein de cette expérience palestinienne d’avant-garde, qui a eu pour principe fondateur le slogan «le front au service du mouvement», donc un ensemble de structures politico-militaires dépendant du Mouvement des nationalistes arabes (MNA) qui, lui seul, est destiné à la création d’un Etat arabe patriotique menant une lutte réelle pour la libération des territoires occupés et contre le sionisme. A ce titre, des sections du MNA verront le jour de la Tunisie, au Yémen du Sud en passant par le Liban et l’Irak, une organisation, qui datée des années 60 mais avec la défaite des régimes arabes en juin 1967 et la Révolution culturelle chinoise, le MNA verra ses sections libanaise et palestinienne évoluer vers la ligne marxiste-léniniste de la lutte anti-impérialiste, chose qui demandera plus d’autonomie organique et une analyse plus précise des contradictions sociales et économiques afin de mener à termes les objectifs du combat révolutionnaire.
Quelle place peut-on attribuer à Mohamed Boudia au sein de cet univers de luttes idéologiques ? De 1985 à 1973 l’élan de soutiens et de solidarités avec la cause palestinienne dépassé tout entendement de part le monde et une organisation comme le FPLP était considérée comme la seconde force au sein de l’OLP après le Fatah. En 1985, le FPLP fêtait son 18e anniversaire d’existence et qui fut traversé par des tornades scissionnistes et des houles révisionnistes dans sa stratégie de combat. L’héritage de Boudia est profondément encré dans la structure de cette FML qui abandonne le slogan patriotique démocrate et se positionna sur l’édification d’un parti marxiste-léniniste de la classe ouvrière et tenta même de ce rapprocher du FDLP, son ancienne dissidence, afin d’aboutir à ce PML avec le Pc révisionniste palestinien. Mais au-delà de cette tentative qui mena à l’implosion du Fplp et sa dérive politique à partir du 4e Congrès de 1984, tout l’héritage révolutionnaire du militant algérien se trouve partager entre l’Organisation de Lutte Armée Arabe (OLAA) et le Front Révolutionnaire de Libération de la Palestine - Chabab Wadie (FRLP-CW) et leurs fonds relationnels avec les organisations internationalistes, notamment le Parti Communiste Combattant – Brigades Rouge (PCC-BR) et Fractions Armées Rouge (RAF). Dans les textes fondamentaux de ses deux organisations européenne, la lutte anti-impérialiste prend le tournant d’une stratégie afin de resserrer l’étau sur les puissances dominantes et desserrer la pression sur les peuples dominés et que toute acte de violence révolutionnaire sert à «développer les luttes de classe, organiser le prolétariat, commencer avec la résistance armée à construire l’armée rouge !». Un slogan développé à partir du texte de la Raf, par exemple, qui expose, dès novembre 1972, la stratégie de la lutte anti-impérialiste qu’il amène dans le centre (pays capitalistes dominants). Le même document analyse la signification du Proche-Orient pour l’impérialisme et conçoit ce dernier comme unité des contradictions, étudie les rapports en impérialisme et tiers-monde, traite des mouvements de libération anti-impérialiste, de l’opportunisme dans la métropole de l’exploitation, de la consommation de masse, des mass médias, de la domination du système 24 heures sur 24, du sujet révolutionnaire, du fascisme et de l’antifascisme, de l’antifascisme et de l’anti-impérialisme.
L’héritage post-boudien se retrouve dans le combat que menèrent ces organisations combattantes et bien d’autres, soit aux côtés ou pour le bien-fondé de la cause arabe. La relation entre les combattants internationalistes et le militant algérien dénote de la spécificité de la stratégie révolutionnaire qu’à entreprise la résistance palestinienne durant son existence autour de la création d’un large front mondial de solidarité avec la cause palestinienne et que coordonnaient des personnalités non-palestinienne, mais acquises à la cause. Des personnalités d’horizons socio-professionnels, culturels diverses et dans le cadre du FPLP, son leader, Georges Habache disait il y a quelques années et à la seule évocation du nom de Boudia, «qu’à lui seul, il valait toute la révolution palestinienne». que lit-on à travers cette phrase prononcée à Alger lors du Conseil National Palestinien (CNP), du 15/11/1988, et pourtant dans son livre-témoignage, rédiger sous la plume du journaliste français Georges Mal Brunot, Habache ne le citera nulle part le long des 234 pages de la traduction arabe.
Une histoire d’héritage que légua Boudia à l’ensemble des organisations palestiniennes, ou un propos bien généraliste tombant le discours politique organisationnel, où encore, la révélation à peine voilée d’un dirigeant qui a tenté d’élever son expérience de révolutionnaire professionnel algérien pour une unité d’action militante entre diverses fractions palestiniennes. La réponse tardera à venir du fait que les principaux acteurs arabes et palestiniens ont disparus et que les archives de cette mémoire historique sont encore prisonniers aux mains de renégats.
Mohamed Karim Assouane
Références
Boudia. Mohamed, Naissances, suivie de L’olivier. Lausanne, La Cité, 1962. 107 p.
Giono. Jean, Le grand troupeau, Paris. Gallimard (9 mai 1972). 256 p.
Ionesco Eugène, Le Solitaire, Paris. Gallimard. 1973 (Réed.6 juillet 1976). 207 p.
Malbrunot Georges, Les révolutionnaires ne meurent jamais : conversations avec Georges Malbrunot, Paris. Fayard, coll. «Témoignages pour l'histoire», 2008, 326 p.
Ricoeur Paul, Philosophie de la volonté. Tome I: Le volontaire et l'involontaire, Paris. Aubier, 1950.
Lire aussi la première partie : Mohamed Boudia, une oeuvre inachevée (I)
Commentaires (3) | Réagir ?
merci
جزاكم الله خيرا