Fermeture des routes en Kabylie, quelle lecture politique ?
Pourquoi le pouvoir algérien ne réagit pas légalement, à travers le fonctionnement ordinaire de la justice et des services d’ordre aux fermetures de routes, d’administrations publiques, de mairies, organisées et assumées par des personnes physiques acculées dans leur vie quotidienne à recourir à ce genre de protestation radicale et extrêmement dangereuse pour l’ordre public ?
La gestion prudente de ces nouvelles formes d’expression du désarroi populaire n’est-elle pas un jeu dangereux, guetté par le dérapage et l’affrontement entre citoyens à tous moment ? Le traitement populiste de la question qui vise à montrer un visage humain de l’administration ne cache-t-il pas des arrière-pensées politiques visant à disqualifier l’opposition locale officielle et lui substituer des acteurs politiques éphémères à l’image des arouchs des années 2000 ?
Sur le plan humain, les populations à la limite de la précarité sociale sont à bout face à ces blocages intempestifs de la vie quotidienne déjà difficile. Sur le plan économique des centaines d’entreprises, productives et commerciales sont pénalisées par la désorganisation de leurs processus de production et de distribution, par l’augmentation des couts de transports et de ruptures de stock inattendues ! Les personnes qui doivent voyager ou aller se soigner sont prises en otages sur l’asphalte des axes routiers sous des canicules intenables, des femmes enceintes en route pour la maternité ont rebroussé chemin pour accoucher à la maison quand ce n’est pas sur la route. La colère gronde dans les villages et les gros bourgs.
Qui veut ainsi semer les ingrédients d’une explosion sociale qui se manifesterait par des affrontements entre les villageois aux intérêts contradictoires ? Qui tire les ficelles de ces émeutes d’un nouveau genre ? Qui tire profit de cette situation chaotique? Qui en sont les grands perdants politiquement parlant ?
Les exclus découvrent leurs capacités de nuisance
Il ne se passe pas un jour sans que l’un des grands axes routiers de la wilaya de Bejaia soit fermé à la circulation pour de multiples raisons des plus sérieuses aux plus farfelues, avec toutes les conséquences économiques, sociales et humaines que cela engendre pour la population. Au tout début du phénomène, les fermetures duraient quelques heures, voire une demi-journée, mais devant le succès de l’entreprise et le dialogue «positif» direct qui s’en suit avec l’exécutif de wilaya, les jeunes révoltés de tous les villages ont opté pour le procédé qui leur permet d’exposer directement leurs doléances au wali ! Quand la réponse du wali traîne un peu on rallonge la durée de la coupure de route à quelques jours, et parfois à une semaine dans certaines localités ! Le comble a été atteint en cette fin du mois d’août avec la fermeture des vannes du barrage Tichihaf (commune Bouhamza Bejaïa) qui alimente en eau potable pas moins de 23 localités dont le chef-lieu de wilaya ! Il ne reste qu’à couper l’énergie électrique pour paralyser toute la région et pousser les citoyens à l’émeute et au désordre.
Les jeunes chômeurs et les nombreux exclus sociaux découvrent leurs capacités de nuisance et la faiblesse des élus locaux devant l’administration et les forces de l’ordre. Le maire élu avec tambour et trompette n’est finalement d’aucun poids devant un simple fonctionnaire de la wilaya, et n’a aucune autorité sur les entreprises comme Sonelgaz, qui est un Etat dans l’Etat ! « Maintenant que nous savons où se trouve le vrai pouvoir on ne va pas se gêner pour l’obliger à venir nous voir » ! disent des villageois privés de route, d’électricité, d’eau, d’école, et de moyens d’existence les plus élémentaires 50 ans après l’indépendance du pays. « On n’acceptera plus cette précarité alors que l’Etat algérien aide les pauvres du monde entier et prête de l’argent même au FMI», renchérissent les plus politisés
Devenu de mode en Kabylie où défier l’autorité et faire plier ses principaux acteurs est une culture locale ancrée, l’imitation est le ressort principal du « mouvement ». Le phénomène de fermeture des routes est néanmoins sorti de Kabylie pour se répandre avec plus ou moins de succès dans les autres régions du pays ces trois dernières années ! La réaction de l’Etat a été plus rapide et plus conséquente en dehors de la Kabylie ! De nombreux exemples ont été rapportés par la presse écrite et suivis en direct par les medias lourds.
Emergence de nouveaux acteurs politiques
Peut-on se contenter de la faiblesse du pouvoir local comme explication de la récurrence du phénomène qui relève de l’atteinte aux droits élémentaires du citoyen de circuler et transporter ses biens sur la voie publique ?
L’administration ne peut pas invoquer l’effet de surprise puisque le phénomène né dans les années 1990 avec la révolte populaire qui avait suivi l’assassinat du poète chanteur Matoub Lounès a été géré par les services d’ordre malgré ses multiples mutations. Les services de sécurité ont donc appris à contenir cette donne socio-politique qui a mué dans les années 2000 en méthode citadine de protection des quartiers lors des événements du « printemps noir » et de la résurgence sur la scène politique de la vieille institution des Archs !
Nous assistons à l’émergence de nouveaux acteurs sur le terrain politique. D’expression villageoise, d’horizon culturel limité, ils évoluent en dehors des partis connus et du mouvement associatif localement structuré. A l’instar des Archs des années 2000, cette émergence serait-elle encouragée par la « compréhension » de l’administration qui en fera un protagoniste plus malléable dont les revendications sont de nature matérielle sans portée politique ? Le traitement populiste du phénomène plaide pour cette hypothèse puisque dans de nombreux cas le wali reçoit et parlemente avec ces nouveaux acteurs valorisés et revêtus de la cape symbolique de l’interlocuteur de l’Etat. Si cette dynamique politique nouvelle, née des contradictions sociales de l’économie rentière, n’est pas directement suscitée par le pouvoir wilayal, elle constitue néanmoins une aubaine pour les centres de décision pour disqualifier l’opposition locale nourrie aux idéaux culturels et politiques du printemps berbère et la remplacer par des « Archs nouvelle mouture » dont les exigences de nature matérielles peuvent être gérées par la mobilisation de la rente. Il faut noter que l’opposition politique locale semble dépassée par l’ampleur du phénomène dans lequel elle refuse de s’impliquer, laissant le terrain vide devant l’exécutif wilayal et les manipulateurs des pouvoirs de l’argent.
Pourquoi la loi n’est-elle pas appliquée en la matière ? La fermeture de la voie publique, l’entrave à la circulation des personnes et des biens relève du pénal. Le délit est sanctionné par un minimum de 10 de prison ferme et de fortes amendes. Pourquoi la justice ne s’autosaisit pas ? Le pouvoir a-t-il réellement peur de l’embrasement général de la région ou bien a-t-il intérêt à ce que la situation perdure ?
La disqualification de la classe politique locale
Si la conjoncture sécuritaire régionale que vit l’Algérie entourée à ses frontières par des foyers de tension terroriste plaide pour la prudence dans la gestion des revendications légitimes de la population, nous aurions attendu plus de célérité, plus d’intelligence dans le règlement des conflits et une plus grande compréhension de la légitimité des problèmes posées par les villageois qui se révoltent ! Nous aurions attendu la mobilisation de toute la classe politique pour forger un front contre la dégradation du bien commun, pour redéfinir un lien social sur des règles consenties. Or l’administration fait cavalier seule et écarte toute option de gestion participative qui ferait une place aux représentants de la société civile dûment élus et siégeant aux assemblées populaires. Dans la question des dédommagements des paysans dont les terres ont été saisies pour faire passer l’autoroute, le prix du mètre carré retenu est ressenti comme une immense hogra, un déni de droit , un mépris sans nom, un geste de séquestre colonial ! Au moment où l’Algérie riche prête au FMI, distribue des aides aux peuples opprimés à travers la planète, ce qui honore le pays, elle punit et pénalise ses propres paysans en leur enlevant leurs terres contre une bouchée de pain, ce qui pour la majorité signifie l’extinction de la lignée paysanne. Comment dans ce cas ne pas comprendre qu’il y a volonté de créer des foyers de tension ! Comment accepter qu’un projet de bitumage d’une route intervillageoise prenne 12 ans ? Comment parler d’autoroute alors que 80% des villages de la wilaya n’ont pas de route à deux voies, le réseau routier colonial étant à ce jour l’unique dans la wilaya ?
Au moment où l’opposition au régime Bouteflika avec toutes ses sensibilités et ses appartenances idéologiques et culturelles s’échine à se construire et se consolider par le haut avec un vieux personnel usé par le système, le pouvoir, comme à son habitude, instrumentalise l’administration à tous les niveaux institutionnels pour faire émerger de nouveaux acteurs politiques à l’échelle locale, des interlocuteurs moins exigeants politiquement, aux revendications matérielles plus gérables grâce à la rente. Face aux coupures de routes, un phénomène dangereux pour le lien social précaire, la démobilisation des forces politiques de l’opposition est inquiétante. L’opposition locale embourgeoisée coupée des réalités complexes du terrain social en ébullition, organise des colloques à l’européenne, des universités d’été où des thématiques surréalistes sont débattues par d’éminents spécialistes venus d’ailleurs ! Durant ce temps, la population invente ses méthodes de lutte pour arracher à l’administration omnipotente des droits élémentaires comme la route, l’eau, l’assainissement et autres commodités de la vie quotidienne.
Nous assistons sous nos yeux à la formation des classes sociales en Kabylie, d’un côté les catégories de nantis pour qui le pain n’est pas un souci qui se battent pour les libertés démocratiques, le droit à l’expression libre ; de l’autre, les démunis dont les préoccupations plus terre à terre sont d’ordre de la satisfaction des besoins primaires. Les premiers ont été progressivement isolés des seconds qu’ils prétendent représenter. Le pouvoir, rompu à la gestion des conflits sociaux qu’il crée lui-même, pousse à la disqualification des intellectuels nourris à la culture du printemps berbère et à l’émergence de nouveaux acteurs politiques à la représentativité éphémère, à l’instar des Archs des années 2000 qui ont été utilisés durant une décennie pour reconfigurer la carte politique en Kabylie.
Rachid Oulebsir
Commentaires (7) | Réagir ?
Quelle lecture politique, pour la fermeture des routes en Kabylie. En premier lieu, il faut souligner que seuls les citoyens, sont interdit de passage, (aller au travail, transporter des marchandises, passer un concours, assister aux funérailles etc....) la police, la gendarmerie et les autorités, passent librement ces "faux barrages" lesquels sont tolérés, dans le but innavoué de "couler" économiquement cette région qui dérrange le pouvoir et de semer la confusion entre les citoyens qui se sont rebellé contre le systéme de gouvernance du pays en géneral, et de la Kabylie en particulier. L' Etat laisse faire, les bandes de trafiquants en tout genre, qui harcellent quotidiennement cette région, qui a payéeun prix fort durant la révolution de novembre et durant la déscinie noir, par l'assassinat des meilleurs de ses cadres. Alors, couper les routes, c' est du pain béni pour le pouvoir, dont les représentants, notament, le wali et les chefs de daira, ne bougent que quant, les citoyens expriment leurs mécontentement par de tels actes.
BOUTEFLIKA JOUE LE POURISSEMENT EN KABYLIE ET AILLEURS ET APRES LUI LA FIN DU MONDE. iL FAUT ARRETER CE MASSACRE ET JUGER TOUTES LA CLIQUE D'OUJDA AVANT QUE L'ALGERIE NE DISPARAISSE A JAMAIS DANS LES MEANDRES DE LA GEOPOLITIQUE DONT ON CONNAIT LES TENANTS ET LES ABOUTISSANTS.