Pourquoi l'Algérien est-il violent ?
«A ce roseau resté un astre voilé dans la pénombre, sans horizons ni ligne de fuite! Que doit-on dire à la raison si ce n'est que notre raison est coincée dans un gigantesque dédale? Pétrie, bousillée et abandonnée dans ses chimères! Une carcasse empilée dans le fracas du silence, projetée contre le mur tell une poupée de chiffon!» Poète anonyme.
Avant de changer le titre de cette chronique, j'en ai choisi un autre «cette violence-Bulldozer!». Un Bulldozer, ça signifie beaucoup de choses : puissance, gigantisme et destruction! Et si la violence en possède un de ces qualificatifs, c'est qu'elle est en premier lieu «destructive». Je crois que le parallélisme est évident ! Mais pourquoi y a-t-il tant de violence dans la société algérienne d’aujourd’hui? Pourquoi y a-t-il tant de haine envers nous-mêmes et envers les autres ? Pourquoi en est-on arrivé là? L'amour ne peut-il pas faire son entrée dans cette lexicographie du pessimisme qui infeste ces dernières décennies les cerveaux des Algériens? Serait-ce l'effet des guerres (anti-coloniale et civile) comme nous l'expliquent certains alors que celles-ci sont finies il y a plus de 50 ans pour la première et presque 15 pour la seconde ? De la nature soi-disant «impulsive» de l'Algérien comme le pérorent les autres alors que celui-ci a prouvé à travers son histoire son sens de l'hospitalité et surtout son pacifisme, accueillant 7 civilisations sur terres même s'il les aurait toutes farouchement combattues ?
Où en est donc le problème ? La réponse ne relève plus désormais de la litote, elle est plus vraie que jamais : c'est que l'on néglige l'éducation civique, que l'on marche sur nos têtes, que l'on déconne à pleines tubes dans les choses sérieuses, que l'on se moque pas mal des autres et de nous-mêmes, que l'on ne sait pas ce que l'on fait de nos jeunes, ces bourgeons d'avenir qu'on a élagués, voire brisés avant qu'ils n'aient pu donner leurs fruits, qu'on a fait fuir ailleurs ou que l'on laisse souvent traîner dans les rues sans aucun autre bagage que «leguia», le spleen et le mal-être! Une besace pleine à craquer de rouille et de fiel, de ressentiments et de m...! Et quand ceux-ci se mettent à bouger les lèvres pour nous recracher leur désarroi, on les comble des cadeaux empoisonnés de l'A.N.S.E.J (Agence Nationale Soutien Emploi de Jeunes), les matraques de promesses aussi irréalistes qu'inutiles lors de ces feuilletons électoraux marathoniens où le mensonge à la fois télévisé, téléguidé et télémanipulé se conjugue sur toutes les bouches pour régler leurs «petites méninges» à l'heure de la médiocratie et de la corruption! Néanmoins, on ne plaide jamais leur cause, on les entend certes crier mais on ne les écoute pas hélas! Et quand par un auguste hasard on feint «ouf!» les comprendre, on ne les consulte que pour les gruger, que pour les arnaquer, que pour castrer toute logique dans leur raisonnement ou simplement émasculer l'énergie de leur effort, et puis, on décide, ironie du sort, de ce que sera fait leur lendemain sans les faire participer à notre conclave à huis-clos, esquive leur voix et les jette sous le boisseau du silence! Pauvre jeunesse, le parti dissous de l'Algérie des mirages!
Tout se passe au vrai comme si nous étions entrés de plain-pied dans l’ère des tutelles et des tutorats que l'on exerce sur des êtres majeurs qui ne savent ni se prendre en charge ni s'auto-déterminer, encore moins réfléchir ou penser. L'algérien est un robot programmé, tantôt il est nationaliste à outrance, jusqu'à l'épiderme, tantôt il est dénationaliste à l'envi, jusqu'à la nausée! Et entre ces deux états d'esprit, plutôt ces deux boutons rouge et noir parce qu'il n'y a pas, semble-t-il, de relatif chez nous, épique et hyperpossessif pour le premier, récessif et hystérique pour le second, on trouve ce mariage contre-nature entre le paysan bas de gamme du «dechra» ou du «douar» et le citadin décervelé de la ville, baignés qu'ils sont, dans «le chloroforme de l'orgueil» d'un passé «capsule spatiale» faisant ses navettes à travers tous les temps, trempant de surcroît dans un islamisme de pacotille aux mille et une facette-référence! Or, justement ce temps-là passe et nous, en revanche, sommes restés scotchés à ses petites nostalgies éparpillées çà et là, tantôt épris d'un discours triomphaliste et en «arabe» fait par un Boumediene fier et altier à la tribune de l'O.N.U, tantôt emportés par la joie d'un match gagné contre l'Allemagne qu'on n'oublie jamais, parfois attendris par cette «main tendue» d'un Boudiaf exilé-patriote, président à jamais dans les mémoires et les cœurs ou émus par les standing-ovation dédiés à un Morceli-champion perché sur le podium olympique et essuyant des chaudes larmes sous les intonations de l'hymne national à une époque où l'Algérien est pourtant craint, décrié et haï partout! L'actualité est triste! D'une part, ceux qui gouvernent s'en foutent, s'en foutront peut-être pour toujours, d'autre part, tout s’enchaîne ; tout se confond ; tout se complique et tout devient problématique pour le jeune d'aujourd'hui, c'est-à-dire ce jeune qui vit d'expédients, se distrait discrètement, reste célibataire ou se marie sans goût et travaille avec peine, la volonté au creux de l'estomac parce qu'attaqué de partout par une nasse de problèmes à laquelle il n'y peut rien (logements, salaires, notion de famille partie en éclats, «le generation-gap»...etc)!
De nos rues à nos stades, de nos écoles à nos mosquées, de nos foyers à nos universités, tout bout de rage et d'incompréhension de ce qu'il nous arrive, tout respire le désordre et l'improvisation, tout se ramène au blasphème et à l'impulsivité. Je me souviendrai toujours de ce vieux loquace, typique de l'Algérie d'antan volontaire et débonnaire, touché par une calvitie naissante, tiré aux quatre épingles et maniant la langue de Molière à la virgule près. On était fin 2007, au siège du M.A.E, la matinée était plutôt ensoleillée quoiqu'aux alentours un petit nuage survolait le ciel. Déjà, de longues queues se formaient devant presque tous les guichets et une atmosphère lourde pèse sur les visages là-bas présents, la plupart d'entre eux sont des jeunes universitaires venus pour l'authentification de leurs diplômes, procédure parfois exigée pour les demandes de visa à l'étranger. Parlant à un ami d'apparence plus jeune que lui, le vieux lâche à brûle-pourpoint : «J'ai tout fait afin que mes deux enfants restent à mes côtés, ma femme ne supporte plus cette vie en solitaire mais le destin en a voulu autrement! Ils sont partis en France et on est obligé de sacrifier notre petite pension-retraite et les suivre là-bas, je n'ai jamais imaginé qu'en quittant définitivement la terre d'exil à la fin des années 1980, j'y retournerai prochainement pour finir mes jours, c'est un drame». «Mais essaie de les convaincre de revenir au pays après leurs études», rétorque l'autre avec énergie «ils n'y reviendront pas, ils m'en parlent amèrement, ils en ont marre». «A tout malheur il y a une solution quand même», relativise l'autre, la voix cette fois-ci aussi résignée que son ami : «Tu sais, je peine à me réveiller le matin, je peine à rêver, je ne sais pas pourquoi nos responsables n'ont plus cure de nos jeunes à qui on n'a offert que de l'angoisse?», peste-t-il attristé pendant qu'un jeune, tout heureux qu'il est, passe en vitesse à ses côtés et lui susurre ironiquement et à haute voix à l'oreille «Hadj! avec ça «ditha fifty-fifty!» (il lui montre les diplômes authentifiés), à 50 % le visa sera en poche!» et c'est à cet instant-là que ce dernier réagit presque violemment à son encontre «dans mon quartier, presque tous les jeunes lettrés sont en Europe, l'Algérie enseigne et perd de l'argent par pelletées pour former des jeunes comme toi et les autres en moissonnent les récoltes, pauvre Algérie qui régresse!»
Quiconque lit ce passage dira bien sûr que mes propos sont alarmants quoique de mon point de vue ils ne soient que la manifestation infinitésimale de ce qui se mijote en coulisses dans la marmite algérienne. De retour en Hexagone, ex-étudiant algérien rentré au pays après une dizaine d'années de séjour outre-mer me mitrailla aussitôt qu'il m'aurait vu et à chaud de sa déception «blédarde» «on dirait que je suis étranger là-bas, il y a un grand marasme, j'y étouffe!» «mais tu travailles à la fac et tu gagnes bien ta vie parmi ta famille et les tiens, qu'en veux-tu de plus?» lui ai-je riposté un tantinet persuasif afin de bien sonder son opinion « le problème est plus profond qu'il n'y paraît mon ami! Ce n'est pas l'argent qui manque, mais c'est la perception irrationnelle et dévoyée de la société qui dérange! Partout, je me sens foudroyé par des regards désapprobateurs, démotivés et incompréhensibles, je n'ai pas un chez-moi intime et l'intrusion dans mon pré carré se fait chaque fois plus indiscrètement, voire intempestivement (à l'amphi, en classe, à la cour, dans la rue). Les sacro-saintes valeurs de l'algérien d'hier (honneur, horma, nif, bravoure) sont perdues, on se soucie des autres comme d'une guigne, l'argent a pollué les relations sociales, l'éducateur ou l'enseignant est déclassé, le corrompu est vu comme un roi, on le respecte et même parfois celui-ci va à «la «oumra» (pèlerinage à la Mecque) et devient un hadj (pèlerin) pour purifier ses os avec l'argent du contribuable, tout en étant un corrompu, j'en connais même un qui y est allé alors que c'est son fils gérant d'un dépôt de boissons alcoolisées qui lui en a payé le voyage, tu imagines! Où va-t-on?» S'emporte-t-il indigné «mais tu t'en fous des autres! Vis ta vie à toi!» ai-je tenté de relativiser pour lui tirer encore des vers du nez «mais tu n'as pas vu toi-même des algériens bardés de diplômes, sans-papiers en France et qui refusent de rentrer au bercail, préférant un exil-précaire à un climat délétère, quoique parmi les leurs? Tu ne peux pas tenir droit dans la tourmente d'une société à bout de souffle où tout croule sous la maladie de la routine et de la vieillesse. Pas de week-end, pas de vacances, pas de repos de famille, pas de tranquillité, pas de loisirs et le jour «j» on s'étonne que la société soit violente, c'est normal qu'on en arrive-là, on peut même s'attendre, qu'à Dieu ne plaise, au pire!». Pour un ex-médersien du lycée franco-musulman de Ben-Aknoun (Alger), il n'y a aucune autre cellule de crise capable à ses yeux de mettre un terme à la violence à part l'école. Or, celle-ci est la première victime à laquelle il faudrait en urgence une cellule de crise. «A défaut d'aller aux cinémas qui n'existent presque plus d'ailleurs en Algérie ou quasiment transformés en pizzerias, nos jeunes sont devenus eux-mêmes de véritables acteurs, c'est terrible!» Regarde bien le comportement du public algérien lors du Mondial et tu en feras une idée! La F.I.F.A aurait même menacé la F.A.F (Fédération algérienne du football) en cas de récidive d'incivilités et de mauvais agissements pareils dans d'autres tournois internationaux de suspension, c'est un signal fort en symboles que les autorités n'ont pas voulu saisir au vif ni décrypter!» et de poursuivre, le regard absent et la voix enrouée : «Il y a incompétence, nos responsables ne savent gérer les foules que lors des opérations de rétablissement de l'ordre ou de répression. Tout est à l’abandon, les chantiers sont mal-finis, les vacataires impayés, les administrations désorganisés, les délais non respectés, la ponctualité est rare, le sérieux est une anomalie, l'informel est formel et le formel est informel! Beaucoup de gens en sont tombés malades, les établissements psychiatriques en sont pleins, la société vit dans la crispation et l'hystérie! L'algérien est presque réduit à la mendicité, il faut agir vite, il faut éviter l'explosion, il faut avoir de la volonté, la foi et l'intention de changer les choses, arrêter de jouer à la démagogie, donner de l'emploi à la jeunesse et réserver un petit peu de temps à ce peuple, le regarder, le soigner, le consoler avant qu'il soit tard, il souffre trop!»
Kamal Guerroua, universitaire
Commentaires (9) | Réagir ?
merci
C'est " la névrose de l'indigénat ", la névrose du colonisé dont a parlé Sartre, une névrose introduite et maintenue par le régime Algérien post-indépendance dans la continuité de l'oppression coloniale. Le visage du colonisé est toujours crispé et menaçant et pour sauver sa peau il retourne la violence qu'on lui fait subir contre lui -même et ses semblables dans un instinct d'auto-destruction. Une thèse qui a été brillamment developpée par Frantz Fanon dans " Les damnés de la terre ". Le système s'est bâti selon les méthodes du colonialisme qui ne s'éxprime que par la violence, le" langage zoologique", la fraude élèctorale, les manipulations et les divisions de populations, etc...